La danse en effervescence

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Bien qu’elle ne s’estime pas assez reconnue dans son pays, Robyn Orlin, à 45 ans, est déjà un monument. A l’étranger, elle touche à la consécration. Paris, Copenhague, Montpellier… Les théâtres d’Europe se la disputent. Dès ses débuts, en 1982, elle a travaillé avec des danseurs noirs. « Des acteurs qui dansent« , précise la chorégraphe, qui affiche une sainte horreur de la danse classique. Beaucoup, parmi les étoiles montantes de la danse contemporaine sud-africaine, ont travaillé avec elle. Parmi eux, Gregory Maqoma, Moeketsi Koena et Sello Pesa, tous occupés, désormais, à développer leur propre style.
Aujourd’hui encore, Robyn Orlin fait allègrement valser les codes, qu’ils touchent à son art ou à la société dans laquelle elle vit. Contrairement à ce que les titres à rallonge de ses pièces laissent croire, elle n’a pas pris le chemin de l’abstraction ou de l’expérimentation pure. Comme la plupart de ses compatriotes, elle reste très attachée au contenu de ses créations. Toutes ses pièces racontent une histoire. Sa dernière création, qui sera présentée en février 2002 au Théâtre de la Ville à Paris, traite du sida. Intitulée We must eat our suckers with the wrappers on (Nous devons manger nos sucettes avec l’emballage autour), elle met en scène quatorze jeunes acteurs du Laboratory, l’école de théâtre du Market Theater. Garçons et filles sont habillés en robes de petite fille. Chacun joue de son seau rouge, symbole du virus HIV, se le mettant tour à tour sous les fesses pour prendre des poses sexy, sur la tête pour ne rien voir autour, et autour d’une ampoule, symboliquement, après avoir assisté à un enterrement. La pièce fait d’abord rire, puis le rire vire au jaune, voire au grincement de dents : les jeunes chantent des chansons africaines, reprenant en choeur le « freedom » des années de lutte suivi par un « fuck off » beaucoup plus actuel.
« Pendant des années, Robyn Orlin, mais aussi Tossie van Tonder et Gary Gordon travaillaient en électrons libres, chacun dans leur coin, tous avec des talents noirs« , rappelle Georgina Thomson, directrice du festival FNB Vita Dance Umbrella. Ce n’est qu’en 1989 que pour la première fois, à Johannesburg, sur les planches du théâtre de « Wits », l’université du Witwatersrand autrefois réservée aux Blancs, tout le monde a été invité à se produire. Ce mélange marque encore la création sud-africaine, qui puise à trois sources, le ballet classique, la danse africaine et la danse contemporaine.
Chacun à leur façon, Robyn Orlin et Vincent Mantsoe, l’autre tête d’affiche de la « nouvelle » Afrique du Sud, maîtrisent les trois registres. Même si Vincent Mantsoe s’est axé sur une recherche spécifiquement africaine. Avant chaque représentation, l’artiste, fils et petit-fils de sangomas (guérisseuses traditionnelles), s’adresse aux esprits de ses ancêtres. Sa dernière oeuvre, Borena, le voit remplir l’espace et le temps en un solo époustouflant. Les tendances sont très diverses : Boyzie Cekwana, un jeune talent issu de la State Theater Dance Company, ne revendique pour sa part rien de spécifiquement africain. Sa dernière création, Shift, très poétique, se penche sur une relation homme-femme. Le plasticien Rodney Place, lui, a présenté une belle pièce cette année, The washing of the soaps (Le lavage des savons). Elle met en scène l’impossible communication entre un Noir et une Blanche, un homme et une femme. Attablés l’un en face de l’autre, ils répètent des gestes automatiques (resserrer son noeud de cravate, regarder sa montre) comme des automates, se levant, s’asseyant, détournant la tête sans cesse. Pendant ce temps, en ombre chinoises projetées sur un rideau derrière eux, un autre couple joue une toute autre danse…
« Depuis deux ans, le travail des chorégraphes sud-africains est de plus en plus tourné vers l’introspection, affirme Georgina Thomson. Il ne parle plus de politique, même si le sujet reste omniprésent« . Chaque année, depuis 1989, Dance Umbrella rassemble l’essentiel de la création nationale le temps d’une semaine, à Johannesburg. Cette année, deux jeunes chorégraphes, l’une blanche, Gladys Agulhas, l’autre noir, Moeketsi Koena, ont été retenus pour monter une pièce financée par Dance Umbrella pour l’année prochaine. Les expériences internationales des jeunes les ont beaucoup influencées : Moeketsi Koena, par exemple, a eu une bourse pour aller à l’école bruxelloise Parts. « Il en est revenu transformé », commente Suzette le Sueur, directrice de la Dance Factory, qui estime que les jeunes racontent toujours des histoires sud-africaines, mais avec un regard de plus en plus conceptuel. Certes, Vincent Mantsoe, Robyn Orlin et Boyzie Cekwana passent les deux tiers de leur temps à l’étranger. Certes, l’on se plaint beaucoup dans les milieux de la danse sur les difficultés qu’il y a à travailler. Le tarissement des subventions de l’Etat a décimé les troupes existantes. Quoi qu’il en soit, les viviers de jeunes talents que sont la Soweto Dance Company, Moving Into Danse et la Dance Factory tournent à plein régime. L’effervescence est flagrante.

Sur la danse sud-africaine, lire également :
Moving into Dance (Africultures 8, p.33), Soweto Dance Theater (8, p.40), L’Afrique du Sud mène la danse à Tananarive (25, p.105), Shift : Boyzie Cekwana brouille les pistes (38, p.90).///Article N° : 1889

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