C’est bien sur l’arche de Noé que l’Algérien Mohamed Chouick nous emmène, mais les vagues sont de sable et l’arche est la nef d’un fou : L’Arche du désert est une splendide et terrible métaphore d’une brûlante actualité qui dépasse même le drame algérien pour évoquer toutes les tragédies qui s’abattent sur les pays pauvres de la planète. Elle n’est malheureusement pas l’arche de Noé : les hommes de cet oasis en plein désert ne connaissent plus le pardon des vieux mythes. Comme tant de cinéastes africains, Mohamed Chouick, qui a écrit scénario et dialogues, puise dans sa culture du verbe et de la poésie populaire les sources d’une fable moderne qui ne dit ni le lieu ni le temps : » un conte qui ne commence pas par « il était une fois », mais par « il existe » « .
Qui osera encore pérorer sur le passéïsme des contes après avoir vu ce film fort et poignant ? Sous le regard silencieux des femmes et des enfants, les hommes s’entre-déchirent pour d’innocentes embrassades entre jeunes de clans différents. Ce film ne retrace pas seulement l’engrenage de la violence mais il en pose la question : n’est-elle pas en l’homme, prête à surgir ? ne surgit-elle pas surtout quand l’homme est pauvre ?
Une femme raconte la ruse du diable contre Noé : en s’accrochant à la queue d’un âne, il force Noé à lancer » monte donc, Satan « . Et le voilà dans l’arche, sauvé du déluge, pour continuer d’habiter les humains… C’est parce que l’arche s’ensable dans les références religieuses et morales que le diable peut en descendre et faire son travail de mort en chacun. » Regarde comme la terre est immense, lance Amin à Myriam face au désert. L’étroitesse n’est que dans le cur des hommes. »
On retrouve dans L’Arche du Désert la même qualité d’image et de direction d’acteurs que dans le grand film de Mohamed Chouick, La Citadelle (1988), et Youcef ou la légende du septième dormant (1993). Il utilise à merveille les ruelles de la cité comme les dunes du désert pour inscrire les corps en mouvement dans leur environnement, donnant au film une dimension véritablement écologique : les hommes sont condamnés à vivre ensemble, à eux d’en trouver les moyens. La tragédie ne s’enfonce ainsi jamais dans le pathos. Pourtant, l’émotion nous étreint : comment oublier cet enfant qui s’en va, choqué mais encore porteur d’espoir, et s’apprête à traverser le désert vers un pays où l’on ne brûle les maisons ni ne tue les enfants ?
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