Guerre sans images

De Mohammed Soudani

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De 1992 à 1999, Michael von Graffenried, un photographe suisse, fixe en images une Algérie plongée dans le chaos. Il y retourne avec Mohammed Soudani pour retrouver les gens qu’il a photographié, muni du livre où sont publiées les photos. Ils retrouvent le même désarroi que les images avaient fixé : l’évocation des gens abattus, une jeune fille qui ne peut oublier l’horreur vécue durant le massacre de sa famille, une jeunesse totalement dépourvue d’espoir et qui en rit amèrement, une peur inscrite en chacun. Cette peur, « elle est mon ombre : elle me suit partout et je l’accepte », confie un homme dans le train.
Un débat s’installe sur le statut des photos, ce qu’elle évoquent de la réalité, leur pouvoir de déformation, comme cette kalachnikov dans un stade qui n’est que celle d’un policier. Une femme dénonce le mercantilisme du prisme d’un photographe qui ne montre que le sensationnel sans laisser place à la résistance des femmes. Ce jugement, qui claque sec, est un tournant dans le film : de la question du pardon posée à chaque rencontre (« non, je ne pardonnerai pas » / « oui, je pardonne mais je ne veux pas vivre avec eux »), il ripe vers le rôle de l’image, tant photo que cinéma. A quoi bon tenter de capter des regards apeurés par la présence de la caméra et d’un imposant dispositif policier de protection des cinéastes ? A l’inverse, peut-on voler des images sans autorisation ? Entre une caméra qui ne se cache pas ou respecte la consigne de ne pas filmer un visage et l’appareil photo en bandouillère qui se déclenche sans en avoir l’air, un débat tant éthique que politique s’impose. Le grand mérite de Soudani est bien sûr de le poser en situation, avec les risques correspondants, et d’assumer l’ambiguïté de ces professionnels de l’image dont l’omniprésence des paraboles rappelle l’importance dans le débat politique : « Il y a une guerre entre le Minaret et la parabole », signale un barbu convaincu des nécessités de la censure.
L’Histoire, ces 3200 ans d’Histoire algérienne qu’un encart inscrit en grandes dates en début de film, est faite de destins individuels qui se posent ces questions de l’éthique dans la politique. C’est ce que rappelle Soudani en terminant son film par un discret retour à Chlef, sa ville natale : il ajoute sincèrement son regard chargé d’une fructueuse incertitude. Ce chef opérateur qui soigne aussi merveilleusement l’image dans ses propres films accepte ici l’inconfort et les limites d’une petite caméra numérique en situation d’urgence (la présence policière est permanente), pour retourner dans son pays y poser les questions de fond qui traversent sa démarche cinématographique. Une touche personnelle, comme pour nous dire qu’une nation ne peut déboucher sur la paix « sans peur au ventre » qu’en se posant véritablement ces questions.

///Article N° : 2654

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Les images de l'article
Mohammed Soudani © O. Barlet





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