Octobre, fin de la saison des pluies au Burkina Faso. A trente de kilomètres de Ouagadougou, une piste mène au site de Laongo. Depuis 1989, s’y tient le Symposium International de Sculpture sur Granit. Pendant un mois, des sculpteurs – cette année Européens et Africains- viennent exercer leur talent sur les rochers d’une campagne aride.
Pour cette quatrième édition, l’inauguration s’ouvre sur le rite coutumier du sacrifice du mouton. Puis, les artistes assistent au cérémonial beaucoup plus aseptisé des autorités ministérielles. Cette année, le Directeur de la Direction du Patrimoine Culturel a à s’expliquer sur les récentes transformations du site, dénoncées avec force par les artistes. En effet, une somme importante a été investie dans des structures d’accueil touristiques. Dès à présent, un mur délimite ce qui n’était avant qu’une brousse mystérieuse aux rochers sculptés. Les artistes menaçaient de le détruire : » On est d’accord pour faire payer le site, mais si on est venu à Laongo, c’est parce qu’on voulait que les sculptures soient dans la nature, sinon on serait resté à Ouaga ! « .
Leur colère apaisée, les 22 sculpteurs ont investi les lieux. Les Burkinabè – Siriki Ky, initiateur du symposium, Ali Nikiéma, Guy Compaoré, Vincent de Paul Zoungrana, Jean-Luc Bambara, Léon Edgar Rouamba, Claude-Marie Kabré et Sayouba Bambara – conçoivent le granit comme un vieil ami que l’on retrouve régulièrement.
Mais pour les autres, comment se passe la relation entre l’artiste et son matériau dans la savane africaine, loin du cadre habituel de l’atelier fermé ? Pour le français Jacques Versari : » On se promène et quand on tombe amoureux d’un rocher…C’est comme une rencontre avec le rocher et le rocher parle « . Marielle Genest a su aussi s’adapter : » Je travaille habituellement par assemblage, avec du plastique, du fer, du ciment. Ici, tu te confrontes à un bloc de pierre, c’est très différent. Mais finalement j’ai allié les deux et j’ai fait des assemblages en pierre « .
De l’idée à sa réalisation, la sculpture sur granit devient une lutte avec les éléments. Les artistes, blancs de poussière, se battent avec la pierre, les corps arc-boutés, les visages masqués se protégeant des éclats tranchants et de la poudre de granit. Partout ce n’est que bruit de marteaux-piqueurs, de burins, de groupes électrogènes essoufflés. Etrange impression d’un chantier éclaté, attaquant la nature de toute part.
Au point de vue des thèmes, l’Afrique est toujours à l’honneur à travers des représentations » exotisantes « . Ainsi, Jean-Luc Bambara s’intéresse à : » L’envoûteur et l’envoûté. Le premier, avec la flèche et les yeux fermés parce qu’il veut faire du mal et ne rien voir et l’envoûté, les yeux ouverts et la bouche fermée, il ne peut rien dire, on l’empêche de vivre ce qu’il voulait. Il est réduit au silence absolu « . Quant à Vincent de Paul Zoungrana, il a choisi d’illustrer son » Identité africaine » par » un Nuba avec la lèvre percée et une autre tête, marquée de cicatrices ethniques « .
Le corps est très présent à Laongo comme si c’était le meilleur médium pour les pensées que les hommes ont à exprimer. Mais le corps est aussi sculpté comme un hommage à la beauté. On retrouve la femme, et ses formes rondes que les mains des visiteurs continueront à polir, notamment dans les oeuvres de Guy Compaoré : » J’ai toujours représenté la femme. La première c’était une danseuse, la deuxième c’était la fécondité. La suite logique c’est le repos de la femme, cette année. Le corps abandonné, le sommeil profond, dans la nuit… « .
La richesse de Laongo, c’est aussi la rencontre d’artistes d’horizons divers et un formidable lieu d’échanges en perpétuelle évolution : » C’est une année intéressante parce qu’on peut tourner autour des sculptures. Avant la plupart des oeuvres étaient des bas-reliefs. Maintenant les oeuvres ne sont plus bloquées sur des surfaces planes, elles ont plusieurs dimensions « .
Ainsi, on se promène entre les arbres pour découvrir un vol d’oiseaux lisses de Lionel Schewzuck, un poisson isolé au soleil et tatoué d’un visage enfantin de Léon Rouamba, une tortue ensablée affrontant les rochers du Togolais Sewa Neglokpe, un masque étrangement humain de Sayouba Bambara, une énorme stelle en granit poli où se débattent des ânes en bronze de Bachir Hadji, plus abstraite, une arête tranchante et brillante émergeant d’un bloc rugueux de Goran Cpajak, ou les cubes concaves de Ulrike Ahme…
Le symposium dure un mois, le temps de discuter de préoccupations communes aux artistes du Nord comme du Sud : » Les artistes d’ici ont beaucoup plus de difficultés pour vendre leurs oeuvres et pour acheter le matériel. Déjà en France c’est difficile, mais ici… « . Et Jacques Versari poursuit en guise de conclusion : » L’Afrique, ça apporte une autre dimension, au point de vue des relations ; c’est une découverte. J’appréhende plutôt le retour en France parce que je vais retrouver un monde beaucoup plus fermé avec des gens toujours préoccupés par le travail et beaucoup moins disponibles qu’ici… »
Car le champ artistique burkinabé jouit encore de cette marge de liberté d’action. Les artistes de Ouagadougou ont le privilège de bien se connaître, et si cela peut bien sûr entraîner une certaine concurrence, il faut aussi considérer que c’est un formidable atout de solidarité. On semble encore loin du monde clos et atomisé évoqué ci-dessus, de l’isolement et des soumissions aux institutions de certains artistes occidentaux. Et la rancoeur suscitée par le mur de Laongo peut évoquer d’un point de vue symbolique, le refus de voir importer en Afrique la récupération institutionnelle et politique de l’art. Laongo apparaît alors comme un lieu de lutte et de résistance, une opportunité de graver en plein air le refus de l’enfermement des oeuvres et de leurs messages, le besoin de liberté d’expression sans barrière des artistes… du monde entier.
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