Hommage aux chasseurs

Entretien d'Alexandre Mensah avec Abdoulaye Konaté

Print Friendly, PDF & Email

Abdoulaye Konaté, artiste malien contemporain, peintre et installateur, est également directeur du Palais de la Culture de Bamako. Figure discrète mais incontournable de la scène artistique malienne, il occupe une position double dans le soutien de la création artistique africaine contemporaine. Echos d’une réflexion critique sur l’héritage de la plastique traditionnelle et d’un pragmatisme dynamique des enjeux culturels.

Si vous deviez faire le point aujourd’hui sur votre parcours artistique, quel serait-il ?
D’abord, au cours d’une formation, il y a un moment où l’on a besoin de préciser un concept, même si ça vient d’une manière inconsciente. Ce concept a une partie théorique et une partie pratique. Pour moi, ça s’est passé quelques années après mon retour de Cuba. Le deuxième temps décisif s’est fait quand j’ai commencé à sortir du Mali pour montrer quelques œuvres. Ma première exposition d’importance a eu lieu juste après les événements de mars 91, quand j’ai commencé à travailler les installations. J’avais envie de m’approprier un certain type de langage, sans véritablement penser à l’installation. Cela provenait beaucoup plus des éléments du milieu immédiat que je voulais utiliser, de la traduction d’une actualité de faits sociaux. Après cela, l’exposition capitale a été celle de l’Institut du Monde Arabe à Paris, puis il y a eu celle de Las Palmas, en Espagne, une autre à Amiens, et le Couvent des Cordeliers avec Suites africaines. Certaines de ces expositions m’ont obligé à reformuler mes critères artistiques. Je dirai qu’aujourd’hui, je suis dans une phase de consolidation des idées que j’ai lancées ou d’autres que je compte entamer. Le temps de réflexion est devenu beaucoup plus long qu’avant : tu te poses beaucoup plus de questions. Tu jettes un coup d’œil en arrière sur l’ensemble de ta production et tu te demandes ce qui a été important, ce que tu devrais améliorer, là où tu as eu des faiblesses. Ce n’est d’ailleurs pas parce que le temps de réflexion a rallongé que les œuvres sont forcément meilleures. C’est juste plus de temps passé avant de faire. Je pourrais difficilement en dire plus aujourd’hui, si ce n’est que j’ai commencé de nouvelles séries que je n’ai pas encore exposé.
Quand vous parlez du moment conscient ou inconscient de conceptualisation d’une œuvre, quels ont été les choix que vous avez opéré à ce moment ?
Il s’est agit du choix du matériau et de celui de la démarche. Je suis dans un milieu où l’art a existé avant que je ne fasse les Beaux-arts. Une telle question, je ne me la suis posé jamais à l’époque de l’école. Mais après, tu te rends compte que cet art-là existe. Est-ce que ta formation te permet de l’abandonner ? C’est un choix qu’on peut faire, mais je me suis dit que ça pouvait me servir. Si tu parcours tous les courants artistiques, tu vois que dans chaque zone il y a une particularité qui aujourd’hui a tendance à s’effacer. Je me demande s’il n’est pas dommage de perdre toute cette diversité culturelle que chaque individu, chaque groupe a. Devrait-on complètement laisser place à un nouveau système de langage visuel ? J’ai essayé de travailler sur ces questions tout en sachant que j’appartenais à une aire culturelle spécifique.
Votre carrière évoluant, vous avez pris le poste de Directeur du Palais de la Culture de Bamako. Est-ce que cette nouvelle activité a eu des répercussion sur votre travail ?
Au début, j’ai accepté ce poste parce que je pensais sincèrement qu’il y avait un problème d’incompréhension entre les artistes et l’administration. Je me suis dit que moi, en tant que praticien d’une de ces formes d’art, je pouvais aider à mieux analyser notre situation. J’ai pensé que je pouvais apporter quelque chose de plus aux artistes. C’est vrai qu’on peut penser aussi que ça fait partie aussi des accidents de parcours. C’est là que tu te rends compte que les Etats africains n’ont pas de moyens pour l’art et tu te bats contre quelque chose qui n’existe pas. Il est très difficile d’aboutir à quelque chose. On a pu faire de petites choses grâce à des appuis mais ça reste insuffisant. Aujourd’hui, les artistes sont laissés à eux-mêmes, ce qui est très bien. Mais ils ne bénéficient d’aucun soutien public ou privé. L’organisation sociale qui permettait à l’art africain d’exister et d’être vécu dans le quotidien a éclaté avec l’évolution sociale, sans que les Etats prennent le temps de réfléchir aux adaptations. Cette réflexion n’est pas faite. Le plus souvent, les politiques culturelles se limitent à des manifestations. Mais il n’y a pas de ligne directrice. Du coup, on se retrouve à la merci de tout. On a l’impression que chacun se cherche et presque tout vient du soutien de l’extérieur.
Le positivisme avec lequel vous avez abordé cette fonction reste-t-il tout de même de mise ?
C’est sûr que j’y crois au-delà des problèmes de moyens techniques financiers. Je reste convaincu qu’avec le minimum on peut faire changer les choses au niveau des arts en Afrique. Les Etats africains parlent beaucoup de la richesse culturelle du continent et donnent l’impression qu’il suffit de dire que c’est très riche. On oublie que cette richesse a été réalisée grâce à des efforts peut-être financiers mais aussi intellectuels et physiques. Au rythme où l’on va, nous sommes en train de perdre cette richesse. On ne se rend pas compte que l’esprit humain a horreur du vide, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, si cet espace culturel n’est pas occupé par l’Afrique, il sera occupé par d’autres. Il n’y a pas d’autres solutions : si l’Afrique n’investit pas pour développer sa culture, d’autres utiliseront et s’approprieront l’espace culturel africain.
Justement, dans votre travail d’installation ou de peinture, vous vous appropriez des éléments de la culture traditionnelle. Je pense au tableau » Formes et couleurs des gris-gris « , à l’installation  » Naissance, Mort et Culture  » ou encore à  » L’arbre à offrandes « , qui est plus récente. Comment ces éléments de la culture traditionnelle sont-ils perçus par un public africain ?
Je dirais que moi-même, je ne les perçois pas comme des éléments de cultures traditionnelles. Je les vois comme éléments immédiats que j’ai dans mon milieu, sans penser à la tradition. Je les vois comme des éléments portant une valeur plastique, esthétique, et je les utilise dans ce sens. Ce n’est pas forcément dans un concept de tradition. Je me suis développé dans un milieu dans lequel tout l’art d’Afrique s’est développé. Donc, je dis qu’il n’y a pas de raisons pour qu’un artiste africain d’aujourd’hui ne puisse pas développer un concept artistique dans ce milieu-là. Cela dit, les gens sont souvent perturbés par ces éléments traditionnels. Pour cette série d’  » Hommage aux chasseurs « , les gens d’ici font immédiatement l’association avec les chasseurs, alors qu’à la réalisation de l’œuvre, je les oubliais presque. Car les gens pensent immédiatement à leurs tenues. Au début, c’est vraiment cette charge plastique et mentale, présente dans la tête des gens, que je voulais exploiter et montrer à un public hors de l’Afrique. Mais ici, les gens sont tellement imprégnés par cette culture qu’ils oublient même que c’est un tableau qu’ils ont sous les yeux.
Combien y a-t-il de gris-gris cousus sur cet  » Hommage aux chasseurs  » datant de 1995 ?
Il y en a énormément. Je ne les compte plus. Ça peut atteindre des milliers parfois, en fonction de l’œuvre et de l’espace qu’elle devra occuper. Ça coûte cher pour se les procurer. Au début, je pensais que ce serait moins cher que de les acheter en Europe mais, en fait, il n’y a aucun changement de coût. C’est sûr que c’est plus cher que de la peinture qu’achète l’artiste européen. Quand j’ai commencé la série, je me suis mis à étudier la notion de gris-gris sur tout le territoire malien et ses différentes cultures. Tu te rends compte qu’ils en ont tous mais qu’ils prennent des formes différentes. J’ai commencé par les peindre. Je me suis posé la question de savoir qui les utilisait encore aujourd’hui. Est-ce seulement dans les villages ? Je me suis vite rendu compte que c’était jusqu’au sommet que les gens les utilisent, quelque soit leur niveau, y compris les intellectuels. C’est une composante qui distingue l’Afrique des autres continents. C’est une donnée essentielle qui m’a influencé dans ma démarche parce qu’il serait dommage de l’effacer d’un travail sur les particularismes culturels. Mais je ne me considère pas comme particulièrement porté sur les fétiches.
On retrouve dans l’art contemporain occidental toute une veine d’artistes qui font de la provocation une démarche artistique. Pensez-vous que l’artiste africain puisse faire de même auprès d’un public africain ?
Je respecte ces démarches qui sont dues aussi à des milieux, à des individus. C’est quelque chose qui est très rare en Afrique. On voit que ça commence. Je respecte ça mais je ne le ferai pas. Mes œuvres peuvent être agressives mais ce n’est pas ma démarche.

///Article N° : 1640

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
Hommage aux chasseurs (détail) - Abdoulaye Konaté - 1995 © Alexandre Mensah





Laisser un commentaire