St. Pauli est un quartier légendaire au coeur de la ville de Hambourg. En 2013, le documentariste Rasmus Gerlach, tourne « Lampedusa auf St. Pauli », sur 300 réfugiés originaires de l’Afrique de l’Ouest ayant débarqué à Hambourg, et dont 80 ont trouvé refuge dans l’Eglise de St. Pauli. Des échos de lutte et de solidarité qui ne sont pas sans rappeler le combat des sans-papiers qui occupaient l’église St Bernard en 1996 à Paris, et les suites de ce mouvement.
« N’oubliez pas l’hospitalité, car c’est grâce à elle que quelques-uns, à leur insu, hébergèrent des anges. »
Épitre aux Hébreux, 13.2, souvent attribué à St Paul
St. Pauli, quartier célèbre et mal famé à la fois, quartier rouge avec la fameuse Reeperbahn, rue des nights-clubs, de la prostitution, de la drogue et de la criminalité organisée, quartier des étudiants, des artistes, des immigrants, mais aussi quartier branché, donnant sur le port et ses pontons, quartier chic, en proie à la gentrification, aux loyers aux augmentations vertigineuses ; quartier qui héberge le fameux club de foot FC St. Pauli qui selon le statut du club se veut un club antifasciste et antiraciste, quartier où, dans les années 60, a débarqué un groupe de musique de Liverpool, inconnu à l’époque qui s’appelait les Beatles et pour qui les concerts donnés aux clubs de la « Große Freiheit », la rue de la Grande Liberté, furent décisifs pour leur carrière – St. Pauli se trouve dans le Nord de l’Europe, sur le 10° méridien, à 2.000 km de Lampedusa, à 3.000 km de la Libye, à 5.000 de Lagos, de Lomé, d’Accra.
Hambourg compte la plus grande densité de millionnaires en Allemagne et la ville portuaire se vante d’être la « porte sur le monde ». Le film « Große Freiheit Nr. 7 » (La Paloma) a également largement contribué à cette image. Tourné en 1944 par le metteur en scène allemand Helmut Käutner à la commande de la propagande nazi mais interdit par le régime pour le « manque de héros, son ambiance pessimiste et ses allusions politiques », le film n’a été montré au public qu’en septembre 1945. L’histoire et les chansons de ce film culte ont énormément contribué à forger la légende de St. Pauli qui donnait suite à de nombreux films et séries télévisées utilisant ce quartier en tant que lieu de tournage. L’Office de Tourisme de Hambourg affiche en 2013 : « Découvrez la grande liberté (la « Große Freiheit ») dans le quartier St. Pauli ».
En 2013, le documentariste Rasmus Gerlach, tourne « Lampedusa auf St. Pauli », sur 300 réfugiés originaires de l’Afrique de l’Ouest ayant débarqué à Hambourg, et dont 80 ont trouvé un refuge dans l’Eglise de St. Pauli. St. Pauli, Lampedusa, Libye, Togo, Nigeria, Ghana – quels trajets ont fait Andreas, Frank, Friday, Abdullah, Eric, Collin, Jakobus, Kodjo et d’autres pour débarquer à St. Pauli ? Que sont cette Eglise, cette paroisse, ce quartier, cette communauté qui affrontent la municipalité, la politique officielle, allemande et européenne, qui font naître une solidarité inédite, mobilisent des acteurs divers tout en divisant et polarisant l’opinion ?
Le metteur en scène hambourgeois Rasmus Gerlach rejoint l’Embassy of Hope, nom donné au refuge mis en place dans l’église, en tant que bénévole au mois de juin 2013, et s’engage dans le secours qu’organise la Paroisse de St. Pauli pour les 80 réfugiés mais peu après, il voit son rôle plutôt comme chroniqueur pour « préserver l’utopie ».
Dans un entretien avec la chaîne 3SAT en octobre, Gerlach explique : « La particularité d’un documentaire observateur est que le metteur en scène essaie de se tenir à l’écart et de maintenir une distance qui n’existe plus dans le film lui-même. Les films feignent une certaine intimité qu’ils ne l’ont pas en réalité. C’est une manière de garder l’intimité dans le film et la distance dans la vie, et non pas l’inverse
Evidemment, le manque de distance ne facilite pas la réflexion sur la question des réfugiés. »
Rasmus Gerlach est né à Hambourg en 1963 et a commencé ses travaux de metteur en scène de films documentaires pour la télévision et le grand écran au milieu des années 90. Son uvre comporte entre autres « Ich war eine Seriennummer » (1997) sur un projet d’impression de faux billets dans le camp de concentration de Sachsenhausen, « Operator Kaufman » (2000) sur le cinéaste soviétique Mikhaïl Kaufman, « Jimi – das Fehmarn-Festival (2010) qui raconte le dernier concert de Jimi Hendrix sur l’île de Fehmarn dans la Mer Baltique. Son précédent film, « Apple Stories », est sorti en 2013 dans les cinémas allemands et décrit les conditions de fabrication problématiques des iphones.
Le film « Lampedusa auf St. Pauli » retrace l’histoire des 80 réfugiés depuis le moment où ils trouvent un refuge dans la nef même de l’église jusqu’à aujourd’hui. Le but du film est de refléter le travail d’accompagnement des réfugiés et permettre la réflexion sur le projet de ce qu’un protagoniste appelle dans le film un « camp de réfugiés virtuel », étant donné que dans la journée les Africains sont obligés de ranger leurs affaires, plier leurs sacs de couchage et s’installer ailleurs, au contraire d’un camp régulier, où les réfugiés auraient un espace à leur disposition, même limité. Il fallait donc mettre en place un service de sécurité pour se défendre de l’extrême droite mais aussi des journalistes omniprésents.
Les réfugiés déclarent être originaires notamment du Ghana, du Nigeria et du Togo, et ont travaillé et gagné leur vie en tant que migrants en Lybie. En 2011, la Lybie est devenue le théâtre d’une guerre où, entre autres, la France s’est engagée avec l’opération Harmattan. Devenus cibles d’attaques violentes, considérés comme des « mercenaires de Kadhafi », ils ont dû s’enfuir vers l’Italie en 2011.
Le film intègre des épisodes de cette traversée maritime, pris en cachette par des réfugiés avec leurs téléphones portables. Certains portent encore les traces des tortures subies en Lybie. Les réfugiés racontent qu’on les a internés dans des camps sur la côte lybienne, séparés de leurs femmes et de leurs enfants qu’ils n’ont jamais revus, qu’ils étaient obligés de monter dans une petite barque de pêche inadaptée au grand large, sans eau potable, sans nourriture, un trajet auquel beaucoup d’entre eux n’ont pas survécu. Les survivants se sont échoués à Lampedusa en Italie. Ils ont fait leur demande d’asile en Italie. Selon le Règlement Dublin II, l’État membre responsable des demandeurs d’asile est le pays par lequel le demandeur a premièrement fait son entrée dans l’UE. Tous avaient obtenu le statut de réfugié en Italie. Mais ils n’étaient en revanche autorisés à séjourner et à travailler qu’en Italie. Or, le contexte de la crise économique conjugué à l’absence totale de soutien et de protection de l’administration italienne ne leur a pas permis de bâtir une existence autonome et digne de ce nom. Ils se retrouvèrent littéralement jetés à la rue. Contraints par la nécessité, en automne 2012, certains ont poursuivi leur route vers le nord de l’Europe, munis d’un visa touriste et parfois de 300 à 500 donnés par le gouvernement italien.
300 d’entre eux sont arrivés à Hambourg, où ils ont pu bénéficier d’hébergements, dans le cadre des programmes d’urgence hivernaux. Mais lorsque les dits programmes ont pris fin, ils durent retourner à la rue. Ils avaient froid et faim, triaient les poubelles pour y trouver des restes de moquette pour s’enrouler dedans durant les nuits passées dans les parcs. Le bureau municipal responsable des espaces verts leur a indiqué qu’il était interdit de camper sur les pelouses.
Après des semaines passées dans la rue, un pasteur a eu pitié d’eux et leur a ouvert sa porte. « Un beau jour, ils ont frappé à la porte, demandant s’ils pouvaient étendre leurs tapis dans la cour », se souvient Sieghard Wilm, pasteur de l’Eglise de St. Pauli. « Ils n’avaient même pas de couvertures ». Il se souvient surtout de leurs regards traqués. Et comme il avait commencé à pleuvoir, il ouvrit la porte à 80 d’entre eux, dont une moitié sont des chrétiens, l’autre des musulmans. Des voisins ont amené des couvertures. Le pasteur a été le premier à les écouter, à s’intéresser à eux, à leurs vies, leurs destins. Sieghard Wilm les a traités non comme réfugiés mais comme des invités.
A peine l’Eglise est-elle ouverte, les voisins apportent leur soutien. Ils amènent de la nourriture, des vêtements, de l’argent. Le propriétaire d’une grande chaîne hambourgeoise de produits dhygiène offre des caisses pleines de brosses à dents et de dentifrice, de gel douche et de shampoing. Le propriétaire du café d’à côté prépare de la soupe pour tous. Les autonomes de la fameuse Hafenstrasse viennent avec des gâteaux. Le cuisinier vedette Tim Mälzer offre un congélateur. Le fan-club de St. Pauli offre des T-shirts. Une entreprise de torréfaction se met à livrer du café tant qu’il y en a besoin. Le syndicat Verdi offre du conseil en matière de formation professionnelle et de la recherche d’emploi. Le propriétaire d’une auberge de jeunesse du quartier aide à organiser l’hébergement. Des associations d’aide aux réfugiés offrent du conseil juridique. Les habitants du quartier se relayent pour faire la cuisine, laver le linge, donner des cours d’allemand et organisent les gardes de nuit. Hotte, de profession videur dans les établissements du quartier, assure la protection contre de potentielles attaques, surtout de la part des Nazillons. Les élèves d’une école proposent de mettre leur gymnase à disposition pour les mois dhiver.
Les réfugiés ont fondé un club de football, le FC Lampedusa »qui a des contacts réguliers avec le FC St. Pauli, avec des matchs amicaux ou des excursions communes. Des familles viennent pour jouer au football avec les Africains. Le noyau dur des bénévoles comporte 150 personnes, dont beaucoup n’ont jamais mis un pied à l’Eglise avant.
Ils reçoivent même la visite du fameux journaliste d’investigation Günter Wallraff, homologue de l’Italien Fabrizio Gatti (auteur de « Bilal sur la route des clandestines »).
Les réfugiés se sont organisés en mettant sur pied des services de nettoyage, de distribution de repas, de règlement de conflits. « Les gens découvrent qu’une paroisse peut être un champ d’action et tout d’un coup nait une paroisse toute neuve », constate Wilm. Et de répondre aux critiques : « L’Eglise ne sert pas uniquement d’instance morale. La référence de son action est claire : l’Être humain. »
L’Église de St. Pauli doit son nom à St. Paul, persécuteur zélé des chrétiens, converti en apôtre et martyre du Christianisme. Dans ses Épitres aux Ephésiens, il écrit : « Ainsi donc, vous n’êtes plus des étrangers, ni des gens du dehors ; mais vous êtes concitoyens des saints, gens de la maison de Dieu » (Ephésiens 2:19) – un passage du Nouveau Testament qui fut lu et commenté pendant la messe par les réfugiés eux-mêmes en langues française et anglaise.
La paroisse de St. Pauli est une paroisse contrastée, réunissant des générations différentes, des cultures, religions et modes de vies divers. St. Pauli n’est pas une paroisse ordinaire, « le paradis et l’enfer se rapprochent à St. Pauli », dit Wilm. Dans un entretien à la radio, Wilm constate que, dans un monde plein de clôtures et de murs, dont les plus graves sont les barrières dans nos têtes, la vie au quartier de St. Pauli constitue en elle-même une confrontation aux limites mais qu’en même temps, ce sont ces limites qui nous ouvrent les yeux. Ayant fait des études de théologie et d’ethnologie avec un passage d’un an au Ghana, il s’enthousiasme pour St. Pauli : « St. Pauli est plein de miracles mais aussi de misères, c’est une façon de vivre, pleine d’histoires que raconte la vie. A la messe, le sans-domicile côtoie le millionnaire, le jeune cadre employé dans la publicité côtoie l’Iranien et sa copine serbo-orthodoxe ! »
La paroisse n’est pas épargnée par la critique, jusque dans les courriels, appels racistes et menaces, surtout lorsque la presse à sensation traite les réfugiés de délinquants ou de bandits à couteaux. Ces menaces se sont amplifiées après les contrôles et rafles de la police autour de l’Eglise. Mais l’Evêque de l’Eglise protestante pour l’Allemagne du Nord défend l’engagement de la paroisse devant les organismes officiels et déclare dans le film que « l’Eglise n’est pas une zone de non-droit mais un espace de justice. »
En juillet, le pasteur et ses hôtes africains écrivent une lettre au Pape François, pour le remercier du signal qu’il a envoyé au monde avec sa visite de Lampedusa, où une Eglise aurait aussi ouvert ses portes à des réfugiés. Un pasteur évangélique écrit au Pape catholique, car « nos coeurs battent au même endroit. ». Et les communautés musulmane et juive apportent également leur soutien. « Nous resserrons les rangs car il s’agit de valeurs que nous partageons tous », affirme Wilm.
La solidarité ne se limite pas uniquement à l’Eglise de St. Pauli. Les réfugiés ont depuis obtenu de nombreux soutiens de la part d’acteurs locaux. Certains de ces réfugiés sont hébergés dans des mosquées, chez des habitants. Ils se sont liés d’amitié avec le voisinage. Les dons qui arrivent de partout sont redistribués aux différents acteurs qui les accueillent.
Dans la communauté de Glinde, à la périphérie de Hambourg, la mosquée locale héberge douze réfugiés africains. Un membre du comité directeur se rendait régulièrement à la mosquée centrale dans la ville de Hambourg où il fit connaissance avec les réfugiés. Les membres de la mosquée ont décidé de les accueillir. Ils ont d’abord essayé d’organiser l’aide eux-mêmes, un snack-bar a livré des repas mais comme la communauté ne comporte que 70 membres et ne dispose pas de grands moyens financiers, le défi était trop grand. Mi-juin, le groupe publie un appel au secours et les dons arrivent de tous les côtés. La coopération avec les autorités se passe mieux qu’à Hambourg. Les réfugiés ont obtenu un statut de « toléré » et la ville a mis une maison à leur disposition. Les hommes venant du Niger, du Ghana ou de la Côte d’Ivoire font ainsi partie de la commune de Glinde. Trois institutrices leur donnent des cours d’allemand et le club de foot local les inclut dans leur entraînement. Il y a peu de temps, le club de la police de Hambourg a fait un match contre eux.
La solidarité envers les réfugiés s’organise de partout : des entreprises, propriétaires de magasins, de l’Eglise et des individus. Mais les réfugiés ne veulent plus dépendre des dons des autres mais être en mesure de gagner leur vie eux-mêmes. Leur combat pour la reconnaissance de leurs droits s’est, de fait, mué en un combat contre la politique d’exclusion de l’Europe envers ses demandeurs d’asile. A Hamburg, cette question est devenue une question largement débattue au sein des médias et une préoccupation quotidienne d’un nombre toujours croissant d’habitants. Les Africains se sont constitués en groupe et ont entamé une campagne pour leurs droits.
Les manifestations régulières se poursuivent dans le centre de la ville. Le 12 décembre, des élèves ont fait grève, suivant l’exemple des élèves français qui avaient ainsi protesté contre l’expulsion de deux condisciples. 3.500 élèves ont manifesté pour un droit de séjour pour les réfugiés, malgré le fait que la participation était considérée comme absence injustifiée. Le syndicat des enseignants allemands avait lancé un appel à leurs homologues de « considérer la grève avec bienveillance et comme un exemple de mise en pratique de l’éducation politique ».
Une vive discussion s’est déclenchée au sein du syndicat allemand Ver.di, représentant le secteur des services et deuxième syndicat allemand de par le nombre d’adhérents. Le groupe local de Hambourg avait offert l’adhésion à 300 réfugiés qui, lorsqu’ils étaient en Lybie, avaient été notamment ingénieurs, mécaniciens, ouvriers ou coiffeurs. Cela a provoqué des réactions d’autres membres syndicalisés. Est-ce que des gens sans papiers et sans situation légale peuvent être considérés comme chômeurs ? La question sera désormais débattue au niveau national.
A part les manifestations, la culture joue un rôle crucial. A quelques mètres de l’Eglise de St. Pauli, dans la fameuse Hafenstrasse, dont les maisons squattées sont devenues synonymes de la résistance contre la politique des années 80, les réfugiés ont réalisé une peinture murale. « L’intégration dans la culture du quartier est un élément important de la solidarisation », réagit le pasteur Wilm.
En juillet, les réfugiés ont mis sur pied une exposition sur les étapes de leur fuite, car « les gens ne savent pas ce que nous avons vécu ». Les hommes sont fortement traumatisés, ils ont vu mourir leurs familles et leurs amis. Leurs récits constituent le cadre de l’exposition qui est complétée par des articles de journaux et des expertises scientifiques.
En septembre le célèbre « Thalia Theater » a proposé une lecture publique d’un texte de Elfiede Jelinek, la récente prix Nobel, « Die Schutzbefohlenen » (Les Protégés) au sein même de l’église du quartier devant 600 spectateurs, avec le concours des réfugiés. La mise en scène intégrait des extraits des films tournés en secret avec les téléphones portables des réfugiés sur le bateau qui les emmenait à Lampedusa. Rasmus Gerlach montre dans son filmce spectacle à un moment où Elfriede Jelinek était connectée en liaison vidéo. Le texte de Jelinek avait été écrit dans une Eglise à Vienne à la suite d’événements comparables et comprend une prière : « Que la justice soit faite pour nous, c’est pour cela que nous prions ; accomplis ma prière pour un sauf-conduit, pour un billet gagnant, pour une destinée meilleure. Mais la prière ne s’accomplira pas. Elle ne s’accomplira pas. » Sur sa page d’accueil, le théâtre se déclare solidaire des réfugiés et indique qu’après les spectacles, des appels aux dons seront lancés.
Le Thalia Theater continue à intégrer la question des réfugiés dans sa programmation. « Ma conception du théâtre est politique, déclare Joachim Luxle, le directeur du théâtre. Pour moi, il n’est pas possible de détacher le théâtre du contexte socio-politique. Notre programme intègre des sujets tels que l’internationalité et la migration. La société cosmopolitique constitue le défi central du 21e siècle. » En 2005, Lux était dramaturge au fameux Burgtheater à Vienne et avait envoyé en Afrique Navid Kermani, Allemand d’origine iranienne et spécialiste des études islamiques, Il s’est montré choqué par la propension des Européens à fermer les yeux sur la mort de dizaines de milliers de gens aux barbelés de la « forteresse Europe » en dépit de la richesse de la culture européenne. Pour Lux, une culture avancée ne va pas de pair avec ce comportement inhumain.
Le 18 décembre, le Thalia-Theater met sur scène dans l’église St. Pauli, « Der Universal Schattensenat » (« L’universel Sénat de l’ombre »), une performance musicale avec Bernadette la Hengst, musicienne de pop et de pop électronique, qui traite d’un Sénat fictif où se développent des idées visionnaires pour traiter la question des réfugiés. « Il ne s’agit pas ici de charité, affirme Lux. Nous qui sommes saturés et comblés pouvons apprendre énormément de choses des réfugiés sur la force, la volonté de survie ou les expériences qu’on fait quand on frise la mort. » Il enchaîne que son souhait était d’associer les réfugiés à la société à travers diverses actions communes, afin d’initier de vraies rencontres. Si le théâtre peut y contribuer par l’art, ce serait déjà beaucoup. La solidarité n’est pas en sens unique. »
« Le théâtre ne peut pas changer la politique d’un pays mais il peut créer une attention pour le sujet, une présence publique différente, qui dépasse les cercles de solidarité habituels. En s’intéressant à ce sujet, on en sort changé et on ne peut plus s’en défaire facilement. »
Depuis l’été, beaucoup de réfugiés viennent aussi au théâtre. Ils ont noué des contacts et viennent aussi aux spectacles bien que beaucoup d’entre eux ne parlent pas encore l’allemand. L’intendant constate qu’au début, les réfugiés étaient très timides, mais ceci aurait complètement changé et ils partagent leurs histoires.
Thalia souhaite maintenir la problématique de l’immigration dans la conscience du public en la gardant dans leur programme. Plusieurs activités sont prévues, dont la distribution de 500 entrées gratuites à de jeunes migrants aux « Lessing-Tage », dédiés au grand philosophe et écrivain allemand du Siècle des Lumières et partisan de la tolérance. Le 19 février 2014 aura lieu une soirée de rencontres entre réfugiés, acteurs et public, avec textes et musique.
En octobre 2013, l’artiste espagnol, photographe et vidéaste altermondialiste Santiago Sierra, fait une exposition à Hambourg. Son art pose de manière brutale la question du travail et de son exploitation à travers des performances, des installations, des photographies ou des vidéos. Douze personnes du groupe Lampedusa suivent une visite guidée et participent ensuite à une oeuvre qui avait été montrée pour la première fois au Guatemala : Huit personnes seront payées pour rester dans des cartons ». Les Africains enfilent les cartons avec le souhait de « faire partie de l’installation » et attirer ainsi l’attention sur leur situation. Sierra lui-même est ravi de l’action.
Quand l’Université des Arts Plastiques a fêté son centenaire, les étudiants ont échangé leurs places avec les réfugiés. Ces derniers remettent au maire de Hambourg une figure de proue faite à la main, comme cadeau mais aussi comme invitation de leur rendre visite dans l’Eglise.
La chaîne régionale, NDR, dans un programme satirique, détourne la chanson d’un célèbre chanteur local, Hamburg meine Perle », devenue une sorte d’hymne qui fait l’éloge du caractère cosmopolite de la ville. La version de l’émission met l’accent sur le caractère raciste et antisocial de la politique de la municipalité.
Toutes ces actions rompent avec le destin habituel des réfugiés, qui sont habituellement poussés dans l’isolation par peur d’être découverts. Des groupes comme « Lampedusa in Hamburg » créent de nouvelles formes de révolte des sans-papiers, où l’art est expression de préoccupations politiques.
Depuis le début, le Sénat de la ville de Hambourg n’a laissé planer aucun doute sur l’impossibilité pour le groupe Lampedusa de resterà Hambourg : selon les statuts européens, leur destin serait du ressort de l’Italie.
Les réfugiés, par peur d’être reconduits, refusent de révéler leurs identités et demandent un droit de séjour en tant que groupe, pour des raisons humanitaires, d’autant plus que nombre de décisions juridiques affirment que les conditions en Italie sont inhumaines.
Quand les visas touristes établis en Italie sont arrivés à expiration, l’Eglise de St. Pauli a distribué des « papiers d’identité », sous la forme de cartes portant un tampon rouge de la paroisse avec la mention « Hôte n°XX » pour que les réfugiés puissent bien se réclamer de cette action.
Au départ, la protection de l’Eglise, les campagnes politiques et la notoriété des réfugiés a constitué pour eux une sorte d’espace protégé. Mais la police a mis en place des contrôles d’identité basés sur le contrôle au faciès. Vingt réfugiés ont dès lors été arrêtés, ce qui a provoqué de vives protestations et manifestations ainsi qu’une plainte collective de la part d’un groupe d’avocats. Certains activistes menacent de ne plus « se limiter aux seules formes d’actions légales ». Le pasteur Wilm a dit vouloir se concentrer sur son travail d’aumônier car « les récents événements ont ravivé les vieux traumatismes de certains ».
L’administration a offert à chaque réfugié de faire une demande d’asile individuelle, ce qui a mis le groupe devant un dilemme. Faire une demande d’asile signifie dévoiler l’identité individuelle et risque de diviser le groupe – ce qui a été rejeté jusque-là car l’objectif était d’obtenir un droit de séjour pour l’ensemble du groupe. Depuis, les noms d’une soixante de réfugiés ont été révélés aux autorités, la moitié s’est présentée de son propre gré.
A l’approche de l’hiver, la demande de l’Eglise d’ériger des containers d’hébergement a enfin été écoutée et approuvée après de longs atermoiements, ce qui permet aux réfugiés de ne pas devoir passer l’hiver dans une église insuffisamment chauffée.
Durant l’été, par contre, les réfugiés étaient devenus des gens du quartier ». Situé près du port, St. Pauli a toujours attiré, accueilli et intégré des gens de cultures diverses, notamment ceux qui n’avaient pas les moyens de résider dans la ville elle-même ainsi que d’autres « indésirables ». Ainsi s’est maintenue la composition d’une population qui compte parmi plus pauvres de la ville et dont la réputation est d’avoir un esprit frondeur et opposant.
On pourrait donc conclure qu’à St. Pauli, l’Allemagne montre son côté solidaire et humain. Mais l’exemple St. Pauli montre aussi que simplement vouloir aider n’est pas si facile que ça. A Hamburg, cette question a été largement débattue au sein des médias et est devenue la préoccupation quotidienne d’un nombre toujours croissant d’habitants. Les réfugiés représentent un sujet politique plus large, d’autant plus qu’ils viennent de Lampedusa, si bien que tout ce qu’on fait prend une ampleur imprévue et troublante. Ce qui a commencé comme action humanitaire débouche sur des batailles de rue avec la police.
« Nous sommes confrontés à un problème réel et de fond pour notre société. Un problème quasiment sans solution, si on se rappelle d’un côté le nombre immense de flux de réfugiés au niveau global et de l’autre le faible niveau de tolérance dans la population de notre pays, face à un important potentiel d’extrême droite, explique Rasmus Gerlach dans un entretien. C’est pourquoi je considère le film plutôt comme la description d’une situation isolée et utopique. St. Pauli n’est pas l’Allemagne. Une telle solidarité se trouve rarement ailleurs. »
Le film se concentre sur l’Eglise St. Pauli qui héberge 80 d’un total de 300 réfugiés. La solidarité qu’on retrouve ici repose en partie aussi sur la personnalité d’un de ses pasteurs, Sieghard Wilm, qui bénéficie d’une grande popularité. Alors qu’on lui demandait lors d’une présentation de son film pourquoi il s’était focalisé sur cet aspect, Gerlach a répondu qu’il voulait montrer la partie sympathique et visible des événements.
Dans d’autres villes allemandes, l’extrême droite, surtout le parti NPD, manifeste contre les résidences de réfugiés. Des contre-manifestations sont cependant plus nombreuses. Début novembre 2013, une église de Francfort a ouvert ses portes pour accueillir des réfugiés venant de Lampedusa, en application de ce qu’affirme le pasteur Wilm : Chaque acte d’amour commence avec une certitude. Nous agissons sans savoir si l’histoire va finir bien. Mais nous l’espérons. C’est le principe même de l’amour. C’est ce qui fait l’essence de lêtre humain. »
Le film de Gerlach a été tourné sans la moindre subvention. Il raconte simplement la solidarité d’un quartier et des réfugiés eux-mêmes, leurs vies parmi nous, leurs peurs et leurs espoirs. Les événements sont toujours d’actualité et le tournage continue !
Pour voir d’autres photos, consulter cette page qui couvre la manifestation de soutien du 25 octobre 2013, laquelle a rassemblé 10 000 personnes à la sortie du match de foot FC St. Pauli contre SV Sandhausen, où nombre de gens avaient déjà brandi des pancartes rouges indiquant « bienvenue aux réfugiés » : [http://www.ndr.de/regional/hamburg/fluechtlinge563.html]///Article N° : 11982

