Ismaël Isaac, le reggae de la galère

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Enfin consacré à sa juste valeur par « la profession » lors de ce Masa 2001, le ténor de Treichville est depuis longtemps considéré comme un égal par son modèle et mentor Alpha Blondy.

Dans notre compte-rendu de l’édition précédente, nous lui avions attribué la palme du meilleur concert en regrettant que cet événement se soit produit « off », lors de la journée promotionnelle du label Showbiz. Cette année, non seulement Ismaël Isaac a chanté sur la grande scène, mais il y a connu le plus grand triomphe de l’histoire du Masa. Il était difficile de n’être pas ému lorsque dans cette salle de 1500 places où s’entassaient plus de 3000 personnes, le nouveau ministre de la Culture, Dramane Koné, a entraîné ses collègues du Bénin, du Burkina et du Mali, main dans la main, autour du chanteur.
Celui qui a suscité bien malgré lui cette étonnante manifestation de catharsis collective n’en était pas autrement surpris : « Ce n’est pas moi qu’on aime et qu’on écoute, ce sont mes maîtres, et mes ancêtres. Je ne suis qu’un petit artiste au bout d’une grande tradition. » Kaba Diakité Issiaka déteste qu’on le considère comme une star, même s’il a dû se résoudre la mort dans l’âme à quitter ce quartier de Treichville dont parlent toutes ses chansons, parce qu’il ne pouvait plus s’y promener sans gardes du corps…
Treichville est mort. Ce vieux quartier « nègre » de l’époque coloniale, jadis si animé, s’est endormi victime du banditisme fou et de son corollaire inévitable, une répression policière aveugle qui multiplie les « exécutions extra-judiciaires ». Désormais Ismaël vit à Yopougon, où les fêtards d’Abidjan tentent difficilement de se réinventer une vie nocturne normale. Dans le « Treichtown » d’Ismaël, où Jean Rouch filma « Moi, un Noir », la musique et la vie ne connaissaient pas la différence entre le jour et la nuit. « Nous étions heureux et malheureux, tout le monde connaissait tout le monde, on s’aimait et on s’évitait en même temps, à chacun sa galère… »
Celle d’Issiaka commence à deux ans, quand il contracte une polio, mal soignée.
Il grandit quand même, boîte beaucoup et se réfugie dans la musique : le funk, la soul, puis le reggae, surtout après la mort de Marley. Le jour où il découvre à la télé Alpha Blondy, qui chante du reggae dans sa propre langue, le dioula, sa vie bascule.
« J’ai eu l’impression de renaître, j’étais fou de ce type, et en même temps je savais que je pouvais chanter comme lui. Nous ne sommes pas des rastas, nous sommes mandingues, musulmans, et nous avons senti de la même façon que le rythme du reggae était fait pour nous. »
C’est dans les coulisses de la télévision qu’Issiaka, rebaptisé Ismael Isaac, rencontre celui qui restera pour toujours son arrangeur, Georges Kouakou. Après trois cassettes – « Liberté », « Tchilaba » (1986) puis « Yatiman » (1989) – il sort son premier CD « Rahman » (1990) qui lui vaut un contrat avec Island. Suivront « Taxi Jump » (1993), « Treich Feeling » (1997) et enfin « Black System » (2000).
Même s’il tient à se distinguer de ses modèles – « Marley a chanté Haïlé Sélassié, Alpha a chanté Houphouët, moi je préfère chanter Mandela« , a-t-il déclaré lors de son concert du Masa – Isaac les rejoint dans une même distance à l’égard de l’engagement direct : « Je suis apolitique, mais pas asocial« , précise cet hyperréaliste dont les chansons racontent si crûment la vie d’un ghetto qui ne dit pas son nom, à la façon d’un griot passé au service de la plèbe : un ténor inspiré, toujours merveilleusement accompagné, d’un perfectionnisme musical qui n’a plus guère d’équivalent dans le reggae actuel.
Gérald Arnaud

///Article N° : 1952

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