« La mention « art africain » est réductrice »

Entretien de Virginie Andriamirado avec Etiyé Dimma Poulsen

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Etiyé Dimma Poulsen, jeune artiste d’origine éthiopienne, participait pour la première fois à la Biennale où elle exposait ses sculptures élancées, travaillées à partir de structures de fer et recouvertes d’argile.

En tant qu’artiste d’origine africaine, que représente pour vous la Biennale de Dakar ?
En tant qu’Africaine, mais surtout en tant qu’artiste, je suis heureuse que cette Biennale existe. C’est une aubaine pour les pays africains. Elle très riche en toute forme d’art : mode, cinéma, architecture, design, arts plastiques. Elle permet de réunir galeristes, collectionneurs, artistes, public…etc. On peut toujours trouver à redire sur l’organisation, mais l’événement en lui même est important car il nourrit les artistes.
Il se passait tellement de choses qu’on ne savait pas où aller. La seule chose qui m’a gênée, c’est le fait que les expositions étaient trop dispersées par rapport au centre. Beaucoup de gens ne savaient pas où se trouvaient les lieux d’exposition.
Vous a t’elle permis de rencontrer et d’échanger avec de nombreux artistes ?
J’ai fait des rencontres. Surtout sur l’île de Gorée, j’ai vu comment vivent les artistes et dans quelles conditions ils travaillent, mais je ne sais pas s’il y a eu de réels échanges car le décalage entre ces artistes et ceux de la diaspora est énorme. Mais il y a forcément des choses qui passent. Les influences sont souvent très inconscientes. Parfois elles se révèlent beaucoup plus tard, d’une manière très indirecte. Chaque fois que l’on va vers quelque chose, ce que l’on voit nous influence toujours un peu vers une direction ou une autre.
C’était la première fois que vous participiez à la Biennale : qu’est ce qui vous a le plus marquée ?
Malheureusement je n’ai pas eu le temps de tout voir, car je devais également m’occuper de mon exposition. Outre le travail du sculpteur d’origine brésilienne Anna Maria Pacheco et celui de Joël Mpah Dooh, un artiste camerounais qui faisait partie de la sélection officielle, ma plus grande émotion, je la dois à un film documentaire. Sous l’égide de l’association Man-Keneen-Ki, qui lutte contre l’errance des enfants des villes, un groupe d’enfants des rues de Dakar, auquel on avait donné une caméra, a simplement filmé son quotidien sans jamais tomber dans le misérabilisme et artistiquement c’est un travail formidable.
Qu’avez vous pensé de la sélection ?
Il y avait plus de qualité en « off » qu’en « on ». Mais c’est difficile de dire ça, car cette année, ils ont été un peu radical. La plupart des œuvres sélectionnées étaient des installations, ce qui a dû ravir les amateurs. J’avoue être moins sensible à cette forme d’expression.
Avez vous eu des retombées positives de votre passage à Dakar ?
Beaucoup de gens qui ont vu mon travail à Dakar m’ont contactée par la suite en France parce qu’ils étaient intéressés par une de mes œuvres. J’ai également eu des contacts avec quelques galeries, mais ces galeries qui essayent de promouvoir l’art africain ont souvent peu de moyens. Elles auraient besoin d’un petit coup de pouce pour démarrer réellement. A la rigueur, s’il y a quelque chose à faire c’est aider ces galeries qui font quand même le travail à la base.
Avez-vous eu des acheteurs africains ?
Oui, il y a eu un peu de tout. C’est ça qui était fabuleux. Pour moi qui résonne un peu « terre d’Afrique », je suis particulièrement touchée lorsque des africains achètent mes œuvres. Il y a une sensibilité, une vraie culture artistique au Sénégal que je n’ai pas forcément ressentie dans d’autres pays d’Afrique. Il faut dire que le Sénégal, en dehors de la biennale, a connu cette dimension culturelle avec le président Senghor qui était un homme de culture. En me promenant un peu partout, lorsque les gens m’interrogeaient sur mes origines et la raison de ma présence à Dakar, ils accueillaient toujours avec joie le fait que je sois artiste. La culture est vraiment bienvenue au Sénégal. Dans ce pays, j’ai eu le sentiment qu’il y avait un respect de l’art, sans doute aussi parce qu’il y a un marché, ne serait-ce qu’à travers le tourisme.
Que pensez vous du fait que la Biennale de Dakar soit « réservée » aux artistes africains ?
Il est vrai que la mention « art africain » est réductrice. N’est-on pas encore en train de former un ghetto? Les grandes biennales d’art contemporain n’ont pas de frontières, elles sont ouvertes à tous les artistes. Si celle de Dakar pouvait présenter des gens originaires d’un autre continent et qui ne font pas seulement des choses liées à l’Afrique, ce serait une autre manière de nourrir les gens culturellement et les artistes locaux pourraient avoir d’autres échanges. A Venise, il y a des galeries du monde entier qui ne se déplacent pas à Dakar. En tant qu’artiste, on est quand même sensible à ces petits détails. Mais en même temps je n’ai pas de préjugés, peut-être est-ce une nécessité, une façon de promouvoir les artistes africains ? C’est la grande question. Est-ce que c’est trop tôt parce qu’il faut essayer d’aider les siens à démarrer ou est-ce que les choses ont démarré et on peut alors considérer qu’il est temps de passer à une biennale d’art contemporain au niveau international ?

///Article N° : 1512

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