« La nation du monde la plus infâme » ? Le portrait des Hottentots dans les récits des missionnaires jésuites et dans les discours des résidents du Cap de Bonne-Espérance

Université de Paris IV-Sorbonne(C.R.L.V.) / Middlebury College (Vermont)

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C’est un doux rêve louis-quatorzien comme le Roi-Soleil en eut tant qui est à l’origine de l’importante littérature manuscrite et imprimée qui a été consacrée au Siam dans les années 1660-1690 (1). Désireux de nouer des relations religieuses, commerciales et diploma-tiques avec ce royaume dans lequel les missionnaires français sont présents depuis deux décades et intimement convaincu de l’imminence de la conversion du roi Phra Naraï à la religion catholique, Louis XIV décide en 1684 de dépêcher une ambassade au Siam. Il nomme Chaumont ambassadeur extraordinaire et Choisy coadjuteur. L’ambassade se compose également de dix gentilshommes et de six pères jésuites. A l’instar du chevalier Alexandre de Chaumont et de l’abbé François-Timoléon de Choisy, un gentilhomme, le comte Claude de Forbin, et trois pères jésuites, Guy Tachard, Joachim Bouvet et Jean-François Gerbillon (2), vont laisser une relation de leur voyage. Les espoirs versés dans cette ambassade, l’intérêt suscité par le retour de la délégation française, les fastueux présents offerts par le souverain siamois, le séjour de ses ambassadeurs dont rendent compte une multiplicité d’écrits de nature diverse sont à la mesure de l’extraordinaire fascination suscitée par les chimères louis-quatorziennes. Toutes les relations de voyages imprimées ou diffusées sous forme manuscrite au retour de l’ambassade du chevalier de Chaumont célèbrent le royaume du Siam : la grandeur de son monarque, la bonté naturelle de son peuple, la splendeur de son architecture. Toutes ont également en commun de consacrer quelques pages à l’escale du Cap et d’offrir un portrait plutôt répugnant des sauvages des lieux : les fameux Hottentots. Ce n’est pas la première fois que les missionnaires rencontrent des populations qui vivent dans l’ignorance du message rédempteur quinze siècles après son annonce. Depuis le seizième siècle, depuis que la morale s’est substituée à la théologie, il ne saurait y avoir sur terre d’homme misérable au point d’être exclu de l’entendement divin. On est intimement convaincu que chaque sauvage peut être converti. C’est parce qu’il livre des descriptions très circonstanciées des mœurs, coutumes, croyances et fausses opinions des sauvages que le récit de voya-ge s’affirme tout au long du dix-septième siècle comme le lieu où se débattent les grandes questions théologiques. « De telle sorte, écrit Normand Doiron, qu’on peut dire que les récits de voyage constituent d’abord et avant tout une littérature théologique […]. De Bodin à Montesquieu, poursuit-il, le droit est voyageur, alors que le pouvoir précisément se définit contre le nomadisme. Sauvages et nomades sont synonymes. Le Sauvage est vagabond. Il ne se déplace pas comme le marchand. Pour le marchand, la route n’est que le prolongement de la maison qui reste au centre du monde. Le Sauva-ge ne voyage pas. Il erre, il est dans l’erreur, et c’est à ce titre qu’on lui désigne et sa foi et sa place […]. » (3) Les textes fondateurs de la Compagnie de Jésus intiment à ses membres de cheminer de par le monde pour convertir les âmes égarées. A l’instar de leurs informateurs, les missionnaires jésuites vont, à l’exception du Père Guy Tachard, tenir les Hottentots pour les plus infames sauvages qui puissent être sur le globe et les juger résolument inconvertibles. Avec ces sauvages, les missionnaires jésuites se trou-vent confrontés à une altérité extrême sinon à l’extrême altérité. Mais tandis que l’on commence à se poser des questions sur les origines des Américains et sur les Préada-mites, le Père Guy Tachard s’interroge et interroge les siens : existe-t-il des nations corrompues à un point tel qu’elles ne puissent prétendre au salut ?
Un discours stéréotypé : le portrait des Hottentots dans les récits du chevalier de Chaumont, de l’abbé de Choisy et de Claude de Forbin
Les gentilshommes et les missionnaires qui composent l’ambassade du chevalier de Chaumont et qui ont laissé une relation de leur périple voyagent de concert. Ce sont les mêmes grands temps et les mêmes petits incidents qui rythment leur voyage. Aussi est-ce la raison pour laquelle leurs relations sont aussi proches les unes des autres. Depuis plusieurs décennies déjà, le portrait des Hottentots ou Cafres ou Sauvages du Cap de Bonne-Espérance est un élément qui fait partie intégrante de la relation de voyage aux Indes orien-tales et c’est parce que les membres de l’ambassade du chevalier de Chaumont tirent leurs informations des mêmes sources, qu’il s’agisse de lecta, de visa ou d’audita, que le portrait qu’ils livrent de ces sauvages est presque identique d’une relation à l’autre. Qu’il s’agisse du chevalier lui-même, de Choisy, de Masurier ou de Forbin, tous ont en commun de poin-ter les mêmes traits, de stigmatiser les mêmes pratiques et de fustiger les mêmes travers. Comme leurs prédécesseurs, tous s’accordent à reconnaître que les sauvages hottentots sont de toutes les nations la plus infâme qui soit au monde. Choisy, qui est sans doute celui qui se montre le plus clément à leur égard, écrit : « Ils paraissent bonnes gens, ont la taille belle, l’air dégagé, assez maigres, de belles jambes, les dents blanches, les yeux vifs et pleins d’esprit, le teint basané, toujours de bonne humeur, mais fort malpropres et puants. » (4) « Les naturels du païs ont la physionomie fine, note Alexandre de Chaumont, mais en cela fort trompeuse, prévient-il aussitôt, car ils sont tres-bêtes. » « [Ils] sont Cafres, un peu moins noirs que ceux de Guinée, bien faits de corps, très dispos », remarque Forbin, mais c’est aussi, corrige-t-il « le peuple le plus grossier et le plus abruti qu’il y ait dans le monde » Masurier n’énonce pas un jugement fort différent lorsque, décrivant la population du Cap de Bonne-Espérance, il écrit : « La pluspart des Habitans sont Hollandois, & le reste des Negres. A quelque distance de là, dans une espece de prairie, sont les premiers Habitans de ce lieu, qu’on nomme Outantos, qui est, je crois la Nation du monde la plus infame. » Ce jugement aussi féroce est loin d’être neuf ; déjà dans une lettre écrite « A la Baye de la Table au Cap de Bonne-Esperance, ce 24 juin 1684 » et publiée dans le volume ordinaire de novembre 1687 du Mercure Galant, le Père Le Blanc écrivait, dans des termes fort semblables : « Les Sauvages Outentos sont les plus infames et les plus laids de toute la Terre habitable. On n’en a pas assez dit dans toutes les Peintures qu’on a faites d’eux. » Tous s’attachent également à caractériser de manière plus ou moins circonstanciée leur mode vestimentaire et leurs mœurs phagiques. « Ils mettent de la graisse à leurs cheveux, écrit Choisy, mangent leurs poux dont ils ne manquent pas, se couvrent les épaules et les parties honteuses d’une peau de mouton ; le reste du corps nu. Les femmes se mettent autour des jambes des boyaux qu’ils mangent quand ils ont faim. » (5) « [I]ls sont tout nuds, à la réserve d’une méchante peau dont ils se couvrent une partie de leur corps, note Chaumont ; ils ne cultivent pas la terre ; mais ils ont beaucoup de bestiaux, comme moutons, bœufs, vaches & cochons. Ils ne mangent presque jamais de ces animaux-là & ne se nourrissans quasi que de lait & de beure qu’ils font dans des peaux de mouton. Ils mangent d’une racine qui approche du goût de noisette au lieu de pain. Ils ont la connoissance de beaucoup de simples, poursuit-il, plus positif, dont ils se servent pour guerir leurs maladies & leurs maladies & leurs blessures. Les plus grands Seigneurs parmi eux sont ceux qui ont le plus de bestiaux, qu’ils vont garder eux-mêmes ; & ils ont le plus souvent des guerres les uns contre les autres sur le sujet de leurs pâturages. Les bestes sauvages les incommodent beaucoup en ce lieu-là, quantité de lions, de leo-pards, de tigres, de loups, de chiens sauvages, d’elans & d’elephans : tous ces animaux leur font la guerre ainsi qu’à leurs bestiaux. Les armes dont ils se servent sont de certaines lances qu’ils empoisonnent pour faire mourir ces animaux quand ils les ont blessés ; ils ont des especes de filets avec lesquels ils enferment leurs bestiaux la nuit. » (6) « Ces peuples vivent sans religion, surenchérit Forbin ; ils se nourrissent indifféremment de toutes sortes d’insectes qu’ils trouvent dans les campagnes ;ils vont nus, hommes et femmes, à la réserve d’une peau de mouton qu’ils portent sur les épaules, et dans laquelle il s’engendre de la vermine qu’ils n’ont pas horreur de manger. » (7) Mais la description la plus détaillée est à mettre au crédit de Masurier : « Ce sont gens extremement noirs, écrit-il, qui n’ont pour vestement qu’une peau de mouton, & pour maison qu’une cabane de jonc, où ils vivent confusément hommes, femmes, & enfans, ne mangeant que de la viande des Animaux qu’ils trouvent morts d’eux-mesmes. Le Mary pour se rendre agreable à la Femme se graisse de vieille ordure, & sur tout du sang de quelque animal. Ils laissent coler & secher ce sang sur eux. Leurs cheveux, qui sont pareils aux cheveux des Maures, sont frotez d’une certaine composition de noir avec de la graisse, & ils y pendent quantité de coquillages, de cloux, & de pieces d’airain. Les Femmes, outre les mesmes ornemens des hommes, ont cela de plus, qu’elles s’entourent les bras & les jambes des boyaux des moutons qu’ils mangent, pour s’en servir de nourriture lorsqu’elles se trouvent engagées dans les deserts. »  (8) Jean Donneau de Visé est conscient que la description de la région du Cap de Bonne-Espérance et de ses habitants que livre Masurier n’est pas sans évoquer les descriptions contenues dans les nombreuses relations de voyage aux Indes orientales qui ont déjà été imprimées. C’est la raison pour laquelle il fait précéder la lettre du Père Marcel le Blanc, qui comporte également une description de la région du Cap et un portrait des Sauvages Hottentots, d’un avertissement dans lequel il excipe de son intérêt (9). Chaque portrait qui est livré des Hottentots comporte son ou ses éléments inédits. Mais il s’agit moins pour le voyageur d’enrichir un portrait qu’un certain nombre d’éléments a déjà profondément ancré dans l’imaginaire collectif, que de livrer un élément qui prouve de manière irréfutable qu’il a bien effectué le voyage du Cap. Celui-ci consiste en une observation – « ils ont des especes de filets avec lesquels ils enferment leurs bestiaux la nuit » écrit Chaumont –, une affirmation – « Ils couchent tous ensemble pêle-mêle, sans distinction de sexe, dans de misérables cabanes, et s’ac-couplent indifféremment comme les bêtes, sans aucun égard à la parenté » écrit Forbin –, mais il revêt fréquemment la forme de l’anecdote – Choisy relate ainsi com-ment on rend la justice chez les Hottentots. « Le roi des Outentos vint lui-même au Cap assommer à coups de bâton cinq de ses sujets qui avaient tué un Hollandais, écrit-il. Il les laissa sur le carreau, et les Hollandais les pendirent à une potence où ils sont encore. » (10) –.
Sur le plan de la religion enfin, tous s’accordent à reconnaître que les Hottentots n’ont pas de religion tout en précisant par ailleurs qu’ils se livrent à des cérémonies et à des sacrifices. « Ils n’ont guères de religion, écrit Choisy. Seulement quand ils ont besoin de pluie pour leurs pâturages, ils en demandent à un certain Etre qu’ils ne connaissent point et qui demeure, à ce qu’ils disent, tout là-haut, et lui offrent en sacrifice du lait, qui est la meil-leure chose qu’ils aient. Le secrétaire de M. le commissaire général les a vus autour d’un bassin de lait, les yeux élevés au ciel et dans un profond silence. C’est un fort honnête homme qu’il faut croire sur sa parole. » C’est sur ces mots que Choisy clôt son portrait des Hottentots. Après avoir livré quelques observations sur la faune et le vin du Cap, il écrit, fidèle à la démarche qui est la sienne : « Je suis las d’écrire du Cap. Si dans la suite je me souviens de quelque autre chose, je le fourrerai où je pourrai. Ce n’est pas ici une relation en forme ; ce sont des lettres très familières où l’on met tout ce qui vient au bout de la plume. Par exemple, devais-je oublier les racines, les herbes, les fleurs ? Il y en a une infinité que M. d’Aquin ne connaît pas et dont il ferait un bon usage pour le service du genre humain. Je tâcherai de lui en porter quelques-unes. »  (11) « Ces peuples-là n’ont point de Religion, cependant dans la pleine Lune ils font quelques ceremonies, mais qui ne signifient rien » écrit plus laconiquement le chevalier de Chaumont dont la propre incompréhension face à ces rites et à ces croyances renvoie à celle de ses contemporains (12). Si ceux-ci ne voient pas dans ces cérémonies, dans ces rites et dans ces cultes une once de religion, c’est d’abord parce que pour eux, celui qui ne croit pas en Dieu ne croit pas : il adore. Ensuite parce qu’ils sont intimement convaincus que, parce qu’ils comptent parmi les êtres les plus laids, les plus sales, les plus grossiers, les plus immondes qui soient sur le globe, les Hottentots ne peuvent pas raisonnablement prétendre au salut et qu’ils ne peuvent pas non plus être convertis. Une voix pourtant se fait entendre qui estime au contraire que les Hottentots peuvent être convertis. C’est celle du Père Guy Tachard. S’il reprend dans la description qu’il livre des nations hottentotes un certain nombre de traits qui figurent dans les récits de ses compagnons et de nombre de ses prédécesseurs, il reste parmi les missionnaires, le premier à les avoir réhabilités.
Un discours discordant : le portrait des Hottentots dans le second livre du Voyage de Siam des Pères jésuites du Père Guy Tachard
Le second livre du Voyage de Siam, intitulé « Voyage du Cap de Bonne-Espérance à l’île de Java » est quasi exclusivement consacré au Cap et comporte, à l’instar des relations rédigées par les autres membres de l’ambassade, un portrait circonstancié des Hottentots. Ce second livre a cette particularité de donner à lire la « traduction exacte » d’une Relation latine des environs du Cap avec « une petite carte faite de sa main » et « quelques figures des habitants du pays et des animaux les plus rares » que lui a communiqués un médecin originaire de Breslau qui y réside depuis plusieurs années, un certain Heinrich Claudius (13). Telles qu’elles sont décrites dans cette relation, les nations hottentotes apparaissent sous un jour très positif. « [C]es peuples, lit-on, ignorent la création du monde, la rédemption des hommes & le Mystére de la tres-sainte Trinité. Ils adorent pourtant un Dieu, mais la connoissance qu’ils en ont est fort confuse. Ils égorgent en son honneur des Vaches & des Brebis, dont ils luy offrent la chair & le lait en sacrifice, pour marquer leur recon-noissance envers cette divinité, qui leur accorde, à ce qu’ils croyent, tantôt la pluye, tantôt le beau tems, selon leurs besoins. Ils n’attendent point d’autre vie après celle-cy. Avec tout cela ils ne laissent pas d’avoir quelques bonnes qualitez qui doivent nous empêcher de les mépriser. Car ils ont plus de charité & de fidélité, les uns envers les autres, qu’il ne s’en trouve ordinairement parmy les Chrêtiens […]. Ces peuples sont partagez en diverses nations qui ont toutes la même forme de vivre. Leur nourriture ordinaire est le lait & la chair des troupeaux qu’ils nourrissent en grande quantité […]. » Suit une description des différentes nations qui peuplent la région, qui n’est pas sans rappeler celle qu’a insérée Olfert Dapper dans sa description de l’Afrique. Guy Tachard prend ensuite le relais de Claudius afin de relater « ce qu'[il a]vu [lui]-même de ces peuples » et « ce qu'[il]en [a]appris de quelques personnes fort sûres. »  (14) S’il re-prend les inénarrables clichés relatifs aux mœurs, pratiques et coutumes hottentotes, il leur reconnaît en contrepartie une naïveté qui est la marque de leur innocence naturelle et qui les conduit naturellement à être heureux. « Les Hotentots étant persuadez, écrit-il, qu’il n’y a point d’autre vie, ne travaillent qu’autant qu’il faut pour passer doucement celle-cy. A les entendre parler, lors même qu’ils servent les Hollandois, pour avoir un peu de pain, de tabac ou d’eau de vie, ils les regardent comme des Esclaves qui culti-vent les terres de leur païs, & comme des gens sans cœur, qui se renferment dans des maisons & dans des Forts pour se garantir de leurs ennemis, tandis que leur nation campe en sûreté par tout où il luy plaît, au milieu des campagnes & des plaines sans s’abaisser à labourer les champs. Ils prétendent par cette maniére de vie faire voir qu’ils sont les maîtres de la terre & les plus heureux peuples du monde, puisqu’ils sont les seuls qui vivent en liberté & en repos, en quoy ils font consister leur bonheur. » À l’inverse des officiels et des membres qui composent l’ambassade du chevalier de Chaumont, Guy Tachard juge qu’en dépit des répugnantes pratiques qui sont les leurs, « la Barbarie n’a pourtant pas tellement effacé dans ces peuples tous les traits de l’humanité, qu’il n’y reste quelque vestige de vertu. » (15) Comme l’a bien vu Sophie Linon-Chipon, Guy Tachard est d’abord et essentiel-lement « un scientifique au service de la religion. » Si, en tant que scientifique, il rappelle au tout début de sa relation que l’expédition dépêchée au Siam a pour mission de réactualiser les savoirs en matière de géographie, de navigation et d’astronomie, en tant que jésuite, il n’oublie pas qu’il a pour mission de rappeler à tous les païens qu’ils sont enfants de Dieu. Guy Tachard est sans doute celui des pères qui reste le plus fidèle à l’esprit de la Compagnie et à celui de son fondateur Ignace de Loyola. Les Exercices spirituels et les Constitutions sont sur ce point sans ambiguïté : les Pères de la Compagnie ont pour mission d’aller de par le monde porter le message divin afin que ceux qui se sont égarés retrouvent le chemin de la vraie foi. Pour Guy Tachard, les Hottentots ne sont pas irrémédiablement perdus mais il convient de se donner les moyens de les convertir (16) :
« De tout ce que je viens de dire, conclut-il sur le chapitre du Cap, on voit assez que cette partie de l’Afrique n’est pas moins peuplée, moins riche ny moins fertile en toutes sortes de fruits & d’animaux, que les autres déjà découvertes, quoy qu’on l’ait négligée si long-temps. Les peuples qui l’habitent ne sont ny cruels ny farouches, & ils ne manquent ny de docilité ny d’esprit. On le reconnaît mieux chaque jour par le commerce que les Hollandois entretiennent avec eux. Mais leur grand malheur, & qu’on ne sçauroit assez déplorer, c’est que tant de nations si nombreuses n’ont nulle connoissance du vray Dieu, & que personne ne se met en état de les instruire. On va à la vérité dans toutes leurs terres & on les visite chez eux jusques dans leurs plus épaisses Forets, on traverse leurs déserts brûlans, & on surmonte leurs montagnes les plus escarpées avec beaucoup de fatigue, de dépense et de péril. Mais tout cela ne se fait, déplore-t-il, que pour découvrir leurs Mines, pour connaître l’abondance de leurs provinces, pour apprendre leurs secrets, & la vertu de leurs simples, & pour s’enrichir de leur com-merce. Cette entreprise, à la vérité, & l’exécution d’un dessein si grand et si difficile, poursuit-il, seroit très-louäble, si le zèle du salut de leurs âmes y avoit un peu de part, & si en trafiquant avec eux, on leur enseignait le chemin du Ciel & les véritez éternelles. » (17)
Le second livre du Voyage de Siam du Père Tachard est agrémenté d’une riche icono-graphie. Sur les onze gravures qui la composent, deux donnent à voir des habitants du Cap, des « Hottentots » et des « Namaquas », qui par leur candeur contrastent avec la description peu amène qu’en livre Guy Tachard dans les pages que l’imprimeur a situées de manière opportune en vis à vis (18). Les autres gravures, qui donnent à voir des animaux, sont plus en accord avec le texte et renvoient bien à cette Afrique à la fois encore étrange et toujours étrangère avec laquelle les Européens entrent en contact lorsqu’ils font halte au Cap. Guy Tachard est, de tous les membres de l’ambassade du Chevalier de Chaumont, celui qui, globalement, livre sur les Hottentots le portrait le plus positif. Mais il est surtout le premier voyageur à écrire noir sur blanc qu’il croit en leur conversion.
Un discours fabriqué de toutes pièces : le portrait du Hottentot dans la Relation du voyage de Siam et de l’Ambassade du Chevalier de Chaumont
Les récits, journaux et mémoires relatifs au voyage de Siam du chevalier de Chaumont ne sont pas tous imprimés ni même entièrement rédigés au retour de l’ambassade en 1686 (19). Le vif intérêt que soulève en cette même année la venue d’une ambassade siamoise en France suscite un enthousiasme exceptionnel chez les journalistes et gazetiers. Aussi le Mercure galant, le périodique mondain fondé et dirigé par Jean Donneau de Visé, publie-t-il très tôt des lettres et articles rendant compte de l’ambassade du chevalier de Chaumont avant de faire paraître une relation très détaillée de cette ambassade par Don-neau de Visé lui-même, la Relation du voyage de Siam et de l’Ambassade du Chevalier de Chaumont, avant même que vienne à paraître la relation du chevalier lui-même, la Rela-tion de l’ambassade de Mr. Le Chevalier de Chaumont à la cour du roi de Siam, en 1687. Ecrite d’après « divers mémoires » et « plus ample » que la relation écrite par le chevalier de Chaumont lui-même, cette relation comporte un portrait des plus féroces des Hottentots :
« Les habitants, note Jean Donneau de Visé, décrivant les indigènes peuplant la région du Cap de Bonne-Espérance, y sont doux, assez bienfaisants, et il n’est pas difficile de s’accommoder de leurs manières, mais ils sont laids, mal faits, de petite taille, et ont plus de rapport à la façon de vivre des bêtes qu’à celle des hommes. Leur visage est tout ridé, ils ont les cheveux remplis de graisse ; et comme ils se frottent le corps d’huile de baleine, et qu’ils ne mangent que de la chair crue, ils sont si puants qu’on les sent de loin. Ils ne mangent leur bétail que lorsqu’il est mort de maladie, et ce leur est un fort grand ragoût qu’une baleine morte, jetée par la mer sur le rivage, ou les tripes chaudes d’une bête. Ils les secouent fort légèrement, et les mangent avec les ordures, après en avoir ôté les excréments dont quelques-uns se servent pour se frotter le visage. On leur a donné le nom de Cafres, et les hommes et les femmes n’ont qu’une peau coupée en triangle pour se couvrir ce que la nature apprend à cacher. Ils se l’attachent avec une ceinture de cuir au milieu du corps. Quelques-uns se couvrent les hanches d’une peau de bœuf ou de lion. D’autres portent une peau qui leur descend depuis les épaules jusque sur les hanches, et plusieurs se découpent le visage, les bras et les cuisses, et achèvent de se défigurer par les caractères étranges qu’ils y font. Les femmes portent au bras et aux jambes des cercles de fer ou de cuivre, que les étrangers troquent avec elles toujours à leur avantage. Ils demeurent en de petites huttes où ils vivent avec leur bétail sous un même couvert. Ils n’ont ni lit, ni sièges, ni meubles, et s’asseyent sur leurs talons pour se reposer. Ils ne vont vers la mer que lorsqu’ils savent qu’il est arrivé quelque navire, et qu’ils peuvent troquer leur bétail. Ils ont aussi des peaux de lion, de bœuf, de léopard, et de tigre, qu’ils donnent pour des miroirs, des couteaux, des clous, des marteaux, des haches, et autres vieilles ferrailles. » (20)
En réunissant les éléments qui composent traditionnellement le portrait des Sauvages du Cap et en surenchérissant dans l’abjection pour susciter le dégoût et la pitié de ses lecteurs, Jean Donneau de Visé fabrique un portrait qui est à l’image de sa relation. Mais à la différence du chevalier et des autres membres de l’ambassade, il n’a pas fait le voyage du Cap, et bien que sa relation soit très proche dans la composition, le style et le ton, du journal de voyage, elle n’en demeure pas moins une relation écrite après coup, un discours littéralement fabriqué de toutes pièces dont le portrait du Hottentot est le noir joyau.
Si les Hottentots font figure dans les portraits que brossent d’eux les membres de l’ambassade du chevalier de Chaumont qui ont laissé une relation de leur périple, de « Nation du monde la plus infame » pour reprendre l’expression du Père Masurier, une voix discordante, celle du Père Tachard, s’élève pour les réhabiliter et dire combien il croit en leur conversion. Mais l’ambassade du chevalier de Chaumont n’a pas été dépêchée pour convertir au christianisme les Hottentots, qui passent assurément pour être la race la plus maudite de toute la descendance de Cham. Elle a été mise sur pied pour assurer la conversion du roi siamois Phra Naraï et de ses sujets au christianisme (21). En l’absence de volonté politique de véritablement s’attacher à la conversion de ces peuples oubliés de Dieu dans les confins de l’Afrique et livrés aux superstitions les plus infames, le Hottentot va demeurer encore quelques années dans l’imaginaire collectif européen, cet infâme sauvage que Jean Donneau de Visé se plaît à fabriquer dans sa Relation du voyage de Siam et de l’ambassade du chevalier de Chaumont, en surenchérissant dans l’abjection, pour inspirer aux lecteurs et lectrices du Mercure galant, avides d’ailleurs et d’exotisme, sans doute autant de pitié que d’horreur.

1. Cette abondante littérature réunit des textes fort divers : des lettres – Mgr Louis Laneau, Lettre de M. l’évêque de Métellopolis, vicaire apostolique de Siam, datée de Siam le 25 octobre 1691, et reçue en France le 2 novembre 1692, Paris, Charles Angot, 1693 –, des discours – Harangues faites à Sa Majesté et aux Princes et Princesses de la maison royale, par les ambassadeurs du roi de Siam, à leur première audience et à leur audience de congé, Paris, Sebastien Mabre-Cramoisy, 1687 –, des relations de voyage – Robert Noguette, Relation du voyage et des missions du royaume de Siam ès années 1681 et 1683, Chartres, Estienne Massot, 1683 ; Simon de La Loubère, Du Royaume de Siam, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1691, 2 vol. –, des relations de mission – Mgr François Pallu, Relation abrégée des missions et des voyages des évêques français envoyés aux royaumes de la Chine, Cochinchine, Tonquin et Siam, Paris, Denys Bechet, 1668 ; Relations des missions des évêques français aux royaumes de Siam, de la Cochinchine, de Camboye, du Tonkin, Paris, Pierre Le Petit, 1674 –, des sommes historiques – Claude de l’Isle, Relation historique du royaume de Siam, Paris, Georges de Luyne, 1684 ; Nicolas Gervaise, Histoire naturelle et politique du royaume de Siam, Paris, Claude Barbin, 1688 ; Urbain de Souchu de Rennefort, Histoire des Indes orientales, Paris, Arnould Seneuze, 1688 ; Marcel Le Blanc, Histoire de la révolution du royaume de Siam arrivée en 1688 et de l’état présent des Indes, Lyon, Horace Molin, 1692, 2 vol. –, des journaux – Le Mercure galant (1680-1690) de Jean Donneau de Vis頖… Sur cette riche littérature : Dirk Van der Cruysse, Louis XIV et le Siam, Paris, Fayard, 1991.
2. Chevalier Alexandre de Chaumont, Relation de l’ambassade de M. le chevalier de Chaumont à la Cour du roi de Siam […], Paris, Arnould Seneuze et Daniel Horthemels, 1686. 2 parties en 1 vol ; Abbé François-Timoléon de Choisy, Journal du voyage de Siam fait en 1685 et 1686 par M. L. D. C., Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy, 1687 et Journal ou Suite du Voyage de Siam. En forme des Lettres familières fait en 1685 et 1686 par Mr.L.D.C. […], Amsterdam, Pierre Mortier, 1687 ; Comte Claude de Forbin, Mémoires du comte de Forbin […], Amsterdam, F. Girardi, 1729, 2 vol. ; Guy Tachard, Voyage de Siam des Pères jésuites envoyez par le Roi aux Indes et à la Chine, avec leurs observations […], Paris, Arnould Seneuze et Daniel Horthemels, 1686 et Amsterdam, Pierre Mortier, 1687 ; Joachim Bouvet, Voiage de Siam du Père Bouvet, Leyde, Brill, 1963, « Publications under the Auspices of the Southeast Asia Program Cornell University. » Édition établie par Janette Gatty. Le manuscrit porte à la dernière page la mention suivante : « A Louvau dans le Royaume de Siam, le 11 décembre 1685. » C’est à Guy Tachard que Joachim Bouvet a confié le soin de rapporter son manuscrit en France ; Jean-François Gerbillon, Relation du Révérend Père Gerbillon, de la Compagnie de Jésus […]. Guy Tachard a également été chargé de rapporter ce manuscrit en France. Dix-sept pages d’extraits ont été publiées par Michault. Michault, Mélanges historiques et philologiques, Paris, Tilliard, 1754 et 1770, I, 258-274.
3. « On mettra rarement en cause la vérité du voyage, ajoute Normand Doiron. Jamais on ne contestera la valeur de vérité que confère au discours l’expérience du lieu. » Normand Doiron, « Voyage et vérité » [in]Scritti sulla Nouvelle-France nel Seicento, Bari / Paris, Adriatica / Nizet, 1984. Prefazione di Michel Lemire, p.11-26. Cit. p.12-13. « Pour se défendre de l’étranger, on l’absorbe ou on l’isole, écrit Michel de Certeau. L’Eglise est une société, or toute société se définit par ce qu’elle exclut. Elle se constitue en se différenciant […]. Parce qu’elle est aussi une société, poursuit-il, quoique d’un genre spécial, l’Eglise est toujours tentée de contredire ce qu’elle affirme, de se défendre, d’obéir à cette loi qui exclut ou supprime des étrangers, d’identifier la vérité à ce qu’elle en dit, de dénombrer les « bons » d’après ses membres visibles, de ramener Dieu à n’être plus que la justification et « l’idole » d’un groupe existant. » Michel de Certeau, « L’étranger » [in]L’Etranger ou l’union dans la différence, Paris, Desclée de Brouwer, 1991, p.14-15. Le discours du missionnaire va s’imposer tout au long du dix-septième siècle comme le lieu unique de l’expression de la vérité. Ce sont en effet les témoignages des missionnaires partis convertir les sauvages et notamment leurs descriptions de mœurs, coutumes, croyances et superstitions qui vont constituer autant d' »exemples » d’abord, autant de « preuves » ensuite, autant de « pièces à conviction » enfin à l’appui de cette vérité.
4. Journal du voyage de Siam fait en 1685 et 1686 par M. L. D. C […], op.cit., p.104. Si le regard que porte Choisy sur les Hottentots est quelque peu différent de celui de ses compagnons, c’est peut-être parce que sa perspective n’est pas la même. « Avec beaucoup d’humour, note Sophie Linon-Chipon, il manie l’anecdote avec finesse mais envisage tout de même son voyage comme l’occasion de se cultiver tant au contact des Jésuites qu’à celui des savants qu’il rencontrera sur place. Étant donné qu’il a décidé d’écrire tous les jours ce qui se sera passé dans la journée, il lui arrive d’être plaisamment futile. L’intérêt de ses remarques concerne surtout la vie à bord des navires durant ces voyages au long cours : la difficulté que l’on peut avoir pour manger et boire lorsque le navire tangue exagérément, les fêtes improvisées par les matelots pour animer le voyage, le soin qu’il faut porter aux malades, les prières aux moments difficiles lors des tempêtes par exemple. Cet aspect-là du voyage est rarement considéré par la plupart des voyageurs qui jugent inutile d’ennuyer le lecteur avec des remarques à leurs yeux sans intérêt. En ce sens là, Choisy met bien en évidence la particularité des voyages maritimes différents par nature des voyages par terre. Ainsi, son coup d’œil avisé lui permet de dresser des fresques très animées de la vie à bord. Tout entier tourné vers ce qui se passe à bord du navire, Choisy revient souvent sur la question du voyage comme parcours intellectuel et culturel. » Sophie Linon-Chipon, « L’ambassade de Siam de 1685 » [in]Gallia orientalis. Voyages aux Indes orientales, 1529-1722. Poétique et imaginaire d’un genre littéraire en formation, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2003, « Imago mundi », p.135-136.
5. Chevalier Alexandre de Chaumont, Relation de l’ambassade de M. le chevalier de Chaumont à la Cour du roi de Siam […], op.cit., p.9-10 ; Comte Claude de Forbin, Mémoires du Comte de Forbin […], op.cit., p.83. On évitera de se reporter à l’édition partielle très fautive qu’en ont donné les éditions Zulma. Le Voyage du comte de Forbin à Siam, Cadeilhan, Zulma, 1991. On se reportera plutôt à l’excellente édition intégrale qu’en a procurée Michèle Cuénin. Le Voyage du comte de Forbin à Siam, Paris, Le Mercure de France, 1993, « le temps retrouvé », p.77-196 ; Père Masurier, « Journal du Voyage des Ambassadeurs de Siam, depuis Brest jusques au Cap de Bonne-Espérance, avec ce qui s’est passé pendant leur séjour » [in]Le Mercure Galant, novembre 1687, p.169-209. Cit. p.205-206 ; Père Marcel Le Blanc, « A la Baye de la Table au Cap de Bonne-Esperance, ce 24 juin 1684 » [in]Le Mercure Galant, novembre 1687, p.209-228. Cit. p.214. Cette relation est suivie d’une « Lettre des Ambassadeurs écrite dudit Cap à M. Torf. » « Au reste fort paresseux, ajoute l’abbé de Choisy ; aiment mieux ne guères manger que de travailler, quoique leur souverain plaisir soit de manger. »Journal du voyage de Siam fait en 1685 et 1686 par M. L. D. C., op.cit., 104.
6. Chevalier Alexandre de Chaumont, Relation de l’ambassade de M. le chevalier de Chaumont à la Cour du roi de Siam […], op.cit., p.10. Si le portrait que Chaumont livre des Hottentots est assez commun et si sa relation est d’une « sécheresse accablante », pour reprendre l’expression utilisée par Dirk Van der Cruysse, c’est sans doute parce qu’il voyage en diplomate et non en curieux. Dirk Van der Cruysse, « Descendre à terre pour se délasser des fatigues de la mer » [in]Le Noble désir de courir le monde. Voyager en Asie au XVIIe siècle, Paris, Fayard, 2002, p.249.
7. Comte Claude de Forbin, Mémoires du Comte de Forbin […], op.cit., p.84. Que le portrait brossé par Forbin soit, de tous ceux livrés par les membres de l’ambassade, le plus féroce, n’est pas le fait du hasard. S’il a s’est bien rendu au Siam en compagnie du Chevalier de Chaumont, qui l’a par ailleurs invité à se joindre à lui, c’est seulement en 1729 qu’il fait paraître ses Mémoires dans lesquels figurent le récit de son voyage et sa description des Hottentots. Il n’est donc pas improblable que Claude de Forbin se soit inspiré des relations écrites par ses compagnons de voyage – qui ont toutes été imprimées et qui ont pour la plupart été rééditées – pour rédiger son propre récit.
8. Père Masurier, « Journal du Voyage des Ambassadeurs de Siam, depuis Brest jusques au Cap de Bonne-Espérance, avec ce qui s’est passé pendant leur séjour », op.cit., p.205-207.
9. « Comme les Relations des mesmes endroits faites par divers Voyageurs ont toujours quelque chose de different, écrit-il, & que souvent dans un mesme Païs, les uns font des remarques que les autres ne font pas, & voyent des choses pour lesquelles ces derniers n’ont point de curiosité, j’ay cru vous devoir encore faire part d’une Lettre qui est tombée entre mes mains, & qui est sur le mesme sujet que la precedente. Quoy que la matiere n’en soit pas nouvelle, tout ne laissera pas d’en paroistre nouveau. Il ne vous sera pas difficile de connoistre qu’elle est d’un des Peres Jesuites qui sont allez à Siam en qualité de Missionnaires. » Jean Donneau de Visé, Le Mercure Galant, novembre 1687, p.208-209. Cette nouvelle pièce versée au dossier de l’ambassade de Siam du chevalier de Chaumont participe de la stratégie éditoriale qu’a mise en place Jean Donneau de Visé et qui consiste, pour un même sujet, à imprimer dans les délais les plus brefs les documents les plus divers qui soient, lettres, mémoires, journaux, plaintes… et cela afin de soutenir en permanence l’intérêt de ses lecteurs.
10. Relation de l’ambassade de M. le chevalier de Chaumont à la Cour du roi de Siam […], op.cit., p.11 ; Mémoires du Comte de Forbin […], op.cit., p.84 ; Journal du voyage de Siam fait en 1685 et 1686 par M. L. D. C., op.cit., p.104-105.
11. Journal du voyage de Siam fait en 1685 et 1686 par M. L. D. C., op.cit., p.105. C’est dans la somme que Peter Kolb fera paraître en allemand en 1719 à Nuremberg que sera donnée à lire l’information la plus exhaustive sur les mœurs et coutumes religieuses des Hottentots. Peter Kolb, Caput Bonæ Spei Hodiernum Das ist : Wollstandige Beschreibung Des Afrikanis-chen Vorgeburges der Guten Hofnung […], Nürnberg, Peter Conrad Monath, 1719. C’est de cette édition que l’abbé Banier tirera notamment les informations relatives à cet Être qu’évo-que l’abbé de Choisy. « (g) L’Auteur cité au bas de la page dit, note Antoine Banier, qu’ils appellent Dieu, c’est-à-dire le Dieu invisible, Gounia Ticquoa ; ce qui signifie le Dieu, ou le Capitaine des Dieux. Le mot de Gounia seul n’est que pour un Dieu visible, tel que la Lune. Gounia signifie Capitaine ; ce qui rend l’idée qu’ils ont de Dieu conforme à celle qu’ils ont de leurs Chefs qu’ils appellent Gounias. (g) Kolbens, Relation du Cap de Bonne Espérance. » Antoine Banier, Histoire générale des cérémonies, mœurs, et coutumes religieuses de tous les peuples du monde […], Paris, Rollin Fils, 1741-1743, 7 vol. in. fol, vol.7, p.269-270.
12. Relation de l’ambassade de M. le chevalier de Chaumont à la Cour du roi de Siam […], op.cit., p.11. Ce culte fera l’objet d’une description détaillée dans le Caput Bonæ Spei Ho-diernum […] et dans l’Histoire générale des cérémonies, mœurs, et coutumes religieuses de tous les peuples du monde[…].
13. Le texte original de la relation latine composée par Heinrich Claudius auquel Guy Tachard a eu accès n’a à ce jour pas été retrouvé. On dispose en revanche pour cette période de deux autres relations latines : le Schediasma diarii, in quo de Saldanhaco sinu, Daxinsula, & praecipue de Promontorio Bonae Spei, huiusque tractus Incolis Hottentottis appel-latis de Wilhelm Ten Rhyne et le Elegans & accurata Gentis Africaniae circa promontorium Capitis Bonae Spei Hottentotten nuncupatae vulgo descriptio de Johann Wilhelm van Grevenbroek. Ces textes ont été réunis, traduits en anglais et publiés pour la première fois par Benjamin Farrington et Isaac Schapera en 1933. The Early Cape Hottentots. Original texts with translations into English by Benjamin Farrington et Isaac Schapera, Cape Town, Van Riebeeck Society, 1933. Rééd. : Westport, Negro University Press, 1970. Comme le texte original de la relation d’Heinrich Claudius, la carte ainsi que les figures originales des habitants et animaux du pays n’ont pas été retrouvées. Les différentes figures qui constituent la partie iconographique du second livre du Voyage de Siam ont été pour la plupart gravées par Corneille Vermeulen. Toutes n’ont pas été réalisées d’après les figures qu’a rapportées de son séjour africain le Père Guy Tachard. Le rhinocéros, par exemple, est directement inspiré du rhinocéros de Hans Burgkmair.
14. Voyage de Siam des Pères jésuites envoyez par le Roi aux Indes et à la Chine […], op.cit., p.94-95. Guy Tachard fait mine d’avoir sollicité plusieurs informateurs pour constituer sa documentation sur les différentes nations hottentotes qui évoluent dans les environs du Cap. Sa principale source demeure en réalité Heinrich Claudius. Quelques officiels parmi ceux que lui et les autres membres de l’ambassade ont été amenés à rencontrer ont pu lui communiquer un certain nombre d’informations, mais il reste indéniable que l’essentiel des connaissances qu’il a réunies est issu de la relation latine qu’il a traduite. Tous les éléments qui concernent les Sonquas, les Namaquas, les Ubiquas, les Gouriquas, les Haffiquas, les Gaffiquas, les Soufiquas et les Odiquas en sont directement issus. Le portrait des Hottentots qu’il insère entre la description des Sonquas et celle des autres Nations, qui est plutôt négatif, procèder des descriptions livrées par les officiels de la compagnie. Finalement, seul le portrait qu’il livre des populations vivant à l’intérieur des terres, qu’il a pu rencontrer au cours d’une expédition qui a duré près de cinq mois, et qui vient clore sa description de la région et de ses populations, sera véritablement le fruit de son regard.
15. Voyage de Siam des Pères jésuites envoyez par le Roi aux Indes et à la Chine […], op.cit., p.96-99. « Dès la première page de sa relation, remarque Sophie Linon-Chipon, il souligne le principal enjeu de cette expédition qui est « d’envoyer des hommes sçavans faire des observations dans les païs étrangers, afin de corriger par là les Cartes Géographiques, de faciliter la Navigation, & de perfectionner l’Astronomie. » » Sophie Linon-Chipon, « L’am-bassade de Siam de 1685 » [in]Gallia orientalis. Voyages aux Indes orientales, 1529-1722. Poétique et imaginaire d’un genre littéraire en formation, op.cit., p.132-134. Cit. p.134.
16. La question de la conversion de l’autre est essentielle pour Ignace de Loyola. C’est la raison pour laquelle elle occupe une place prépondérante autant dans les Exercitia Spiritualia que dans les Constitutiones Societatis Jesu. Exercitia Spiritualia. Auctore S. Ignatio de Loyola. Andreas Fruisius latine vertit. Praemittuntur Annotationes quaedam aliquid adferentes intelligentiae ad exercitia spiritualia, Romae, apud A. Bladum, 1548. Trad fr. : Exercices spirituels, Paris / Montréal, Desclée de Brouwer / Bellarmin, 1986, « Christus », 2 vol. Traduction par édouard Gueydan ; Constitutiones Societatis Jesu. Auctore S. Ignatio de Loyola, Romae, apud V Helianum, 1570. Trad. fr. : Constitutions de la Compagnie de Jésus, Paris, Desclée de Brouwer, 1988, « Christus », 2 vol. Traduction par François Courel. Introduction par François Roustang.
17. Voyage de Siam des Pères jésuites envoyez par le Roi aux Indes et à la Chine […], op.cit., p.110-111. Ce jugement est résolument neuf mais le salut des Hottentots ne retient pas l’intérêt de Louis XIV, lequel préfère se préoccuper du salut de Phra Narai et des Siamois.
18. « On notera au passage, écrit fort justement Sophie Linon-Chipon, le fossé qui existe entre une rhétorique particulièrement dépréciative et une illustration édulcorée qui contraste par sa douceur. Il semblerait que l’image se refuse à montrer l’horreur que la rhétorique fabrique sans frein. Il semble aussi que les auteurs des textes d’une part et les dessinateurs et graveurs d’autre part n’aient absolument pas la même conception de ces habitants. La culture de l’altérité qui les guide est tout à fait différente avec des fondements anthropologiques pres-que opposés, joint aux règles de l’art du dessin incompatibles avec un regard ethnologique. » Sophie Linon-Chipon, « L’Afrique insulaire, l’Afrique des caps, l’Afrique des marges : tex-tes et images de Jean Mocquet (1617) et de Guy Tachard (1686) sur la route maritime des épices », communication présentée le 14 mars 2002 à l’Université de Tunis La Manouba, lors du colloque du Centre international de Rencontres sur le XVIIe siècle (CIR 17). L’Afrique au XVIIe siècle. Mythes et réalités organisé par Alia Baccar.
19. L’abbé de Choisy écrit son journal au jour le jour, le chevalier de Chaumont consacre presque quotidiennement une partie de son temps à la rédaction de sa relation lorsqu’il se trouve en terres siamoises, le Père Guy Tachard, quant à lui, rédige également son journal au quotidien, mais il ne se privera pas de le compléter à l’aide des manuscrits des Pères Joachim Bouvet et Jean-François Gerbillon. Quant à Claude de Forbin, il ne fera paraître ses Mémoires qu’en 1729, des années après. Le manuscrit du Père Gerbillon n’ayant pas été à ce jour retrouvé, on ne peut que se risquer à des hypothèses : « Nous savons, grâce à Janette Gatty, note Dirk Van der Cruysse, que le P. Tachard a fait entrer dans son Voyage de Siam imprimé d’innombrables passages copiés tels quels de Bouvet sans la moindre référence. Je ne serais pas étonné, poursuit-il, si une étude systématique du manuscrit de Gerbillon devait révéler que les passages que Tachard n’a pas pris dans Bouvet sont empruntés à Gerbillon. Il ya de toute évidence, conclut-il non sans humour, une filiation fort étroite entre les relations des trois jésuites qui se sont plagiés allègrement ad maiorem gloriam. » Sur les probables emprunts du Père Tachard aux Pères Bouvet et Gerbillon : Janette Gatty, « Avertissement » [in]Joachim Bouvet, Voiage de Siam du Père Bouvet, op.cit., p.5 et Dirk Van der Cruysse, « Introduction » [in]François-Timoléon de Choisy, Journal du voyage de Siam, op.cit., p.26.
20. Jean Donneau de Visé, Relation du voyage de Siam et de l’ambassade du Chevalier de Chaumont [in]Le Mercure galant, juillet 1686, vol. ord., p.185-325 et vol. extr., p.1-296. Cit. p.195-199. Dans la « Lettre au Lecteur » qu’il publie dans le volume ordinaire de novembre 1686 du Mercure galant, Donneau de Visé écrit : « L’ambassade de M. le chevalier de Chaumont a été faite par lui-même en un seul volume, et la même ambassade, et non la suite, a été mise dans le Mercure de Juillet, et dans un volume entier qui lui sert de seconde partie. On a traité le même sujet, parce qu’on a eu divers mémoires pour faire cette relation plus ample. » Si l’on compare le texte de Donneau de Visé à ceux imprimés par les membres de l’ambassade en 1686 et en 1687, on note qu’un certain nombre de passages de la Relation du voyage de Siam et de l’ambassade du Chevalier de Chaumont sont forte-ment inspirés de la Relation de l’ambassade de M. le chevalier de Chaumont à la Cour du roi de Siam et du Journal du voyage de Siam fait en 1685 et 1686 par M. L. D. C. Il est fort peu probable que Jean Donneau de Visé ait consacré du temps à rechercher des copies de voyages manuscrits pour livrer l’information la plus exhaustive qui soit ; en effet, sa dé-marche est ici celle d’un journaliste, non celle d’un historien. Sur ce point : Fureur et barbarie. Récits de voyageurs chez les Cafres et les Hottentots, Paris, Cosmopole, 2003. Textes réunis par Domi-nique Lanni. Préface de François Moureau, p.78-85.
21. « Un roi se faire chrétien, un million d’âmes suivre son exemple, note Choisy dans son journal à la date du 22 avril 1685, voilà peut-être ce que nous allons voir ; voilà au moins ce que nous allons tenter. Y eut-il jamais un plus beau dessein ? Et peut-il entrer dans l’esprit de l’homme une idée plus noble, une pensée plus magnifique ? » Mais cette ambassade repose sur un véritable malentendu. Certes, depuis plusieurs années, Phra Naraï se montre bienveillant à l’égard des missionnaires français, il protège la religion catholique, a permis aux chrétiens de bâtir une église, observe, écoute, s’intéresse à ce qui se passe là-bas, en France, chez le plus grand des rois. Mais la vérité est qu’il n’a aucunement l’intention de devenir chrétien et de se convertir au catholicisme. Entreprise de glorification du règne de Louis XIV, la relation de Jean Donneau de Visé est riche d’enseignements quant à la perception par un lectorat mondain d’une altérité et d’un ailleurs résolument différents mais fantasmés. Elle fonctionne à la manière d’un miroir siamois ; c’est un miroir grâce auquel les sujets de Louis XIV découvrent le Siam mais dans lequel ils voient se refléter la grandeur et la magnificence louis-quartozienne. Sur ce malentendu : Dirk Van der Cruysse, Louis XIV et le Siam, op.cit., p.335-372.
///Article N° : 4026

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