La part de l’ombre des 4 fantastiques

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Shungu Wembadio ! Les 29 et 30 mars 2017, la saison culturelle « 100% Afriques » à La Villette programme le spectacle de Dieudonné Niangouna Papa Wemba/Le singe avait raison, créé au festival Les Subsistances de Lyon en 2016. Du théâtre musical où quatre superhéros s’emparent de la scène pour rendre hommage à Papa Wemba, héros de la rumba doté du pouvoir de ranimer l’extinction de vie, après la guerre… 

 « La performance est un couteau qui se venge très froidement »

Le marché de l’héroïsme 

Comme sorti d’un comic afrofuturiste, Athaya Mokonzi brandit son gant de boxe herculéen digne de l’Avenger Hulk et remplit la salle de la voix qui va avec. Dieudonné Niangouna campe un Super Sapeur anticapitaliste. Derrière ses platines, Pidj – clown d’un soir – se charge d’électriser ce petit monde. Et Ornella Mamba, exquise reine Zinga d’Angola, orchestre à l’avant-scène cette célébration dionysiaque et philosophique. Mais l’habit fait-il le super héros ?

Malheureusement non. L’héroïsme, c’est une dramaturgie qui, pour être efficace, doit obéir aux lois du marché, nous explique le Super Sapeur. Et ce marché est régi depuis 5 siècles par l’économie protocapitaliste du racisme. Son moteur, c’est le déni d’humanité, qui régule la bourse des valeurs héroïques : « Ils nous ont étudié pour savoir combien on allait leur rapporter. Tout est du business ! » Et pour expliquer pourquoi un chaînon venait à manquer, ils ont formulé la malédiction de Cham, condamnant ses descendants à … l’anti-héroisme. Comment dès lors, « rêver au-delà » ?

Mais, chez le peuple fon, nous dit-on, manger un blanc est un acte héroïque. Pourtant, sur le célèbre cliché des Jeux Olympiques de 1968 au Mexique, l’Histoire n’a pas retenu les poings levés de panthère noire de Tommie Smith et John Carlos. « Le héros c’est le blanc, c’est lui l’ordre du monde », lui dont le poing ne se lève pas. Son super pouvoir : être du bon côté du fusil. Mais les 4 fantastiques ne sont pas dupes : « Le héros, c’est le bâton des aveugles ».

Tout le monde ne sue pas

Ici, il s’agit d’en finir avec l’absolu d’un « super-Monde contemporain » et la banalité de « tout le monde » : le singe avait raison ! Ce singe, surgi d’une mémoire cruelle, est une figure subversive, un trickster qui parasite la ligne épique du temps. « Sony Labou Tansi n’a jamais cessé de désorganiser la Genèse », nous rappellent les 4 fantastiques : pour boxer le futur, il faudra d’abord célébrer le quotidien.

Un quotidien égrené au rythme d’une liste de gens ordinaires, tous dotés d’un supplément de vie. Car la vision « traîne en bas de nos chevilles » : il faudra humblement se baisser pour s’en saisir. Et le Sapeur sans démesure incarné par Niangouna demande : comment, dans cette hutte dérisoire, fut enfanté le génial Sotigui Kouyaté ? Comment nous arrivent les vrais héros ? Les vrais héros suent et forgent de nouvelles formes cachées dans l’ombre.

La part de l’ombre 

À chaque spectacle de Niangouna, sa situation. Ici, le plateau circulaire exhibe sa part d’ombre, et cette ombre est même la condition pour boxer. Car situer sa faillibilité d’homme, c’est motiver l’« orgueil de vivre et l’imagination du second souffle ». Et la blessure, c’est ce qui fait jaillir la musique, porteuse d’une temporalité concurrentielle : le rythme.

Ce rythme « qui rentre dans les gens », de la transe de Fela Kuti au performatif orchestre « Viva la Musica » de Papa Wemba, c’est un temps qu’« on ne peut pas tuer ». Voici comment la transmission conquiert l’immortalité. Et celui qui maintiendra l’écoute ouvrira de nouveaux mondes où le temps ne s’est pas épuisé. L’afrofuturisme, c’est l’écoute du rythme.

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