Les descriptions auxquelles donnent lieu les murs, pratiques et coutumes des nations sauvages consistent encore fréquemment à l’avènement du dix-huitième siècle, dans les relations de voyage, les rapports de missionnaires, les sommes géographiques et autres atlas, mais aussi dans les romans ou pièces de théâtre, en des agrégats de lieux communs, lesquels procèdent de la conjugaison d’images séculaires véhiculées par l’ima-ginaire collectif et de représentations neuves principalement fabriquées par les voyageurs (1). Mais les croyances, les légendes, et les mythes, la culture sauvage donnent aussi lieu dans le même temps à des travaux qui sont autant de tentatives de réexamen de la doxa et qui sont le fait de particuliers comme Fontenelle ou Bayle, ou d’institutions comme l’Académie des Belles-Lettres et Inscriptions. Parce qu’ils incarnent dans l’imaginaire collectif l’extrême altérité par excellence, les Cafres et les Hottentots vont tout particu-lièrement retenir l’intérêt des savants du premier tiers du dix-huitième siècle. Bien que son corpus africain soit des plus réduits, Pierre Bayle accorde aux Cafres et aux Hot-tentots une place prépondérante dans ses Pensées diverses [
], sa Continuation des Pensées diverses [
] ou encore sa Réponse aux questions d’un Provincial dans le sens où ceux-ci lui permettent d’exciper de la parfaite viabilité des sociétés athées. Mais sa posture constitue, dans la littérature scientifique du tournant des dix-septième et dix-huitième siècles, un véritable hapax. Pour les savants, les Cafres et les Hottentots restent ces nations inhumaines que l’on ne peut convertir. C’est cette représentation du Hottentot qui est véhiculée dans le chapitre consacré aux populations de la Cafrerie et du Monomotapa inséré dans l’Atlas de Nicolas Gueudeville. Mais le fait que le placard de Châtelain, agrégat de textes et d’images, situé en regard, donne à voir une représen-tation des Hottentots qui s’inscrit totalement en porte-à-faux avec elle, tend à prouver que dans l’imaginaire collectif des savants et des lettrés coexistent bien deux représen-tations opposées des Cafres et des Hottentots. C’est parce qu’il les a côtoyés durant plusieurs années et parce que les sources dont il s’est inspiré sont exhaustives que Peter Kolb pose sur les Hottentots un regard neuf et qu’il renouvelle totalement le savoir qui leur est relatif, au point de faire rapidement autorité, en termes de savoirs, sur les populations du Cap de Bonne-Espérance à la fin du premier tiers du dix-huitième siècle, dans les années 1720. C’est dans ces mêmes années que les murs, coutumes, pratiques et superstitions des nations sauvages font l’objet d’approches inédites dans diverses publications de membres de l’Académie des Belles-Lettres et Inscriptions (2). Résolument novatrices, ces approches annoncent les monumentales sommes consa-crées à l’étude de tous les peuples du monde, qui fleuriront durant le second tiers du siècle et qui connaîtront une remarquable fortune parmi les lettrés, les savants et les curieux.
Méconnu en dépit des voyageurs qui sont de plus en plus nombreux à faire halte sur ses côtes et de la remarquable description que lui a consacrée l’historien hollandais Olfert Dapper, l’Afrique est de tous les continents celui dont les populations ont le plus excité l’imaginaire collectif européen et engendré les préjugés les plus tenaces, dont se font notamment l’écho les rédacteurs de divers articles des Mémoires de Trévoux. A l’instar de nombre de polygraphes qui puisent leurs sources dans les récits de voyage pour alimenter leurs réflexions sur la nature humaine, Pierre Bayle se fonde sur un corpus africain des plus réduits (3). Mais à la différence de ses contemporains, c’est en lecteur critique qu’il exploite ses sources pour étayer ses développements philosophiques sur l’athéisme et la tolérance. Parmi les populations africaines qui retiennent son intérêt, les Cafres et les Hottentots lui permettent d’exciper de l’existence et de la viabilité de sociétés athées. Après avoir émis des doutes sur leur existence dans ses Pensées diverses écrites à un Doc-teur de Sorbonne à l’occasion de la Comète qui parut au mois de Décembre 1680 et écrit : « il n’y a point d’Annales qui nous apprennent les murs et les coutumes d’une Nation plongée dans l’Athéisme », il écrit dans sa Continuation des Pensées diverses [
]. Ou Reponses à plusieurs dificultez que Monsieur *** a proposées à l’auteur, à la suite notam-ment de sa lecture du chapitre consacré à la « Caffrarie » dans la Description de l’Afrique d’Olfert Dapper : « Pour prévenir la plainte que vous pourriez faire que je ne vous donne que des vraisemblances, je vous prierai de jeter les yeux sur la description du pays des Ca-fres. Vous y trouverez qu’ils sont Athées, qu’ils sont divisez en quelques Sociétés, chacune sous un seul chef, qu’ils ont des lois et qu’ils en punissent sévèrement les infractions. » (4) Cet exemple n’est pas le seul que Pierre Bayle verse au dossier de l’athéisme. Son uvre en contient d’autres, issus de diverses relations de voyage. Tous ces exemples sont cités dans le même but : montrer que le bon fonctionnement d’une société n’est pas tributaire de la soumission de ses membres à une divinité et que la religion n’est pas nécessairement source de vertu. C’est dans un célèbre épisode de l’histoire des Hottentots rapporté par Dapper que Bayle va trouver un exemple de la pénétration des peuples athées. Interrogé par les officiels du fort du Cap de Bonne-Espérance sur les raisons qui avaient poussé son peuple à se révolter, un prisonnier répondit que les co-lons hollandais lui avaient volé sa terre et celle de ses ancêtres et qu’en se révoltant, lui et les siens ne faisaient rien d’autre que de tenter de reprendre ce qui leur appartenait. « On lui répondit, écrit Bayle, que sa nation avoit perdu le Cap et les terres qui en dépendent par le sort des armes et qu’il leur étoit fort inutile de tenter de le ravoir. » Quel sophisme ! Quel mépris de l’état de la question ? s’insurge alors le philosophe. Etoit-ce sourdre la difficulté ? N’étoit-ce point s’en écarter de mille lieues, et alléguer pour toute raison la loi du plus fort ? Si l’on ne jugeoit que par là des lumières de ceux qui ont part dans ce dialogue, on concluroit que les Chrétiens n’avoient nulle idée de l’équité et que les Athées en étoient tout pénétrez. » (5) Pierre Bayle adopte donc une posture résolument audacieuse en soutenant que les sociétés athées existent et qu’elles fonctionnent, et en allant rechercher ses exemples chez les Cafres et les Hottentots. Mais son uvre n’est pas exempte de préjugés. « Les Caffres, écrit-il en effet dans sa Réponse aux questions d’un provincial, n’ont ni religion, ni connaissance de Dieu, et vivent presque comme des bêtes : tels sont les peuples de Mozambique, qui s’étendent à l’Orient de l’Afrique jusqu’au Cap de Bonne Espérance : il y en a beaucoup d’autres le long des côtes de la Mer Méditerranée, qui sont dans le même aveuglement. » (6) Pierre Bayle puise donc dans quelques relations de voyage les éléments qui lui permettent d’étayer ses thèses sur l’athéisme. Toutefois il ne se livre pas à une entreprise de destruction systé-matique de tous les préjugés relatifs aux différentes nations sauvages qui peuplent le globe.
C’est en 1705 que Nicolas Gueudeville, Henri de Limiers et Henri Chatelain commencent à faire paraître la partie africaine de leur Atlas historique (7). Dans la description qu’il livre de la Cafrerie, Nicolas Gueudeville brosse un éloquent portrait des Hottentots. Puisant principalement ses sources chez les voyageurs s’étant rendus dans les Indes au cours du dernier tiers du dix-septième siècle, il ne se prive pas de les fustiger en les présentant comme « les plus laids, les plus sales & les plus infâmes de tous les hommes. » « On n’en a pas assez dit dans toutes les peintures ridicules qu’on en a fait » s’enthousiasme-t-il. En regard de ce portrait figure un placard intitulé Coutumes Murs et Habillemens des Peuples qui habitent aux environs du Cap de Bonne Esperance. Réalisé par Chatelain d’après des textes et images empruntés au second livre du Voyage de Siam du Père Guy Tachard imprimé en 1686, ce placard est, tel qu’il est conçu, supposé livrer une représentation concrète des murs des habitants des côtes méridionales africaines, c’est-à-dire une représentation qui donne corps et consistance à la réalité de l’autre, via l’assemblage de matériaux cartographiques, iconographiques et textuels. Afin que le lecteur puisse embrasser du regard les populations, la faune, la flore des environs du Cap, les localiser sur une carte, et disposer sur cette région d’un certain nombre d’informations, Chatelain veille à combler efficacement l’espace de son placard c’est-à-dire à répartir les matériaux iconographiques et textuels de manière à ce que l’espace laissé vierge soit des plus réduits. Il distribue les onze gravures contenues dans le volume de Guy Tachard afin de pouvoir insérer juste au dessous ou à côté un commentaire. Au décor oriental qui sert de toile de fond à quelques unes de ses vignettes, il substitue un décor sauvage correspondant mieux à l’idée qu’un lecteur français peut se faire de l’environnement africain. Chatelain ne s’évertue pas à livrer des descriptions écrites de sa main. Il comble les vides de son placard avec des passages du texte de Tachard découpés de manière à ce qu’ils occupent entièrement l’espace qui leur est dévolu (8). Donnant l’image d’êtres doux et pacifiques, le placard de Chatelain s’inscrit dans la lignée de la tentative de réhabilitation des populations cafres et hottentotes entreprise par Guy Tachard. En cela il s’inscrit en porte-à-faux avec la description insérée par Gueudeville mais aussi avec la réalité de la première décennie du dix-huitième siècle. En fabriquant son dispositif, Chatelain a recomposé un monde qui n’est plus ; en effet, quand paraît l’Atlas historique, la situation des Hottentots évoluant dans la colonie et dans ses environs immédiats s’est considérablement dégradée. Ce ne sont pas de nobles sauvages que rencontrent et décrivent dans ces années les voyageurs qui font halte au Cap mais des vagabonds, des voleurs, de pauvres hères, des êtres qui cherchent par tous les moyens à métamorphoser leur quotidien, à échapper à leur misérable condition. Témoin de cette déchéance Luillier-Lagaudier écrivait déjà en 1702 : « Le peuple de ce pays, qu’on appelle Hotantots, approche plus de la bête que de l’homme ; ils adorent le soleil, au lever duquel ils se prosternent tous, et croient qu’ils ne reçoivent que de lui la vie et lumière. Leur manger ne diffère point de celui des bêtes. Comme ce pays est situé dans la zone tempérée, il y fait froid dans la saison ; mais pour s’en garantir ils se couvrent de peaux de mouton souvent à demi pourries et puantes. C’est une chose digne de compas-sion de voir ces pauvres malheureux : car enfin ce sont des hommes. » (9) Ce sont des vaga-bonds, des voleurs, des misérables qu’a aperçus Luillier-Lagaudier et si comme nombre d’auteurs qui vont brosser un portrait des Hottentots dans cette décennie sa description livre une image assez dégradante de ces sauvages, c’est d’abord parce que leur situation a considérablement évolué depuis le séjour au Cap de Guy Tachard en 1685. Le placard rend donc compte d’une réalité fantomatique. Parce qu’il ne donne à voir ni ce que sont les habitants de la région, ni ce qu’ils ont été, ce placard est avant tout un dispositif rhétorique et iconographique destiné à véhiculer dans l’imaginaire collectif l’image de Hottentots pacifiques. En cela, il constitue un exemple de l’efficace des modes de fabrication de l’autre, emblématique des arrangements mais aussi des contresens qu’ils engendrent
Si Peter Kolb séjourne au Cap de 1705 à 1713, c’est seulement en 1719 qu’il fait paraître en allemand, chez le libraire nurembergeois Peter Conrad Monath, un volumineux et coûteux in-folio : le Caput Bonae Spei Hodiernum. Son volume, la documentation réunie, l’originalité des planches, le soin accordé à son impression sont autant d’éléments qui tendent à indiquer que cette édition a été soigneusement préparée parallèlement à d’autres publications (10). Excepté le Schediasma de Promontorio Bonae Spei de Willem Ten Rhyne, avant la parution du Caput Bonae Spei Hodiernum, les écrits qui traitent du Cap de Bonne-Espérance sont soit des descriptions générales du continent africain soit des relations de voyages aux Indes orientales. En consacrant un ouvrage entier au Cap de Bonne-Espérance, Peter Kolb prend le parti d’opposer sa connaissance personnelle de la colonie aux descriptions livrées par les voyageurs ou rédigées d’après mémoires ou lectures par les historiens et géographes des cabinets européens. Si Peter Kolb a indéniablement consigné une masse importante de notes sur les Hottentots au cours de son séjour au Cap, à Drakenstein et à Stellenbosch, il apparaît évident qu’il les a à son retour confrontées aux ouvrages parus en allemand ou en hollandais. A plusieurs reprises, Peter Kolb s’appuie sur les observations du Père Guy Tachard, pour les confirmer ou les nuancer mais le plus fréquemment pour les réfuter. Lorsqu’il fait mention des remarques de Vogel sur les cérémonies nuptiales hottentotes, de Boeving sur l’aspect extérieur des huttes, de Meister sur leur commerce, de Marpenzer ou Merklin, c’est pour pointer leurs approximations et leurs erreurs. Lorsqu’il s’attache à décrire les diverses nations hottentotes, Peter Kolb puise une importante partie de son information chez Olfert Dapper. L’essentiel de ses emprunts provient cependant du Schediasma de Promontorio Bonae Spei de Willem Ten Rhyne on note de très nombreuses correspondances entre les intitulés des vingt-sept chapitres com-posant le journal de Wilhelm Ten Rhyne et les intitulés des vingt deux lettres de la somme de Peter Kolb et d’une source manuscrite connue des érudits et amateurs de voyages dès la fin du dix-septième siècle : l’Elegans et Accurata Gentis Africanae [
] Descriptio Epistolaris de Johannes Gulielmus de Grevenbroek l’idée de rédiger une partie de son ouvrage sous forme de lettres lui ayant peut-être été suggérée par la lecture des notes ma-nuscrites de cette Descriptio [
] (11). Peter Kolb divise son Caput Bonae Spei Hodiernum en trois parties : la première porte sur les trois royaumes naturels de la région, la seconde sur les murs hottentotes et la troisième sur la vie quotidienne des blancs établis au Cap. Kolb veille à n’omettre dans sa description des nations hottentotes aucun des aspects de leur vie ou de leurs murs. Par rapport à ses prédécesseurs, il s’efforce de fournir un maximum de détails en subdivisant chaque chapitre en autant de sous-chapitres que peut l’exiger la matière, ainsi que le montre clairement le sommaire extrêmement détaillé de son ouvrage. Toutes les rubriques renseignées par Ten Rhyne dans son Schediasma de Promontorio Bonae Spei et par Grevenbroek dans son Elegans et Accurata Gentis Africanae sont reprises, enrichies et glosées par Kolb dans son Caput Bonae Spei Hodiernum. En vingt-deux lettres, ce dernier traite de leur caractère, de leur physionomie, de leur langage, de leurs croyances religieuses, de leurs murs phagiques, de leurs pratiques sexuelles, de leur manière de se vêtir, de leurs mariages, de leurs funérailles, de leurs taches domes-tiques, de leurs habitations, de leur bétail, de leurs techniques de chasse, de leurs danses
S’il leur reproche leur atavisme, leur rancune tenace et leur goût prononcé pour l’alcool et s’il éprouve de réelles difficultés à cerner et à caractériser leur religion il n’en livre pas moins une minutieuse description de leurs cultes , il veille à ôter du savoir sur les pratiques hottentotes une partie des idées reçues dont les portraits qui en ont été livrés jusque-là sont habituellement corrompus, à identifier et expliquer les origines des préjugés dont ils sont victimes depuis des décennies, à débarrasser de leurs jugements de valeur les regards portés sur ces êtres par les voyageurs et les savants européens. L’information sur les murs hottentotes n’a jamais été aussi étoffée. Si Peter Kolb ne manque jamais de faire explicitement mention des auteurs dont il s’inspire, c’est pour pointer leurs erreurs, nuancer leurs propos ou réfuter leurs contributions, il tait en revanche ses sources, surtout si elles sont peu connues ou manuscrites, lorsque celles-ci contiennent des observations inédites. Cela n’est pas sans lui conférer une certaine originalité. Enfin l’iconographie fait l’objet d’un soin tout particulier (12). C’est donc fort logiquement que cette somme supplante tous les imprimés qui l’ont précédée. Grâce à Kolb, le savoir relatif aux murs hottentotes évolue donc quantitativement et qualitativement.
Tandis que Pierre Bayle puise dans les récits de voyage les éléments qui lui permettent d’étayer son argumentation philosophique, c’est dans les sommes des historiens antiques que quelques érudits de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres trouvent matière à renouveler leur connaissance des légendes mythes, croyances et sentiments religieux des nations sauvages. Parmi ceux-ci figurent Michel de Fourmont, qui publie en 1729, après que Fontenelle ait fait paraître son essai sur l’Origine des Fables en 1724, une dissertation intitulée De l’Origine et de l’ancienneté des Ethiopiens et Antoine Banier, qui publie successivement une Explication historique des fables en 1711, une Dissertation sur les Pygmées en 1729 et La Mythologie et les fables expliquées par l’histoire de 1738 à 1740 (13). Antoine Banier est le premier à élaborer une méthode de lecture des mythes antiques en vue de l’appliquer aux nations sauvages, dont les croyances apparaissent comme autant de fables et de mythes. Énumérant quatorze faits sociaux susceptibles d’être à l’origine de ces fictions à la lecture de l’Historiae naturalis de Pline, il entreprend donc de porter sur les nations sauvages dont les murs, coutumes et croyances sont décrites dans les relations de voyage un regard neuf. Comme les sommes des anciens, les relations de voyage abondent en faits merveilleux et récits fabuleux. Mais Banier juge les matériaux réunis par les voyageurs et l’ordre dans lequel ils sont agencés aléatoires. C’est la raison pour laquelle il entreprend de réunir et de présenter suivant le même ordre, pour chaque nation, les mêmes matériaux relatifs aux murs, rites et croyances. L’ouvrage dans la rédaction duquel il se lance est l’Histoire générale des cérémonies, murs et coutumes religieuses de tous les peuples du monde qui paraîtra en 1741. Cette appréhension de l’écriture de l’altérité, qui, sur le plan de la méthode, n’est pas sans rappeler les travaux de Dapper, vise à mieux com-prendre et à mieux faire connaître les nations sauvages. Sur le plan épistémologique, elle n’est pas neutre dans le sens où elle relègue le voyageur du côté de l’invention, du men-songe et de la fiction, et place l’historien du côté de la restitution, du réel, et de la vérité (14).
Au tournant des dix-septième et dix-huitième siècles, nombreux sont les savants qui à un titre ou à un autre s’intéressent aux murs des Cafres et des Hottentots. Avec la publication des écrits de Pierre Bayle, de l’Atlas historique de Nicolas Gueudeville, Henri de Limiers et Henri Chatelain, du Caput Bonae Spei Hodiernum de Peter Kolb, des mémoires de mythologie comparée de plusieurs membres de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et plus particulièrement des travaux de l’abbé Antoine Banier, les nations cafres et hottentotes, et avec elles d’autres nations sauvages emblématiques, se voient accorder une place de plus en plus importante dans les ouvrages scientifiques, qu’il s’agisse d’essais, de sommes géographiques, de monographies, ou de mémoires historiques. Les descriptions auxquelles elles donnent lieu tendent à confirmer que coexistent dans l’imaginaire collectif deux représentations opposées des Cafres et des Hottentots. Paradoxalement, c’est tandis que les Hottentots font l’objet de représentations plus positives en Europe que leur situation se détériore au Cap, suite à la terrible épidémie de variole qui s’est abattue sur la colonie et qui les a littéralement décimés. Tandis que le placard donne à voir des indigènes certes étranges mais dans une posture qui n’est pas dénuée de noblesse, les Hottentots qui vivent dans l’enceinte de la colonie ou non loin du port végètent misérablement, réduits à l’état de serviteurs, d’esclaves, de vagabonds, de voleurs. Les voyageurs européens de passage au Cap sont de fait assez surpris de constater que ces sauvages ne sont somme toute ni méchants, ni belliqueux, ni cannibales. Mais ils sont tout autant surpris de constater qu’ils n’ont rien des nobles sauvages représentés par Corneille Vermeulen qui ornent le Voyage de Siam de Tachard et le placard de Chatelain.
1. Il suffit pour s’en assurer de parcourir quelques-uns des récits ou recueils de voyages qui ont été imprimés ou réimprimés au cours du premier tiers du dix-huitième. Si certaines représentations et certains préjugés perdurent dans l’imaginaire collectif, c’est parce que les compilateurs sont intimement convaincus de livrer une image exacte de la réalité en puisant leurs sources dans les récits ou recueils de voyages. Les Lapons, les Samoyèdes, les Patagons connaissent, pour ne citer que les sauvages les plus emblématiques, au tournant des dix-septième et dix-huitième siècles, le même sort que les Cafres et les Hottentots. Les représentations dont ils font l’objet sont des représentations qui correspondent moins à ce qu’ils sont qu’à ce qu’ils ont été à une époque dans le regard des voyageurs européens et à ce qu’ils continuent de représenter dans l’imaginaire collectif. Rares sont les polygraphes qui s’appuient sur plusieurs sources lorsqu’ils ont à brosser le portrait d’une population des confins du monde ; le plus fréquemment en effet, ils tirent l’essentiel de leur information d’une seule et unique source. C’est la raison pour laquelle les atlas, les sommes géographiques et les cartes historiées continuent de véhiculer une image des plus négatives des Cafres, des Hottentots ou des habitants du Monomotapa à l’avènement du dix-huitième siècle. Sur ce point : Michèle Duchet, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Maspéro, 1971. Rééd. : Paris, Albin Michel, 1994, « Bibliothèque de l’Evolution de l’Humanité », p.65-66.
2. « C’est une chose apparemment établie, écrit Philippe-Joseph Salazar, que les cultures primi-tives ou sauvages se sont présentées à l’imagination européenne, avant le dix-neuvième siècle, à travers les relations, les romans et les rapports de missionnaires, constituant un champ narratif empruntant aux manuels de mythologie ancienne un souci de clarté dans l’exposition, aux histo-riens de l’antiquité, Diodore de Sicile et Pline l’Ancien, une méthode de description ethnologi-que et, dans le cas américain, une apologétique. Le « récit anthropologique », protéiforme comme son objet, aurait gagné par la suite une progressive autonomie, entre la fondation de la Société des Observateurs de l’Homme sous le Consulat et celle du Musée d’Ethnographie sous la Troisième République, avant les travaux de l’école positiviste sous la houlette de Marcel Mauss. Mais cette filiation représente en fait un discours de convenance, une doxa, fabriquée par les fondateurs de l’anthropologie, soucieux de démontrer, dans l’esprit de Comte, l’avènement ra-tionnel d’une nouvelle science humaine. » Philippe-Joseph Salazar, « Académiciens et Africains : une contre-naissance de l’anthropologie, 1710-1750 » [in]Anny Wynchank et Philippe-Joseph Salazar, dirs., Afriques imaginaires. Regards réciproques et discours littéraires (17e-20e siècles), op.cit., p.19-30. Cit. p.19. Or en se consacrant à l’étude de la culture antique, des membres de l’Académie des Belles-Lettres et Inscriptions vont s’intéresser à la culture sauvage, percevant en effet entre les deux un rapport d’analogie sur lequel on reviendra.
3. Ces relations sont l’Histoire de l’Ethiopie orientale de João dos Santos, la Description de l’Afrique d’Olfert Dapper la Nouvelle histoire d’Abissinie ou d’Ethiopie de Job Ludolf et l’Estat present de l’Empire de Maroc de François Pidou de Saint Olon et le Voyage de Guinée de Guillaume Bosman. Histoire de l’Ethiopie orientale composée en portugais par le R.P. Jean dos Santos, et traduite en françois par le R.P. Gaétan Charpy, Paris, Claude Barbin, 1684 et Paris, André Cramoisy, 1684 ; François Pidou de Saint Olon, Estat present de l’Empire de Maroc, Paris Brunet, 1694 ; Guillaume Bosman, Voyage de Guinée, Utrecht, Schouten, 1705. Le corpus africain de Bayle n’est pas seulement réduit ; il est des plus hétérogènes et l’usage qu’en fait le philosophe varie considérablement d’une source à l’autre. « Bosman est cité dans la Réponse aux Questions d’un Provincial, note Joy Charnley , Dapper dans la Continuation des Pensées Diverses et la Réponse, Dos Santos et Ludolf se retrouvent dans les Nouvelles de la République des Lettres, et Pidou de Saint Olon dans le Dictionnaire. Léon l’Africain est mentionné une fois dans le Dictionnaire, dans l’article « Antinoë », où Bayle cite son travail pour corriger un autre écrivain, mais à part cette référence, cette source n’est pas vraiment exploitée par Bayle. » Joy Charnley, « L’Afrique chez Pierre Bayle : réflexions sur des préjugés » [in]Anny Wynchank et Philippe-Joseph Salazar, dirs., Afriques imaginaires. Regards réciproques et discours littéraires (17e-20e siècles), op.cit., p.41-52. Cit. p.52.
4. Pierre Bayle, Pensées Diverses, écrites à un Docteur de Sorbonne, à l’occasion de la Comète qui parut au mois de Décembre 1680, Rotterdam, Reinier Leers, 1680, CXLV, p.435 et Conti-nuation des Pensées diverses, écrites à un Docteur de Sorbonne. À l’occasion de la Comète qui parut au mois de Décembre 1680. Ou Reponses à plusieurs dificultez que Monsieur *** a pro-posées à l’auteur, Rotterdam, Reinier Leers, 1705, CXVIII, p.353. « Cette exploitation de récits, écrit Joy Charnley, n’est pas laissée complètement au hasard, et se base sur deux facteurs importants. D’abord, nous remarquons que Bayle a une prédilection pour certains sujets ; la religion et la tolérance sont par exemple deux thèmes majeurs chez lui. Deuxièmement, il sélectionne toujours très précisément les références et les citations qu’il va donner, en fonction de leur utilité et de ses propres intérêts. Donc, poursuit Joy Charnley, c’est quand il y a coïncidence entre les intérêts de Bayle et le sujet d’un récit qu’un livre sera le plus exploité et le plus utile. Ce qui explique pourquoi il cite tant la Chine et le Siam chaque fois qu’il a envie de parler de la tolérance ces pays considérés au dix-septième siècle comme hautement tolérants, illustraient à merveille le propos de Bayle sur la nécessité et la possibilité d’une société tolérante . Chaque région du monde a tendance chez Bayle à être identifiée à un thème ou une idée en particulier, et pour l’Afrique, c’est la religion et l’athéisme. » Joy Charnley, « L’Afrique chez Pierre Bayle : réflexions sur des préjugés », [in]Anny Wynchank et Philippe-Joseph Salazar, dirs., Afriques imaginaires. Regards réciproques et discours littéraires (17e-20e siècles), op.cit., p.45.
5. Pierre Bayle, Continuation des Pensées diverses, écrites à un Docteur de Sorbonne. À l’occasion de la Comète qui parut au mois de Décembre 1680 [
], op.cit. Le passage auquel se réfère Bayle est le suivant. Il inspirera également Raynal et Diderot. « C’étoit au mois de juin de la même année, et la guerre avoit déja duré trois mois, lorsqu’au lever de l’Aurore, cinq cava-liers Hollandois rencontrerent cinq Hottentots, qui venoient d’enlever du bétail à un des gens de la Colonie. Les barbares se défendirent vigoureusement, et il y eut trois blessez de chaque côté. Eycamma l’un des Caffres blessez qui avoit reçu un coup de sabre à la tête et s’étoit rompu la jambe, fut porté sur un cheval dans le fort : mais Doman et son camarade se sauverent, traversant une riviere à la nage. On fit donc toute sorte de bons traitemens dans le château au blessé Eycamma, pour l’obliger à découvrir les motifs, qui avoient poussé sa nation à prendre les armes. « Et vous Hollandois, répondit le Caffre en colère, qui vous oblige à défricher nos terres et à semer du blé dans nos pâturages. Par quel droit vous venez-vous emparer de l’héritage de nos peres, d’un pays qui nous appartient de temps immémorial ? Et en vertu de quelle loi pouvez-vous nous dé-fendre de mener paître nos troupeaux dans des terres qui sont à nous, et sur lesquelles on ne vous a permis de descendre que pour vous y rafraichir en passant ? Et cependant vous disposez de nos biens en souverains, et vous nous faites tous les jours quelque nouvelle défense, d’approcher de telle ou telle terre. Que diriez-vous, si l’on vous alloit ainsi quereller dans votre pays, seriez-vous d’humeur à le souffrir ? » On lui répondit que sa nation avoit perdu le Cap et les terres qui en dépendent par le sort des armes, et qu’il leur étoit fort inutile de tenter de le ravoir. » Olfert Dapper, « De la Caffrarie ou païs des Hottentots » [in]Description de l’Afrique [
], op.cit., p.377.
6. Pierre Bayle, Réponse aux questions d’un provincial, Rotterdam, Reinier Leers, 1704-1707, Rééd. [in]uvres diverses, Hildesheim, Olms, 1966, vol.3, p.927.
7. Atlas historique ou nouvelle introduction à l’histoire, à la chronologie et à la Géographie Ancienne & Moderne représentée dans de nouvelles cartes […] par M. C*** [Chatelain], avec des dissertations sur l’histoire de chaque Etat, par M. Gueudeville […] et Supplément à l’Atlas historique […] par M. C*** [Chatelain], avec des dissertations sur chaque sujet, par M. de Limiers, Amsterdam, les frères Chatelain, 1705-1708. 2 tomes en 3 vol. in-fol. BnF, Dépar-tement des cartes et plans, G.837-839. Cet atlas a fait l’objet de trois rééditions au cours de la première moitié du dix-huitième siècle mais celles-ci n’ont pas été accompagnées d’importantes corrections. A l’instar des atlas sortis des presses des Blaeu au cours de la seconde moitié du dix-septième siècle, cet atlas vise à délivrer un savoir exhaustif sur le monde connu aux curieux et aux lettrés, mais surtout à l’élite fortunée. Soigneusement imprimés, ornementés et reliés, ces atlas figurent en effet parmi les livres précieux du temps et ce sont autant des objets d’érudition que des signes de richesse. Sur ce point : Catherine Bousquet-Bressolier, « L’il du cartographe ou réflexions sur un monde vu de près » [in]L’il du cartographe et la représentation géogra-phique du Moyen Age à nos jours, Paris, Editions du C.T.H.S., 1995, « Mémoires de la section de géographie physique et humaine », p.7-16.
8. Avant que paraisse en français la traduction du Caput Bonae Spei Hodiernum du Prussien Peter Kolb, c’est le Voyage de Siam du Père Tachard qui fait autorité sur le Cap et ses habitants. Avec cet ouvrage, Chatelain dispose sur le Cap et les Hottentots, d’un solide matériau textuel et iconographique. Quand Tachard écrit : « Ils adorent pourtant un Dieu, mais la connoissance qu’ils en ont est fort confuse. Ils égorgent en son honneur des Vaches & des Brebis, dont ils lui offrent la chair & le lait en sacrifice, pour marquer leur reconnoissance envers cette divinité, qui leur accorde, à ce qu’ils croyent, tantôt la pluye, tantôt le beau tems, selon leurs besoins. Ils n’attendent point d’autre vie après celle-ci [
] » Chatelain, remplaçant ici et là un mot par un autre et supprimant plusieurs propositions, écrit : « Ils adorent pourtant un Dieu, mais la connoissance qu’ils en ont est fort confuse. Ils égorgent en son honneur des vaches & des bufs dont ils lui offrent la chair & le lait en sacrifice. Ils n’attendent point d’autre vie après celle-ci. » « Traduction d’une Relation latine des environs du Cap » [in]Père Guy Tachard, Voyage de Siam des Pères jésuites envoyez par le Roi aux Indes et à la Chine, avec leurs observations, […], Paris, Arnould Seneuze et Daniel Horthemels, 1686. p.94 et Coutumes Murs & Habillemens des Peuples qui habitent aux environs du Cap de Bonne Esperance avec une Description des animaux et reptiles qui se trouvent dans ce Païs [in]Atlas historique ou nouvelle introduction à l’histoire […], op.cit. Tout le placard est conçu ainsi.
9. Luillier-Lagaudier, Voyage aux Grandes Indes avec une instruction pour le commerce, Paris, C. Cellier, 1705, p.14-15. C’est la raison pour laquelle les relations de voyage manuscrites ou imprimées comme celles laissées par les membres de l’ambassade du Chevalier de Chaumont, le Schediasma de Promontorio Bonae Spei de Willem Ten Rhyne ou le Der Orientalisch-indianische Kunst und Lust-Gärtner de Georg Meister et les sommes historiques comme le Naukeurige Beschrijvinge der Afrikaensche gewesten d’Olfert Dapper, qui paraissent à la fin du dix-septième siècle, ne font pas encore mention de la couille unique des Hottentots et du tablier des Hottentotes. La situation des Hottentots qui peuplent les pourtours du Cap de Bonne-Espérance se dégrade en l’espace de quelques années. S’ils ne sont pas esclaves, les résidents leur confient occasionnellement du travail, les maintenant par conséquent de fait dans l’extrême dénuement dans lequel ils végètent. Mais c’est surtout l’épidémie de variole qui frappe la colonie en 1713 et touche durement les résidents et leurs esclaves, qui décime littéralement en l’espace de quelques années, la communauté hottentote qui évolue dans la colonie et dans ses environs, et qui propulse dans un dénuement encore plus extrême les Hottentots qui lui ont survécu. C’est dans ces années qu’apparaîtront dans les témoignages des voyageurs les figures du Hottentot voleur, du Hottentot vagabond et de la prostituée Hottentote. Et c’est dans ces mêmes années que contre de la menue monnaie ou de la verroterie, Hottentots et Hottentotes dévoileront leur nature aux étrangers, contribuant par la même occasion à enraciner deux mythes : celui de la couille unique et celui du tablier.
10. Tandis que des soins lui sont prodigués dans un hospice dans la capitale batave, Peter Kolb publie en effet successivement Theosophia, dat is proefstuk der natuurlijke erkentenis Gods en 1714, De ecnephia vento Caputis Bona(e) Spei en 1715 et De aquia Capitis Bonae Spei sur les eaux du Cap, en 1716. Ces publications constituent l’essentiel de son uvre scientifique. Si c’est comme astronome qu’il a été envoyé au Cap, Peter Kolb s’est quelque peu désintéressé durant son séjour du climat, de la géologie, de l’hydro-graphie et de l’astronomie, de ce pour quoi on l’avait envoyé, pour se consacrer à la description du Cap de Bonne-Espérance. Le Caput Bonae Spei Hodiernum est l’uvre d’un homme qui y a séjourné douze années. Cette présence accorde indéniablement à l’époque à l’auteur un statut d’observateur privilégié. Caput Bonæ Spei Hodiernum Das ist : Wollstandige Beschreibung Des Afrikanischen Vorgeburges der Guten Hofnung […] von M. Peter Kolben […], Nürnberg, Peter Conrad Monath, 1719. In-fol, pièces limin., 846 p. Un exemplaire de ce très bel ouvrage est actuellement conservé dans un des fonds de la réserve de la Bibliothèque nationale de France. BnF., Réserve, M-2353.
11. Peter Kolb fait explicitement référence à Olfert Dapper et à sa somme dans sa troisième « Lettre ». Il écrit : « Vid. Dapper in Africa pag.602. 603. 614. & ex eo Arnold. In not. Ad. Merklin. Reise Beschreibung p.1100 ».Peter Kolb, « Der III. Brief. Van den unterschiedlichen Hottentotischen Nationen : und gegen welche Begend der Welt / Das ist : gegen Norden oder Often / iebe derfelben anzutreffen » [in]Caput Bonae Spei Hodiernum, op.cit., p.376-400. Cit. p.378. Willem Ten Rhyne séjourne au Cap du 15 octobre au 10 novembre 1673. Ce sont les réminiscences de ses lectures, ses propres observations, ses conversations avec les résidents et les Hottentots néerlandophones qui incitent ce savant féru de botanique à livrer un récit de son séjour. Son journal est donc un témoignage de première main. L’intérêt réside moins dans ce que l’auteur rapporte sur les murs hottentotes que dans sa description de la déchéance en moins de vingt ans de ces nations. L’un des rares exemplaires de son ouvrage qui soit parvenu jusqu’à nous est actuellement conservé dans un fonds de la South African Public Library au Cap. Cl. Wilhelmi Ten Rhyne, Schediasma de Promontorio Bonae Spei [
], Scafusii, Impensis foh. Mart. Meister. Typis foh. Mart. Osvaldi, 1686. Isaac Schapera, Benjamin Farrington ont, les premiers, mis en évidence les ressemblances existant entre les notes manuscrites de Grevenbroek et le texte de Kolb. Les deux hommes se sont notamment côtoyés à Stellenbosch et Kolb reconnaît dans son ouvrage même avoir eu en main un manuscrit de Grevenbroek. Sur ce point : Isaac Schapera et Benjamin Farrington, éd., The Early Cape Hottentots Described in the Writings of Olfert Dapper (1668), Willem ten Rhyne (1686) and Johannes Gulielmus de Grevenbroek, Cape Town, Van Riebeeck Society, 1933, p.162-167.
12. Entre les p.410 et 411 figurent deux illustrations dont s’inspirera Bernard Picart pour illustrer les « Honneurs religieux que les Cafres rendent à la Lune » et les « Honneurs religieux que les Cafres rendent à un Haneton. » Ces deux illustrations connaîtront une assez remarquable fortune : on les retrouvera notamment dans les ouvrages de Jean-Frédéric Bernard et Antoine Banier. « Der V. Brief. Van der Hottentotten Gottesdienst : und wie sie denfelben verrichten ; oderdem Schopffer aller Dinge/ Ehre erweisen. » [in]Caput Bonæ Spei Hodiernum Das ist Wollstandige Beschreibung Des Afrikanischen Vorgeburges der Guten Hofnung […], op.cit., p.406-419. Jean-Frédéric Bernard, Cérémonies et Coutumes religieuses de tous les Peuples du Monde [
], op.cit. ; Antoine Banier, Histoire générale des cérémonies, murs, et coutumes religieuses de tous les peuples du monde [
], op.cit., entre les p.270-271. Le nombre d’illustrateurs mobilisés et la finesse avec laquelle ces planches ont été réalisées laisse à penser que leur exécution a dû être particulièrement coûteuse. C’est sans doute pour cette raison que toutes les éditions qui suivront y compris l’édition allemande procurée par Peter Conrad Monath lui-même en 1745 présenteront des planches différentes des planches originales, moins travaillées et moins nombreuses, mais moins onéreuses aussi.
13. Fontenelle, De l’Origine des Fables [in]uvres mêlées, Paris, Michel Brunet 1724 ; Michel de Fourmont, De l’Origine et de l’ancienneté des Ethiopiens [in]Mémoires de l’Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1729, tome V, p.318-331 ; Antoine Banier, Explication historique des fables […], Paris, Le Breton, 1711, 2 vol. in-12. Rééd. : Paris, Le Breton, 1715, 3 vol. in-12. Seconde édition augmentée d’un troisième volume ; Dissertation sur les Pygmées [in]Mémoires de l’Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1729, tome V, p.101-116 ; La Mythologie et les fables expliquées par l’histoire, Paris, Briasson, 1738-1740, 3 vol. in-4°. « Après que l’Anglais Herbert de Cherbury eut disloqué le principe d’une prééminence de la religion chrétienne sur les autres religions de l’humanité, note Blandine Kriegel, les uvres de Fontenelle, l’Histoire des Oracles et l’Origine des Fables ont irrésistible-ment popularisé la double idée du caractère fabulateur des représentations religieuses et de l’unité de système de pensée de la fable. L’idée s’imposait que la mythologie correspondait à un stade primitif du développement de la pensée humaine, qu’il y avait eu une enfance de l’esprit humain et que le malheur de l’humanité était le malheur de tout homme tel que l’avait décrit Descartes : « Le malheur d’avoir été enfant avant que d’être homme. » » Blandine Kriegel, « L’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres » [in]L’Histoire à l’Age classique. Les Académies de l’Histoire, Paris, Presses Universitaires de France, 1988, « Quadrige », p.256.
14. « Ce débat, écrit Philippe-Joseph Salazar, n’est pas sans rappeler, notons-le, celui qui, sur une assise fermement rhétorique, tourmente la naissance de la science historique, partagée entre les tenants de la narration et ceux de la documentation érudite, qui prétendent les uns et les autres à pouvoir parler au nom du fait historique [
]. » Philippe-Joseph Salazar, « Académiciens et Africains : une contre-naissance de l’anthropologie, 1710-1750 » [in]Anny Wynchank et Philippe-Joseph Salazar, dirs., Afriques imaginaires. Regards réciproques et discours littéraires (17e-20e siècles), op.cit., p.22. « L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres se fait l’écho de ce qu’il faut peut-être considérer comme un événement capital du destin de la littérature, écrit ailleurs Philippe Salazar. Entre 1711 et 1717 plusieurs mémoires sont lus devant cette Compagnie dont la fonction, depuis sa réforme récente, est d’étudier les « Antiquités ». Ces conférences sont autant d’essais d’une critique de la Fable, dont l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres prend en charge le patrimoine face aux tendances résolument modernistes de l’Académie Française [
]. C’est cependant Antoine Banier qui montrera que « l’examen de la Fable relève désormais d’une his-toire comparée de la littérature ou, plus immédiatement, des cultes » dans son histoire des « céré-monies murs et coutumes religieuses de tous les peuples du monde ». Philippe-Joseph Salazar, « Les pouvoirs de la fable : mythologie, littérature et tradition (1650-1725) » [in]Revue d’Histoire Littéraire de la France, 1991, n°6, p.878-889. Cit. p.888-889.///Article N° : 4029