La Rencontre des chasseurs de l’Afrique de l’Ouest

Entretien de Françoise Ligier avec Fodé Moussa Sidibé

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Cet événement majeur cristallise une attention et des attentes forts variées à différents échelons de la société malienne. Il crée à la fois le support d’un dialogue entre les chasseurs, les institutions et la population, mais aussi celui d’un échange pour les chasseurs de toute la sous-région. L’intégration culturelle en Afrique de l’Ouest passera-t-elle par les chasseurs ?

Ce projet d’organiser une réunion de plusieurs centaines de chasseurs traditionnels venant du Burkina Faso, de Côte d’Ivoire, de Guinée, du Niger, du Sénégal et, bien sûr, du Mali est une grande première. D’où est venue cette initiative ?
Cette idée vient de M. Pascal Baba Coulibaly, actuel ministre de la Culture, du temps où il était encore chef de cabinet du président de la République. Alpha Oumar Konaré souhaitait à l’époque marquer l’entrée du Mali dans le 3ème millénaire par des manifestations qui pourraient avoir des prolongations dans l’avenir. Pascal Baba Coulibaly lui a suggéré cette rencontre régionale de chasseurs, proposition que le président a immédiatement adopté avec beaucoup d’intérêt.
Pourquoi avoir choisi les chasseurs ?
Le choix des chasseurs s’imposait pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ils constituent un des regroupements les plus importants et les plus anciens du Mali. Il ne faut pas oublier que les confréries de chasse sont à l’origine de la fondation des plus anciens empires et royaumes de ce pays. Il était tout à fait normal qu’on projette un éclairage nouveau sur cette confrérie. Deuxième raison : la confrérie de chasse, bien qu’étant très ancienne demeure également très actuelle et jamais rien n’a été fait pour la mettre en évidence et reconnaître l’importance qu’elle a eu dans notre pays.
Les chasseurs sont-ils encore nombreux ?
Il est difficile d’avoir une idée de leur nombre. Ce que l’on peut dire, c’est que dans les villages malinké, par exemple, tous les hommes valides à partir de 20 ans sont chasseurs car il suffit d’aimer la chasse et d’adhérer librement à la confrérie pour être considéré comme chasseur. C’est la même chose dans la région de Ségou. Chez les Dogons, on peut parler de 50% d’initiés. Dans d’autres endroits, le pourcentage varie. Le Wassoulou, au sud-ouest du pays, présente aussi une très forte concentration de chasseurs.
Les traditions des confréries sont-elles différentes selon les ethnies et les pays ?
Des différences existent, mais il subsiste toujours des similitudes profondes, en particulier la complémentarité entre la chasse en tant qu’activité économique et l’environnement spirituel qui l’entoure : connaissances ésotériques, lois internes au groupe, etc. Cette conception est commune à tous les chasseurs. Néanmoins, certaines confréries même éloignées géographiquement se révèlent plus proches que d’autres. Les migrations des populations font, par exemple, que les chasseurs du Mandé et ceux du sud de la Côte d’Ivoire se ressemblent beaucoup, ces peuples étant pratiquement les mêmes. Par contre, entre les chasseurs du Mandé et ceux du Niger, la différence est grande.
Revenons à notre projet de « Rencontre des chasseurs de l’Afrique de l’Ouest ». Quelle a été la réaction des chasseurs lorsqu’ils ont connu vos propositions ?
Elle a été partout très positive. Partout où nous sommes allés, nous avons rencontré une totale adhésion. Une des raisons principales : pour les chasseurs eux-mêmes, il était grand temps que l’on s’intéresse à eux dans ce pays. Ils apprécient surtout que ce soit le président de la République lui-même qui ait souhaité reconnaître ce qu’ils ont fait pour le Mali, depuis les temps immémoriaux jusqu’à nos jours. Parce qu’il ne faut pas oublier qu’ils continuent à assurer la sécurité dans les villages et dans tous les lieux où aucun système de protection n’est prévu. Heureux que l’on reconnaisse enfin leur utilité et leur valeur, ils ont adhéré tout de suite au projet, que ce soit à l’intérieur du Mali ou dans les pays voisins. Ils ont décidé de tout faire pour que les Rencontres se passent dans de bonnes conditions.
Mais qui a conçu le programme de ces rencontres ? Vous-même ou les chasseurs ?
Dès que le projet a été accepté dans son principe par le cabinet du président de la République, nous avons décidé d’y associer étroitement les chasseurs. On leur a expliqué le but que nous poursuivons et ils ont immédiatement amené des propositions que nous avons suivies. Le dialogue a été immédiat. A chaque étape, nous avons essayé les uns et les autres d’amener des éléments nouveaux pour bien « ficeler » le projet. C’est pourquoi il a fallu un certain temps pour mettre au point le programme définitif. Cette prise en compte ne s’est pas arrêtée au Mali, nous avons également réfléchi avec les chasseurs et les responsables des pays frontaliers afin d’intégrer leurs idées. Ce projet n’a donc pas été téléguidé par un petit groupe, il a été conçu en commun.
Des chercheurs spécialisés dans l’étude des chasseurs d’Afrique de l’Ouest vont participer aux manifestations prévues. Quelle place leur sera-t-elle réservée ?
Effectivement, nous attendons des chercheurs, non seulement d’Afrique, mais aussi d’Europe et des Etats-Unis. Le colloque qui les réunira aura plusieurs objectifs : dresser le constat de tout ce que les chasseurs ont apporté à l’Afrique de l’Ouest et de tout ce qu’ils peuvent apporter à la civilisation de l’universel ; réfléchir sur le passé, le présent et le devenir des confréries de chasse ; trouver comment mieux faire connaître la philosophie qu’ils ont créée et la mémoire qu’ils ont constituée depuis plus d’un millénaire. Donc tous les chercheurs vont réfléchir à un nouvel ancrage des chasseurs, nécessaire au développement de ce pays.
Mais n’est-il pas déjà un peu tard ? On constate que dans certains pays, les chasseurs s’engagent dans une voie politique et militaire. La direction qu’ils prennent n’est-elle pas dangereuse ?
C’est exact mais nous pensons qu’en attirant l’attention du grand public sur la valeur cultuelle et culturelle de cette confrérie, en attirant l’attention des chasseurs eux-mêmes sur ce qu’ils ont et ce qu’ils sont, nous arriverons à dégager une vision globale pouvant profiter à tout le monde. Tout d’abord, aux chasseurs eux-mêmes qui reprendront conscience de l’importance du rôle qu’ils peuvent jouer. Par exemple, il est possible de réintroduire des espèces animales dans les forêts classées et que les chasseurs soient eux-mêmes les gardiens et les responsables de cette opération. En confiant la brousse aux chasseurs, on pourra les aider à retrouver la conception traditionnelle de la chasse et éviter le dépeuplement de la forêt.
Quels sont les temps forts des manifestations que vous organisez du 26 janvier au 4 février 2001, dans ces trois sites que sont Bamako, Yanfolila et Ségou ?
Il y en aura beaucoup et je ne vois pas comment il serait possible de les classer. Tout d’abord, je penserai à la fête, au côté « profane » de ces journées : à la danse, au chant, à la musique qui permettront de découvrir que l’art des chasseurs inspire de près ou de loin la majorité des artistes d’aujourd’hui. Ecoutez bien les paroles des chansons : elles mettent en exergue les valeurs fortes de notre civilisation. Deuxième aspect, sans doute encore plus important car il plonge dans le cœur de chacun : le coté religieux, avec l’implantation de nouveaux lieux de culte, « les dankuns de l’unité, du partage et de la paix », mis en place par les maîtres-chasseurs de six pays et ouvrant la voie à de nouvelles rencontres ; avec la première initiation pour tous les hommes qui le souhaiteront, quelle que soit leur race ou religion (la confrérie des chasseurs ne demande que ça : avoir des frères partout dans le monde, aussi loin qu’ils puissent vivre). Un autre moment très fort sera le colloque, temps ouvert où les chercheurs pourront dialoguer avec les chasseurs non seulement dans la salle de réunion mais aussi sur le terrain, comme à Sibi, Yanfolila ou Ségou. Il faudrait également citer l’inauguration de la Maison de la chasse érigée à Yanfolila, à la fois musée, centre d’information sur les chasseurs et lieu de rencontre ; les spectacles prévus : la Geste de Ségou à Sékoro, masques et marionnettes à Markala, concert du Wassoulou à Yanfolila qui permettra de constater quelle utilisation la jeune génération réserve à la musique séculaire des chasseurs. Je fais certainement des oublis. L’important est que vous veniez et que vous puissiez découvrir cette étonnante civilisation.
Pour terminer, comment souhaitez-vous qualifiez ces rencontres ?
Plus qu’un constat sur le passé, une ouverture sur l’avenir.

Fodé Moussa Sidibé est responsable de l’organisation de la « Rencontre des Chasseurs de l’Afrique de l’Ouest » (26 au 31 janvier 2001), initiée par la Mission pour l’an 2000 et le ministère de la Culture du Mali.///Article N° : 1637

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