La photographie victime de son image

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Peu de noms marquants pour la photographie au Cameroun en dehors de George Goethe ou Nicolas Eyidi. La place est occupée par les « filmeurs », ces jeunes qui font des photos à la hâte. Les photographes les plus connus, Angèle Essamba Etoundi, Samuel Fosso, Bill Akwa-Bétoté, et bien d’autres, vivent hors des frontières. Quel avenir pour la photographie au Cameroun ? Etat des lieux.

Georges Goethe est né en Sierra Léone le 16 août 1897. Passionné de football et de photographie, il est à l’origine de la première équipe au Cameroun, qu’il crée en 1923. Il est aussi le pionnier de la photographie.
Agent commercial, il est envoyé au Cameroun en août 1922 par une holding britannique, la société John Holt. Son ordre de mission tarde à arriver, et pour passer le temps il photographie la ville, les marchés, les paysages et les hommes. Impressionnés, les rois et les chefs des villages font appel à lui. Il les fait poser et développe lui-même ses photos. Les joueurs de son équipe de football sont eux aussi pris en photo. Son ordre de mission ne lui parvient toujours pas, mais une pension lui est versée. Elle lui permet de vivre convenablement et de s’adonner à sa passion. A sa manière, il écrit une page de l’histoire du Cameroun. Muni d’une autorisation spéciale de l’administration coloniale, en train, en voiture ou à pied, il s’enfonce dans le pays profond. Les paysages, les villages, les bâtisses, les populations locales, les colons, il immortalise tout ce qu’il voit.
Au fil des années, la passion devient sa profession. Il finit par épouser une Camerounaise et s’installe définitivement à Douala où il crée son studio en 1931, Photo Georges, le premier du genre dans la ville. Il fait venir ses appareils d’Europe et forme les autochtones, se consacrant surtout au portrait, notamment des personnalités. Sur le terrain, il photographie les fêtes traditionnelles, les rencontres de football, les visites présidentielles ou les inaugurations officielles. D’année en année, il constitue des archives inégalables.
Lorsqu’il décède en 1976, son fils, Doualla Cyrille Goethe, reprend le flambeau. Photographe reporter, il se retrouve à son tour sur la route. Ses photographies paraissent dans des magazines Européens. A son tour, il photographie les sportifs, surtout les footballeurs et développe le studio  » Photo Georges « . Il gère l’héritage photographique légué par son père et fait lui aussi des émules. Nicolas Eyidi, un des rares professionnels reconnu, en fait partie :  » J’ai commencé par du Noir et Blanc, ensuite, je me suis mis au Labo où j’ai appris à faire des tirages.  »
Lorsque Nicolas Eyidi s’installe à son compte, à la fin des années 80, le terrain est surtout occupé par des agences étrangères qui travaillent avec leurs photographes. Avec ses économies, il monte un studio de prise de vue et s’équipe du matériel nécessaire : appareils numériques, scanner, mini Lab, ordinateurs. Son objectif est de créer une banque d’images, de se faire connaître et de rentabiliser son investissement. Il voyage, prospecte auprès des sociétés locales et propose ses images pour des publicités.
Les « filmeurs », photographes ambulants armés du même type d’appareil photo, un Zenit, sillonnent la ville à la recherche d’une cible. Les cafés, les parcs, les boites de nuits, les mairies, les bals, les baptêmes, les deuils, ils sont de toutes les fêtes. Avec la complicité de laboratoires de développement, ils proposent des images de mauvaise qualité à des prix défiant toute concurrence : la hantise des professionnels. Certaines entreprises, voire certains journaux n’hésitent pas à faire appels à eux pour des prises de vue occasionnelles.
C’est ce désordre qui pousse les professionnels à s’organiser autour de la Société nationale des droits d’auteur des cinéastes et des photographes (SOCIDRAP) mais elle tarde à se mettre en place. Conflits d’intérêt, divisions, les photographes peinent à s’organiser, leur image se dégrade.
Nicolas Eyidi n’a jamais exposé ses œuvres :  » Personne n’y croit. Les Camerounais pensent que lorsqu’on expose une photo, on doit automatiquement gagner de l’argent.  »
Diaspora renommée
Angèle Essamba-Etoundi a été formée à l’école professionnelle d’Apeldoorn, aux Pays-Bas. Son travail est surtout axé sur le portrait qu’elle pratique essentiellement en noir et blanc. Elle s’illustre par sa capacité de transmettre des émotions fortes par le développement des contrastes, l’harmonie, l’utilisation des courbes du corps féminin, le geste. L’ensemble de son œuvre est une sublimation de la femme. Elle a souvent exposé en Afrique, notamment à Bamako, lors des Rencontres Photographiques et à la biennale de Dakar. Ses photographies ont fait le tour du monde. Au Cameroun, où elle a aussi exposé ses oeuvres, seuls les galeristes et quelques professionnels connaissent son travail. Peu connue du grand public, elle a été reçue comme une photographe étrangère.
Dans un autre genre, Samuel Fosso, à qui on attribue la nationalité centrafricaine, est né au Cameroun en 1962. Il passe son adolescence au Nigeria qu’il doit quitter en 1972 suite à la guerre du Biafra et s’installe alors à Bangui. Il apprend le métier sur le tas puis ouvre son premier studio, le  » Studio National  » trois ans plus tard. Il y fait des portraits mais développe surtout son propre style. A travers ses autoportraits et ses propres mises en scènes, il affine son art de façon théâtrale. Son studio lui sert de cadre, ou même de laboratoire. Il le rebaptise successivement le  » Studio Confiance « , parce que la population de la capitale afflue, puis le  » Studio Gentil « , parce que c’est ce qu’on dit de lui, puis  » Studio Hobereau  » en 1979,  » Studio Convenance  » en 1982. On décèle à travers son œuvre une réflexion sur la condition de l’homme en Afrique. Ses tenues vestimentaires illustrent les préoccupations de la jeunesse. Découvert par Bernard Descamps en 1993, il expose ses autoportraits en 1994, à la première édition des Rencontres de Bamako. Le photographe possède toujours son studio, ses autoportraits voyagent à travers le monde.
Les photographies de Bill Akwa Betoté illustrent sa personnalité :  » Un mélange de genres « . Des images festives dont l’esthétique traduit l’ambiance, voulue par le photographe. Autodidacte, c’est en 1976 qu’il se met véritablement à la photographie, quatre ans après son arrivée en France. Présenté aujourd’hui comme un pionnier de la photographie musicale africaine, Bill accompagne, dans les années 80, l’envol de la musique africaine. Musicien à ses heures perdues, il crée facilement le contact avec les musiciens et photographie au rythme de la musique. Il est l’auteur de nombreuses pochettes de disques et alimente la presse hexagonale. Son livre Musafrica sorti en 2001 grave ainsi l’histoire de la musique africaine.
La musique inspire à Bill Akwa d’autres projets, comme celui intitulé  » Corps instrumental « , commencé en 1990 :  » Je voulais jouer sur la beauté et l’esthétique. L’expression corporelle est très parlante et peut être liée à un instrument de musique. Le corps se laisse entraîner par la musique, les gens bougent à son rythme, ou font semblant d’en jouer.  » L’instrument et le corps sont en harmonie pour ne former plus qu’un. Des photographies en noir et blanc, entre ombre et lumière.
La photographie au Cameroun est un terrain peu occupé par les plasticiens. Certains comme Hervé Yemgen s’y essaient, d’autres l’intègrent dans des installations. Sans espace, il est difficile de se lancer vers la photographie, d’autant plus que les professionnels de l’art y sont peu ouverts.

Après des études de Science Politique à l’Université du Québec à Montréal, Samuel Nja Kwa s’est lancé dans le journaliste et la photographie. Il collabore pour de nombreux magazines parisiens et expose ses œuvres dans des festivals. Il prépare en novembre 2004 une biennale de la Photographie et des arts visuels intitulée Duta, dont le thème est  » Traces et Mémoires « .///Article N° : 3529

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