La BD en Guinée Equatoriale

Un horizon obscur

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Dirigée par un régime autoritaire peu enclin à favoriser la liberté d’expression, la Guinée Equatoriale compte peu de créateurs reconnus. Dans le domaine de la bande dessinée, seul le nom de Ramon Esono Ebalé est parvenu à s’imposer.

En 2003, chez Casterman, paraissait un curieux album de bande dessinée intitulé Le roi blanc de Davide Toffolo, l’histoire de la vie du gorille albinos de Barcelone, depuis sa capture jusqu’à sa longue agonie, suite à un cancer. En dehors de ses qualités graphiques, cet album constitue l’une des très rares références à la Guinée Equatoriale pour un lecteur européen de bande dessinée.
Petit pays pétrolier de 28 051 km2, très peu peuplé, la Guinée équatoriale est le seul pays africain de langue espagnol (1) et l’un des très rares pays du continent divisé en une partie continentale, le Rio Muni où se trouve la capitale économique : Bata et une partie insulaire : l’île de Bioko où se trouve la capitale politique, Malabo.
Longtemps dirigé par un fou sanguinaire, Macias Nguéma, le pays vit, depuis un coup d’Etat en 1979, sous le régime autoritaire de son neveu, Téodoro Obiang Nguéma (2). La découverte du pétrole, il y a environ 10 ans, a éveillé l’intérêt de plusieurs multinationales pour ce territoire.
Cette situation n’est pas sans conséquence sur la création locale en matière de bande dessinée. La Guinée Equatoriale étant peu peuplée, le réservoir de créateurs est forcément moins riche que dans d’autres pays et la langue espagnole est un frein aux échanges avec les pays voisins francophones : Cameroun, Gabon. De plus, du fait de l’absence de liens traditionnels, les ONG (l’un des principaux employeurs des illustrateurs africains) y étaient rares jusqu’il y a quelques années.
Enfin, la présence d’un pouvoir autocrate a empêché le développement d’une presse libre et de dessinateurs de presse et caricaturistes, principal vivier de la bande dessinée africaine…
Il n’y a en effet que deux revues dans le pays : La gaceta de Guinée Equatoriale (éditée en Espagne) et Ebano. Les autres journaux sont tous des organes de partis politiques : La voz del pueblo, la razon (du PDGE, au pouvoir) et La verdad (du parti de l’opposition, le CPDS) qui ne paraît plus.
La bande dessinée en Guinée équatoriale peut donc se résumer en un seul nom : Ramon Esono Ebalé dont le nom d’artiste est Ramon y queso (jeu de mot sur Jamon y queso, jambon et fromage en espagnol !).
Ses caricatures pour des magazines espagnols (La Gaceta de Guinée Equatoriale, Hola, El Patio, Okume…) et quotidiens nationaux (La verdad et La razon à ces débuts), lui ont donné une certaine notoriété. Malheureusement, il a du arrêter ses activités dans ce domaine : une de ses caricatures de l’actuel président a valu des ennuis à sa famille, une autre a provoqué la disparition du principal journal d’opposition, La verdad.
Le métier étant trop risqué, il n’y a pas d’autres caricaturistes guinéens, d’autant que la fréquence aléatoire de parution des journaux rend les dessins de presse déjà dépassés au moment de leur sortie.
Ramón Esono Ebalé a également été professeur de dessin à l’Institut culturel d’expression française de Malabo où il travaille encore en tant que graphiste. Depuis un premier prix au concours de dessin pour les moins de 10 ans organisé par l’Unicef en 1983, il a reçu de nombreuses récompenses, comme la première place du concours de dessin de la fête de l’Hispanidad du Centre culturel espagnol, obtenue à huit reprises ! Ramon y queso a publié un livre pour le enfants en 1997, avec l’appui de l’ancien centre culturel espagnol et a travaillé comme illustrateur, sur le thème du Sida, pour l’Unicef et l’entreprise américaine Bechtel.
En septembre 2005, il lance Para-Jaka, premier cyber – magazine de bande dessinée africaine auquel collaborent d’autres bédéistes du Cameroun (Almo et Kangol), et du Gabon (Pahé) (3).
Ramon Esono s’est fait remarquer en 2006 avec sa contribution au concours Vues d’Afrique, « Le plan B« , qui fut sélectionné parmi les œuvres des dix artistes africains invités à présenter leurs travaux au festival d’Angoulême.
L’année précédente, il avait remporté le premier prix ex-aequo dans la catégorie sujet libre au concours Africa comics avec une histoire en quatre planches intitulée Votez… encore et encore (4).
Dans le cadre de son travail, Ramon y queso dessine et publie régulièrement en français, ce qui le classe pour partie dans la bande dessinée d’Afrique francophone.
Mais, hormis son cas, aucun autre artiste n’apparaît à l’horizon et la situation semble bien bloquée. Une anecdote illustre cet état de fait : en 2006, à l’occasion des commémorations liées au centenaire de la naissance de Senghor, l’alliance française de Malabo avait lancé un concours de dessins illustrant la vie et l’action de Senghor. Le concours dut être annulé, faute de participants…
Comme toutes les autres formes d’expressions artistiques, la bande dessinée a besoin de conditions de production propres à son épanouissement. L’exemple de la Guinée équatoriale démontre parfaitement que la création artistique n’est pas indépendante de l’environnement politique et sociologique dans lequel elle baigne ;

1. A l’exception de l’ex Sahara espagnol que le Maroc revendique depuis 30 ans. Le français est également, depuis 1998, langue officielle en Guinée équatoriale.
2. Mais nettement moins sanguinaire que son oncle, il est vrai, et avec un semblant d’opposition « formelle » à défaut d’être actif…
3. Pour visualiser les 6 numéros : http://kis90bd.free.fr/les_zamignoufs/pages/webzine_para_jaka_page_01.php
4. Visible dans Africa comics 2005 – 2006, Lai momo, 2006.
Remerciement à Jean Philippe et Ramon pour leurs informations///Article N° : 6918

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