La Freak, journal d’une femme vaudou : entretien avec Sabine Pakora

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Sabine Pakora est une comédienne franco-ivoirienne qui dispose d’une très longue filmographie. Elle a écumé les rôles secondaires dans des comédies françaises à grand succès telles que Les Trois frères : le retour, Samba, Il a déjà tes yeux ou La deuxième étoile. Après avoir participé à l’ouvrage collectif Noire n’est pas mon métier, où elle racontait le racisme qu’elle a subi dans sa vie professionnelle, elle a décidé d’écrire un spectacle seul en scène. La Freak, journal d’une femme vaudou est un texte qui parle de la problématique de l’assignation, des stéréotypes, notamment dans le monde du spectacle et de l’image. Notamment quand on est en dehors de la norme. C’est aussi un plaidoyer contre les enfermements, contre les carcans. La pièce se joue au théâtre de la Reine Blanche à Paris jusqu’au 5 octobre 2022.

Africultures : Pourquoi avoir titré ton spectacle « journal d’une femme vaudou » ?

Sabine Pakora : Le titre de mon spectacle c’est Journal d’une femme vaudou, La Freak. Une « freak » en anglais c’est un personnage, le monstre, la différence, la monstruosité qui est aussi une monstration. Ce qui est monstrueux on a envie aussi de l’observer, de le regarder. Donc je joue sur l’homonymie avec l’Afrique. Et puis Journal d’une femme vaudou c’est aussi le journal d’une femme de chambre, de domestiques qui politisent qui ont un regard sur leurs vécus, sur leurs expériences de leurs conditions professionnelles comme moi. Donc il y avait un parallèle dans le titre. Femme vaudou c’est aussi des personnages que j’ai pas mal joués. Et femme marabout, femme vaudou, pour moi c’est l’essentialisation maximum parce que dans le marabout, dans le vaudou, il y a tout : l’animisme, le polythéisme, la magie, tout ce qu’il y a d’obscur, qui est opposé à la rationalité occidentale. C’est l’essentialisation, l’exotisation de l’Afrique qui se personnifie dans le vaudou. C’est un des rôles que j’ai été amené à jouer et qui m’a beaucoup questionné quand on me les a proposés.

Tu as interprété un nombre important de rôles au cinéma et à la télévision est-ce que tu peux nous en parler ?

En tant que comédienne, j’étais contente au départ d’avoir des opportunités, parce que ce n’est pas évident. J’ai plein d’amis qui ont une formation mais qui n’ont pas eu l’opportunité de travailler, de décrocher des rôles. J’avoue que j’étais généralement heureuse de décrocher des rôles. Et puis peu après, j’ai su que c’était généralement les mêmes rôles de femme africaine, d’immigrants, de femmes africaines en difficulté, de prostituées, des femmes qui appartiennent toutes à une même condition sociale et économique. Ce qui renvoie aussi à la problématique du care [NDLR : métiers du soin]. Dans le care il y a pas mal de femmes non blanches issues de l’immigration. J’ai l’impression que la compétence qu’on demande c’est surtout d’être non blanc et d’être une femme. Cela a commencé à me questionner sur ces rôles qui étaient des rôles assez périphériques où tu avais une phrases, deux phrases, trois jours de tournage. Je me suis interrogé sur l’idée de jouer des personnages qui ont un certain statut économique dans le contexte politique qui est celui dans lequel je vis étant fille de l’immigration et fille de colonisé.

(c) Jeremie Levy, La Freak journal d’une femme vaudou

Récemment j’ai joué le rôle de médecin légiste [dans la série Alice Nevers : le juge est une femme diffusée sur France 2]. C’est l’un de mes rares rôle de CSP+. Par contre sur le casting il était inscrit qu’ils cherchaient une femme très ronde et elle avait quand même aussi un nom africain. En tout cas ce que je représentait n’était pas là par hasard. Cela répondait peut-être à de nouvelles exigences de France Télévisions, ils ont envie de voir des femmes. Ils ont envie de voir la diversité… Je suis toujours convoquée par rapport à ma couleur de peau ou mon physique. J’ai joué dans une quarantaine de films environ mais j’ai toujours à peu près le même type de rôle.

L’une des toutes premières séries dans laquelle j’ai joué, je ne sais pas si je dois donner le nom car c’est atroce : Le jour où tout a basculé. J’ai vu carrément qu’il y avait toute une page Facebook consacrée à ce personnage. Même sur Tik-Tok, les gens m’envoient les messages : « J’ai envie de voir la suite… Oh qu’elle est mignonne cette femme ! Oh la pauvre ! Oh tout ce qu’elle a subi ! ». Je me disais c’est un truc de dingue. Tu joues dans un film d’auteur personne ne te calcule, mais tu joue dans Le jour où tout à basculé et chaque fois que ça passe je me fais arrêter dans la rue par des gens :« Ah mais je vous ai vu, s’il vous plaît aidez-moi, je veux travailler dans le cinéma moi aussi. » Il y’a eu Les trois frères où je jouais une infirmière, et Didier Bourdon m’a dit « non non, il te faut prendre un accent antillais ! ».

Qu’est-ce qui t’as motivé à écrire cette pièce ?

Ce qui m’a donné envie d’écrire cette pièce c’est tout simplement les expériences que j’ai eu en tant que comédienne. Quand j’ai commencé à travailler c’était des expériences qui étaient très étonnantes. Les productions me disaient par exemple de mettre à disposition mon placard à la costumière qui venait chez moi. Je trouvais ça très intrusif. En participant au livre Noire n’est pas mon métier, je me suis rendue compte que chez d’autres comédiennes [noires]on leur demandait aussi de mettre à disposition leur garde-robe pour trouver des vêtements bigarrés, des boubous et autres censés correspondre aux personnages qu’on interprète. J’avais aussi envie de dresser des portraits des gens que je rencontrés. J’écris à partir de mes expériences. C’est une autofiction donc je romance, j’extrapole un peu les choses pour la scène. Mais beaucoup de choses qui sont dites, sont des choses que j’ai entendues. J’ai écrit deux heures et demi de spectacle, j’ai dû faire une sélection.

Pourquoi avoir choisi cette mise en scène, seule avec de l’humour en plus ?

J’aime beaucoup la tradition de Molière, du théâtre un peu aussi, de la satire, une manière d’exposer la réalité. Mais d’avoir derrière une toute autre pensée politique. C’est à dire qu’en surface, ça paraît anodin mais derrière c’est autre. L’humour répond à ça. Un humour noir. Un humour sarcastique. Je me suis rendue compte que je n’avais plus du tout envie de véhiculer les stéréotypes. De représenter ces femmes que j’ai beaucoup incarné. J’avais envie de montrer le miroir des personnages que je jouais, travailler sur les caricatures des personnages blancs en tant que femme noire et sur des personnages d’autorité tels que les réalisateurs, des producteurs, des sociologues, directrices de casting. J’ai voulu caricaturer ces personnages là qui n’ont pas l’habitude d’être caricaturés par une personne comme moi. Puis exposer dans même temps, le regard qui était porté sur les personnes issues des minorités. Donc ça faisait une pierre deux coups.

(c) Jeremie Levy,

Je pense que c’est une pièce qui est politique dans le contexte d’aujourd’hui. Elle aborde les non-dits. En écrivant cette pièce, je n’étais pas sure de pouvoir la jouer. De pouvoir simplement incarner ma parole et mes textes. Je me suis battue pour jouer ce texte, pour trouver des partenaires. Aujourd’hui je pense que c’est possible d’entendre ces réalités là, ce texte là qui auparavant était perçu comme subversif. Je pouvait être perçue comme une dissidente qui n’aime pas la France, alors que moi je parle juste de mes expériences, mon ressenti. C’est une pièce qui aborde des non-dits. J’ai été soulagé quand j’ai fait une première lecture au théâtre des déchargeurs. Il y a vraiment eu un intérêt, un enthousiasme qui m’a poussé à me questionner. Pareil au théâtre du camp du parquet. Le théâtre a été obligé d’augmenter sa jauge pour accueillir des spectateurs. Je pense que le public a aussi envie de parler de ces sujets qui dérangent une partie de la société qui n’est pas directement confrontée mais qui est aussi affectée par ça. Et pour avoir fait des sorties de résidences à deux reprises, le public se sentait concerné aussi parce qu’il y a quelques chose d’universel qui renvoie à la problématique de la norme, de la standardisation pour tout le monde.

Tu dis que tu ne savais pas si tu étais capable d’incarner ton texte… pourquoi ?

En fait je dis plutôt que je ne savais pas comment ça allait être perçu. De la même manière que dans mon témoignage dans Noire n’est pas mon métier, je pensais que je signais la fin de ma vie de comédienne. Parce que je pense qu’à ce moment-là, c’était encore très sensible. Beaucoup de gens ont tenté de dissuader Aïssa Maïga de se lancer dans cette initiative là. Même les acteurs noirs et certains réalisateurs disaient : « tu t’expose à quelque chose, tu ne vas plus pouvoir travailler. » J’avais l’impression que mon discours dérangeait alors que je ne faisais que reprendre les propos tenus par des sociologues et des sociologues blancs d’ailleurs. Mais dit dans ma bouche, ça devenait très politique. On a eu du mal à entendre ça venant de ma bouche.

Et dans [La Freak] c’est un peu pareil. Je dis des choses qui peuvent être dérangeantes, malaisante pour la société française, la société blanche et peut être aussi pour le monde du spectacle. Par exemple je pose la problématique des zoos humains. Ce qui me questionne dans mon parcours c’est qu’au bout de dix ans je devrais évoluer, ne plus être encore cantonnée à jouer des rôles comme ceux-là. Je relie cela au plafond de verre auquel je suis exposée. Toute la problématique coloniale. Pour moi, tous ces personnages renvoient encore à la figure de l’esclave, du domestique, de la femme africaine et même de la prostituée. Bref, tous ces types de personnages que j’ai été amené à jouer émergent dans cet imaginaire, cet inconscient colonial. J’évolue difficilement parce que mon physique me renvoie plus à une femme de ménage, à une domestique, à l’esclave qui était une force de travail.

Propos recueillis par Samba Doucouré, entretien retranscrit par Grégoire Blaise Essono

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