L’Anthropologue, le sauvage et la réserve

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Ce qui étonne et fascine à la fois lorsque l’on est un anthropologue occidental noir en Afrique du Sud, c’est le regard que les gens portent sur vous, et plus particulièrement sur la couleur de votre peau. Ainsi pour les Noirs, du fait de mon appartenance à la culture occidentale, n’étais-je pas tout à fait noir mais déjà blanc, et ainsi pour les Blanc n’étais-je plus tout à fait noir mais un peu blanc.
Cette frontière entre deux mondes, je l’ai éprouvée, ressentie et affrontée plus d’une fois.
Anthropologue, j’ai eu l’opportunité d’approcher une réserve. Une vraie réserve pour touristes avides d’exotisme. Mon amie et moi-même, accompagnés de notre fille Justine, alors âgée de quelques mois, avions décidé de passer deux jours dans une réserve au pied du Lesotho. C’est en arrivant au Bushmen Nek Hotel que nous nous sommes aperçus que le complexe hôtelier était entouré de huttes, comme un îlot de civilisation perdu au milieu du monde sauvage. Parmi ceux qui avaient décidé de passer quelques jours à la pension, nombreux étaient des Sud-Africains désireux de voir, de côtoyer et d’approcher ces sauvages qui les attiraient tout en leur inspirant de la crainte.
Le soir de notre arrivée, ma compagne Justine et moi nous sommes rendus dans la grande salle pour le dîner de bienvenue. En retard d’un bon quart d’heure sur l’horaire initial, nous avons, par notre seule entrée, inspiré le silence à la salle entière que nous avons traversée sous des regards chargés d’intrigue et de stupéfaction.
Lorsque je me suis assis, je me suis une fois de plus trouvé dans une situation où la frontière était ambiguë. J’eus en effet l’impression que pour tous ceux qui posaient leur regard sur nous et nous dévisageaient, ma place ne se trouvait pas dans ce bastion de la civilisation, mais bien hors de ce bastion, parmi les sauvages.
Ceux qui étaient venus pour voir, côtoyer et approcher les sauvages, ravis de pouvoir le faire d’aussi près, vinrent nous parler. On leur répondit. On leur expliqua que notre accent venait de ce que nous étions Français. Que j’enseignais à l’Université. Que j’étais anthropologue.
De par mon appartenance à la culture occidentale et au monde universitaire, je ne pouvais être foncièrement Noir. J’eus alors l’impression que pour tous ceux qui posaient leur regard sur nous et nous souriaient, ma place ne se trouvait plus dans le monde sauvage, mais bien hors de ce monde, parmi les civilisés.
Une nouvelle fois donc, je traversais la frontière de la différence et de la douleur, du monde sauvage et de la civilisation, sans bien savoir, mon séjour achevé, tout anthropologue que j’étais, si j’avais passé quelques jours chez les sauvages ou chez les civilisés.

///Article N° : 239

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