La seconde Biennale Danses Caraïbe

Une fragile vitalité

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La seconde édition de la Biennale Danses Caraïbe, coproduite par Culturesfrance et le Conseil national des arts de scène de Cuba, s’est déroulée à la Havane du 23 au 28 mars 2010. Si la pièce MalSon, de Susana Pous avec la compagnie Danza abierta a fait l’unanimité du jury dans la catégorie pièce collective, la faiblesse des pièces en compétition dans la catégorie solo n’a pas permis de dégager de prix. Retour sur une édition au bilan mitigé qui a eu le mérite de dégager les tendances de la création chorégraphique caribéenne.

 » L’histoire de la danse à Cuba est longue est complexe « , explique Noel Bonilla, directeur artistique associé de la biennale Danse Caraïbes et conseiller pour la danse du Conseil national des arts scéniques.  » Il y a bien sûr un fort héritage de la danse académique, avec notre référence absolue, Alicia Alonso, la directrice du ballet national. Notre gloire, c’est la formation technique et la performance physique. Nous avons encore beaucoup de respect pour le travail corporel. Mais, depuis les années 90, nous avons su prendre le virage de l’avant-garde et suivre nos propres chemins créatifs « . La Biennale Danse Caraïbes, initiée par CulturesFrance, a été l’occasion de prendre le pouls de la création cubaine contemporaine mais aussi de celle de toute une région, avec la participation de treize pays. De la confrontation de toutes ces écritures chorégraphiques aux identités très fortes, se dégagent plusieurs grandes tendances.
Tout d’abord, une certaine victoire de l’esprit sur le corps. Dans de nombreuses pièces, en effet, c’est le concept ou l’idée qui l’emportent sur la chorégraphie.  » La danse, ce n’est pas que le travail du corps. Nous sommes dans une recherche d’écriture contemporaine, de complexité « , note Noël Bonilla. Ainsi,  » Peso  » de la jeune chorégraphe cubaine Sandra Ramy évoque la monnaie nationale en utilisant la métaphore du cirque et en faisant jouer une comédienne de théâtre et une danseuse, tandis que la compagnie Rosario Cardenas monte sur scène avec  » Esto no es una danza  » (Ceci n’est pas une danse) et explore les dispositifs qui servent à construire une chorégraphie. Quant au Brésilien Vanilton Lakka, il pose la question (à laquelle il ne répond pas) dans le titre de sa pièce :  » Le corps est-il le médium de la danse ? « . Son solo, déroutant, fait aussi participer le public et déconstruit totalement l’image que l’on se fait d’un spectacle de danse…  » Aujourd’hui, la danse a abandonné le corps pour se loger dans la tête, elle laisse s’échapper la beauté. Cela m’inquiète. Le corps n’est pas que physique, il est aussi mental, spirituel, il a une mémoire. Le corps, c’est la seule vérité « , plaide, à contre-courant, le chorégraphe colombien Alvaro Restrepo.
Dans  » Bull dancing  » du Brésilien Marcelo Evelin, qui fait revivre la danse du taureau, créée pour la fête populaire du  » bumba meu boi « , le spectateur est noyé sous les couleurs, les masques et la musique. On est à la frontière du théâtre, avec des corps qui, pour certains, sont enrobés et n’appartiennent plus à des danseurs… La mise en scène prend toute la place. Luiz de Abreu (Brésil), Kettly Noël (Haïti-Mali) et Nelisiwe Xaba (Afrique du Sud) dans  » How come we are not the chosen one ? Étape de travail « , s’interrogent à voix haute : comment travailler et danser ensemble ? Comment concilier les ego, les visions et les cultures de chacun ? C’est très drôle, totalement décalé mais où est la danse ? Ceux qui en parlent le plus semblent en faire le moins…  » Il y a une vraie conscience mondiale que la danse n’est pas qu’une forme jolie mais un vrai moyen de communication, pour dire ce que l’on pense du monde. Ce que ces artistes nous disent c’est qu’ils ont besoin de s’arrêter, de réfléchir, de ne pas être des machines à produire du mouvement « , résume Sophie Renaud, la directrice artistique de la Biennale.
Cette dernière note une autre tendance forte : celle du nu,  » une mode plutôt européenne même si on la trouve au Brésil depuis quelques années. Lorsque nous avons effectué la sélection, j’ai été très étonnée car 75 % des propositions que nous avons reçues comportaient du nu. Je ne m’attendais pas à ça et c’est une nouveauté pour la région. Malgré tout, on peut évoquer des barrières culturelles concernant cette pratique car la nudité ne concerne que des corps blancs…  » Comme l’Argentine Natalia Tencer, dans  » Surnaturel  » (Argentine), ou les trois interprètes d’  » ATP  » (Uruguay).  » C’est une mise à nu, au sens propre. Mais les danseurs nous disent également, par ce biais, qu’ils veulent exister autrement que par la prouesse physique « , explicite Sophie Renaud.
Dernière tendance : la maltraitance des corps. Comme si les artistes présents à La Havane avaient souhaité tester leurs limites. La performance en extérieur,  » J’ai l’autorisation de la police d’être nu ici « , du Brésilien Ricardo Marinelli est assez significative. Le danseur-chorégraphe explore l’épuisement physique. Il a délimité un espace avec du scotch transparent. Le public est invité à payer pour le déshabiller, le rhabiller et le faire danser. Le soleil tape, les pièces s’égrènent. Il danse tant que les gens paient. Cela pourrait durer des heures, selon le bon vouloir des spectateurs. Dans  » Mangeons… all inclusive « , de la compagnie Christiane Emmanuel (Martinique), les danseurs terminent, épuisés et couverts de ketchup, de moutarde et de mayonnaise, à la fin de cette grande bouffe chorégraphique qui dénonce la société de consommation. Un banquet macabre et cannibale, au cours duquel rien n’est épargné à l’audience : rots, vomi, mastication…
Le jeune danseur cubain Abel Berenguer a, lui, présenté un magnifique solo,  » Instinto de conservacion  » (Instinct de conservation), dans lequel il se protège les coudes, les genoux, les poignets, puis enlève toutes ses protections d’un coup.  » Nous, les danseurs, nous nous battons constamment contre notre corps car ce que nous faisons n’est pas naturel. On se blesse souvent. Alors, on se protège, c’est dans la nature humaine de vouloir être en sécurité. Mais, à un moment, vous décidez d’enlever toutes vos protections et d’être vous-même « , explique-t-il. Pour Sophie Renaud,  » le constat est là : les corps se dénudent, sont violentés, maltraités. Cela révèle une lassitude, un désabusement face au monde tel qu’il va. Ou plutôt, tel qu’il ne va pas… « 

Le palmarès du concours de la biennale Danse Caraïbes (La Havane, 23-28 mars) a sacré, pour le prix de la Meilleure œuvre collective, MalSon, de Susana Pous, avec la compagnie Danza abierta. Le prix : 3 000 euros et le soutien à une tournée internationale en 2011. En revanche, face à la faiblesse des pièces en compétition dans la catégorie solo, le jury a choisi de ne pas remettre de prix mais souhaite accompagner le travail de quatre chorégraphes. Julie Adami (Guyane) bénéficie une invitation d’une semaine au festival de Montpellier danse. Quant à Abel Berenguer (Cuba), Janoski Suarez (Cuba) et Jean-Aurel Maurice (Haïti), ils seront invités en résidence ou dans un festival.///Article N° : 9410

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