Les voyages maritimes et les romans antiques cessent progressivement d’alimenter l’imaginaire baroque à l’avènement de la seconde moitié du dix-septième siècle. À l’apogée du siècle de Louis XIV s’épanouit une littérature royale dont les plus illustres représentants, qui siègent à l’académie ou brillent dans les salons, définissent la doctrine et l’esthétique. La Nature, la Raison, le Vrai, le Beau, le Sublime : ce sont ces notions qui vont enthousiasmer les romanciers, les dramaturges et les poètes durant près de vingt ans tandis que les savants vont placer le monde et l’homme au centre de leurs préoccupations. Dans le même temps et sous l’impulsion de Colbert, la France se lance enfin dans une politique maritime et commerciale ambitieuse et conquérante. Avec la fondation en 1664 de la Compagnie française des Indes Orientales, le royaume se dote d’une flotte et de fonds à la mesure de ses chimères (1). L’ailleurs et l’autre font l’objet d’un intérêt neuf. Les collections de voyages et relations de voyage qui sont imprimées sont principalement le fait de curieux, de négociants et de diplomates. L’imaginaire du voyage, de l’ailleurs et de l’autre qu’ils véhiculent alimente les uvres romanesques, dramatiques et poétiques dans le goût du temps et est relayé par la presse qui connaît dans ces années un remarquable essor avec les parutions succes-sives du Mercure François, de la Gazette de France, du Mercure galant, du Journal des Sçavans, et nourrit les conversations dans les salons littéraires. Toute une série de notions telles que la curiosité, la vraisemblance, le merveilleux et l’extraordinaire sont en passe d’être redéfinies. Durant les vingt années durant lesquelles le classicisme s’épanouit, triomphe puis décline, c’est moins l’autre que l’honnête homme qui séduit le lectorat lettré et mondain (2). Sans doute aussi est-ce la raison pour laquelle c’est dans les voyages manuscrits composés par de modestes gens de mer que figurent les portraits les plus exhaustifs et les plus circonstanciés qui soient des Cafres et des Hottentots. Par-delà l’étude de ces représentations, ce sont la perception et l’appréhension de l’autre et de l’ailleurs par le goût et l’esthétique classiques qui vont ici être analysées.
La publication à l’avènement de la seconde moitié du dix-septième siècle d’une multiplicité de traités, de discours et d’écrits critiques portant sur l’éloquence, l’art poétique, la création dramatique, la Nature, la Raison, le Vrai, le Beau, l’Honnêteté marquent le commencement d’une ère nouvelle qui rompt totalement avec les dispersements de l’époque baroque. Pour les classiques, la Nature renvoie à la pérennité des choses créées. Empruntant leur conception de la Nature à la pensée d’Aristote, que les traductions, les adaptations et les commentaires ont véhiculée tout au long du seizième siècle, les rhétoriciens et les poéticiens, et à leur suite, les dramaturges et les poètes, vouent un culte aux formes canoniques et prennent bien garde à ne pas s’écarter des règles et préceptes des anciens (3). L’idée de Nature est à la base de leur réflexion sur la création littéraire, sur la compréhension du monde et sur l’intellection de l’homme. La Raison, le Beau, le Vrai nourrissent les traités des théoriciens de la littérature, des savants et des moralistes. Les créations des romanciers, des dramaturges et des poètes sont assujetties à un ensemble de règles que les théoriciens et les écrivains encensent, discutent ou contestent via leurs discours, leurs traités, leurs préfaces ou leurs uvres ; les écrits des savants sont subordonnés à une intellection raisonnée du monde et de l’homme ; quant aux traités des moralistes, ils délimitent, définissent et construisent le champ de l’interaction sociale d’une manière systématique et didactique. Si c’est en 1630 que Nicolas Faret publie son Honnête Homme ou l’art de plaire à la cour, on distingue mal, sous Louis XIII, l’honnête homme du héros. Avec l’arrivée au pouvoir de Louis XIV se met en place un nouveau code de conduite, une nouvelle honnêteté. Qu’il s’agisse de la manière de se tenir à table, de converser en compagnie, de saluer, de recevoir, de visiter, de voyager, cette nouvelle civilité fait l’objet de règles et de préceptes dont se fait l’écho Antoine de Courtin dans un écrit qui donnera lieu à de nombreuses rééditions en l’espace de quelques années : le Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnêtes gens (4). Nature, Raison, Beauté, Vérité, Honnêteté
ce sont donc des valeurs nouvelles et des centres d’intérêt neufs qui caractérisent le goût et l’esthétique classiques. Mais le classicisme est aussi une spécificité française qui se traduit par un ethnocentrisme qui ne va pas être sans effet sur la manière dont l’ailleurs et l’autre vont être appréhendés et perçus.
Il est un autre phénomène dont on rendu compte plusieurs auteurs contemporains : c’est la remarquable fortune dont jouissent les relations de voyage parmi les proches du roi, les courtisans, les lettrés mais aussi et surtout un public qui jusqu’alors s’était passionné pour les romans. C’est ce que Chapelain note en 1665 dans une lettre qu’il adresse à son ami Carrel de Sainte-Garde : « Nostre nation a changé de goust pour les lectures et au lieu des romans qui sont tombés avec la Calprenède, les voyages sont venus en crédit et tiennent le haut bout dans la cour et dans la ville. » C’est ce que note également Thévenot qui écrit : « il me semble que iamais cette passion ne [nous]a pressez avec tant de force qu’en nos iours : le grand nombre de voyageurs qui se rencontrent en toutes les parties de la terre, prouve assez la proposition que j’avance, & la quantité des beaux voyages imprimez qui ont paru depuis vingt ans, oste toute raison d’en douter. » Si le public se passionne pour ces voyages, c’est parce que ce sont, com-me les romans, des ouvrages divertissants, mais surtout parce que ce sont, et c’est principalement en cela qu’ils diffèrent des romans, des ouvrages utiles, et parce qu’ils ont pour fonction d’instruire l’honnête homme. Nombreux sont les voyageurs qui, dans les préfaces de leurs relations, évoquent conjointement le goût du public pour les voyages, leur utilité, la curiosité de voyageurs comme François Cauche, Jean Thévenot, François Bernier ou encore de lecteurs comme Charles Sorel qui écrit dans sa Bibliothèque françoise : « Laissons ceux de nos Princes modernes, qu’on met au rang de nos Histoires ; Nous n’entendons parler que des Voyages que les Particuliers font ou par necessité ou par curiosité, la lecture des Livres qui en ont esté faits, est des plus agrea-bles & des plus utiles : Les coustumes bigearres des Peuples nous servent de divertisse-ment, & nous trouvons sujet de remercier Dieu de nous avoir fait naistre en une con-tree plus heureuse. Parmy les accidens estranges dont on void les Relations, on trouve tousiours quelque matiere d’instruction, & en tout cecy le profit est grand de visiter tant de pays sans danger, & de faire le tour du Monde sans sortir d’une chambre. » (5)
L’autre occupe dans ces relations une place prépondérante. Très éloquentes et ressortissant de l’esthétique du portrait, les descriptions auxquelles il donne lieu ne sont pas seulement destinées à instruire le lecteur, elles ont également pour fin de le divertir. Telle est la fonction dévolue à ces énumérations que se plaisent à livrer les auteurs et qui varient peu d’une population à l’autre, en dépit de ce qui les différencie. Aussi est-ce la raison pour laquelle les Egyptiens, les Lapons, les Cafres et les Hottentots ont, lorsqu’on juxtapose les portraits que les voyageurs ont brossés d’eux, autant de points communs. Quand Jean Thévenot décrit les Egyptiens comme « très méchants, grands coquins, lâches, paresseux, hypocrites, grands pédérastes, larrons, traîtres, fort avides d’argent, voire capables de tuer un homme pour un maidin [
], parfaits en tous vices [et]poltrons au dernier degré », et quand François Bernier décrit les Lapons comme étant « petits courtauds avec de grosses jambes, de larges épaules, le col court, et un visage je ne sais comment tiré en long, fort affreux et qui semble tenir de l’ours » (6), Lestra, Augustin de Beaulieu et Jean-Batiste Tavernier décrivent ceux qu’ils nomment indifféremment les Cafres, les Hottentots ou les Sauvages du Cap comme les êtres les plus laids, les plus répugnants et les plus immondes qu’il leur ait été donné de rencontrer. « Le récit que l’on m’avait fait de la saleté de ces Sauvages me parût d’abord peu vray semblable, note Lestra, mais ce que je vis ensuite me rendît plus crédule & ne me donna pas moins d’étonnement que d’horreurs pour ces Barbares. » « Les habitans de cette terre, écrit Beaulieu, sont à ce que ie crois les plus miserables Sauvages qui ayent esté iusques à present descouuerts [
]. Ils sont de taille fort petite [
], semblent toujours mourir de faim [
], se font la guerre les uns aux autres [
], [n’ont] aucune Religion [
], se font oster un genitoire en l’âge de 10. à 12. ans [
] et ont pour ornement des tripailles seiches à l’entour du col [
]. » « [De] tous les peuples que j’ay vus dans mes voyages, note enfin Jean-Baptiste Tavernier, je n’en ay point trouvé de si hideux ni de si brutaux que les Comouks […] et que ceux du Cap de Bonne Esperance que l’on appelle Cafres ou Hotentotes […] ils vivent presque comme des bestes [
]. » (7) Si les voyageurs se plaisent à décrire par le menu les pratiques sexuelles, les modes vestimentaires et les murs phagiques de ces sauvages, c’est sans doute autant pour donner à découvrir, au curieux notamment, un agrégat de savoirs, que pour donner à voir, à l’honnête homme surtout, l’extrême altérité dans ce qu’elle a de plus immonde.
L’autre est d’abord une création littéraire qui excipe de la richesse, de la comple-xité et des paradoxes de l’imaginaire français. Car si les voyageurs ayant participé aux expéditions dépêchées au tournant des années 1660-1670 par l’ambitieuse Compagnie des Indes Orientales sont nombreux à avoir fait imprimer plus ou moins tardivement le récit de leur voyage et à avoir inséré une description plus ou moins laconique des habitants des confins africains, plus rares sont les individus de second ou de troisième rang à avoir consigné leurs impressions ou à avoir tenu un véritable journal de voyage. Parmi ceux-ci figurent des anonymes et quelques personnages qui ont pour nom Bellanger de Lespinay, Ruelle et Melet. L’un est garde du corps, l’autre, écuyer, l’autre, pilote… Tous embarquent pour la première fois pour un voyage au long cours et c’est dans le portrait qu’ils brossent des Sauvages du Cap de Bonne Espérance que l’on mesure la profondeur des hantises et peurs qui excitent puissamment l’imaginaire des matelots tandis qu’ils font halte dans la rade du Cap, loin de l’Europe des politesses (8).
Ruelle et Melet ont chacun laissé un récit circonstancié de leur voyage dans les Indes, le premier sous la forme d’un journal et le second sous la forme d’un mémoire. Si ces récits, qui sont longtemps demeurés à l’état de manuscrits, sont particulièrement dignes d’intérêt, c’est parce que ce sont les témoignages d’un pilote et d’un écuyer qui découvrent le monde, mais qui rendent moins compte du monde qu’ils découvrent que du monde tel qu’il se présente dans l’imaginaire des gens de mer. Le journal de Ruelle et le mémoire de Melet comportent tous deux une description très exhaustive de la région du Cap et de ses habitants les fameux Hottentots. Les portraits qu’ils brossent de ces êtres sont d’une remarquable exhaustivité. Sauvagerie, saleté, laideur, puanteur, paganisme, anthropophagie, nécrophagie, inhumanité, barbarie
aucun des traits qui composent habituellement le portrait des Sauvages du Cap ou Hottentots n’a été omis
« Ce pays, note Ruelle, est habité par des sauvages appelés Hottentos qu’on peut dire avec raison être les plus sales hommes du monde et les plus abominables de la nature, puisqu’ils vivent sans loi et sans aucune discipline, et qu’ils mangent plus salement que les chiens, les loups, et les bêtes les plus immondes. Quand ils tuent quelques bêtes, ils s’en mettent les boyaux autour du col et des jambes pour en manger lorsqu’ils en ont besoin. » Certes, les deux auteurs insèrent chacun dans leur portrait un certain nombre d’éléments inédits. Cependant, ces éléments demeurent peu nombreux et les descriptions des Hottentots que livrent Ruelle et Melet restent in fine moins le fait de leurs observations que de leurs préjugés. Aussi est-ce la raison pour laquelle ils procèdent plus de la conjonction des fantasmes des marins et idées reçues et préjugés du temps que d’une fine et réelle observation personnelle. Ruelle et Melet n’ont donc de cesse de surenchérir dans l’abjection pour reléguer ces êtres aux confins de la bestialité : « Ces misérables sauvages semblent porter visiblement la peine qui est due à la grandeur de leurs crimes, écrit-il, puisqu’ils sont pires que les bêtes les plus difformes et les plus épouvantables qu’on puisse s’imaginer. » De tous les portraits auxquels les Hottentots ont donné lieu, il n’en est pas de plus féroce que celui-ci. Jean-Jacques de Melet va jusqu’à écrire que l’infamante existence de ces êtres est une telle injure à la Création que les Hottentots devraient demander pardon à Dieu pour oser exister et souiller le globe de leur présence… (9) Même le plus zélé des missionnaires jésuites n’osera pas aller jusque là.
Mais dans ces mêmes années dans l’enceinte de la colonie, quelques résidents croquent sur le vif sous la forme d’essais, d’ébauches, d’esquisses, de croquis, de dessins exécutés à la plume ou au lavis, des scènes de la vie quotidienne des Hottentots et qui ont été récemment retrouvés parmi les documents iconographiques non catalogués de la South African Library. Anonymes, ces esquisses, portraits et croquis réalisés dans le style de l’école hollandaise du dix-septième siècle sont l’uvre d’un artiste confirmé ou d’un amateur exercé. Exécutées au crayon ou au lavis, ces scènes montrent des Hot- traversant une rivière, courant sous un orage, demandant du tabac à un colon, devisant avec des femmes de la colonie, menant paître leur bétail, exécutant une danse endiablée, préparant un repas, allumant un feu ou encore badinant dans un champ non loin de chariots chargés de foin (10). Si certaines de ces scènes sont livrées tel quel au regard de l’observateur, d’autres sont accompagnées de notes manuscrites plus ou moins circonstanciées et relatives aux différents aspects de la vie quotidienne des Hottentots qui sont donnés à voir modes vestimentaires, murs phagiques, techniques de consommation, habitat
. , l’artiste s’étant tout particulièrement appliqué à représenter les éléments qui échappent tradi-tionnellement au regard des observateurs que revêtent les Hottentots comme les différents couvre-chef, les différentes coiffures ou les différentes parures
, et à saisir ces gestes que les observateurs n’ont pas su décrire comme la manière dont les Hottentots fixent leurs boyaux à leurs chevilles ou se drapent dans leurs peaux , ces notes viennent seulement en complément (11). Prises sur le vif, ces scènes fugitives restituent in fine l’image de ce qu’a aussi été la vie des Sauvages du Cap de Bonne-Espérance au quotidien.
Avec ces voyageurs s’épanouit un imaginaire neuf du voyage, de l’ailleurs et de l’autre. Dans les préfaces de leurs récits, dans leurs traités ou leurs lettres, nombreux sont les auteurs qui confèrent un sens nouveau à ces notions que sont la curiosité, l’exotisme, le merveilleux ou encore l’extraordinaire, qu’ils redéfinissent. Bien que le nombre de voyages imprimés soit relativement important pour cette période, les lointains horizons inspirent peu les romanciers, les dramaturges et les poètes. L’espace se resserre. Les horizons des uvres romanesques sont bornés aux confins de l’Europe, aux marges de l’Afrique et aux portes de l’Orient. Les romanciers font fi des savoirs réunis dans les récits et recueils de voyage. Les voyages en prosimètres ont pour cadre les villes et les provinces françaises, les uvres dramatiques, des villes étrangères, Alger, Naples, Tolède, et parfois même un cadre plus étroit que la cité comme c’est le cas pour les tragédies à machines. « Tout éloignement, désormais, comme l’écrit Jean Emelina, est exil, retraite, renoncement, bannissement, folie, refus de vivre ou préfiguration de la mort. » (12) Aussi est-ce la raison pour laquelle les confins africains et les êtres qui les peuplent sont absents des uvres romanesques, dramatiques et poétiques qui sont imprimées durant ces vingt années durant lesquelles s’épanouit puis s’éteint le classicisme.
A partir de 1660, la littérature géographique retient de plus en plus l’intérêt des curieux et des lettrés : elle n’est plus « réservée » à une minorité d’humanistes et de cosmographes. C’est à leur intention que sont imprimés ou réimprimés ces ouvrages de vulgarisation que sont les méthodes d’introduction à la science géographique : La Géographie universelle de Duval, La Méthode pour apprendre facilement la Géographie de Robbe, l’Introduction à la Géographie de Sanson ou encore le Novum Lexicon Geographicum de Baudrand qui inspirera à Thomas Corneille son grand Dictionnaire universel géographique et historique en trois volumes (13). En dépit de cette profusion d’ouvrages géographiques et en dépit de la multiplication des récits de voyage, on n’assiste pas à un profond renouvellement des savoirs en ce qui concerne les popula-tions des côtes méridionales africaines. Le portrait des « Gens du Cap de Bonne-Espérance » qui est inséré dans la Description générale de l’Afrique de Pierre Davity, l’ouvrage qui fait à cette époque autorité sur le continent africain, est directement issu des relations de voyages et encyclopédies imprimées au tournant des seizième et dix-septième siècles (14). De ces ouvrages se font l’écho les honnêtes gens dans les salons littéraires et les journalistes dans leurs comptes-rendus. Les salons sont à la mode et la presse est en plein essor. Avec ces salons et des périodiques comme Le Mercure Fran-çois, La Gazette de France, Le Mercure galant ou encore le Journal des Sçavants, la littérature géographique conquiert un vaste public (15).
Au cours des deux décennies durant lesquelles naît puis triomphe le classicisme, sous l’impulsion de Colbert et avec la fondation de la Compagnie des Indes Orientales, l’ailleurs et l’autre suscitent l’intérêt des marchands, des diplomates et des savants. Le portrait de ceux que l’on nomme encore indifféremment les Cafres, les Hottentots ou les Sauvages du Cap continue d’exciter l’imaginaire des voyageurs. Les escales ne durant que quelques jours ou quelques semaines tout au plus, ceux-ci n’ont pas le temps de réunir une information personnelle et exhaustive satisfaisante sur le Cap de Bonne-Espérance et les Hottentots. Aussi est-ce la raison pour laquelle ils reprennent, dans la relation qu’ils livrent de leur périple, en le complétant via l’ajout de quelques observations personnelles, le portrait qui est désormais bien ancré dans l’imaginaire collectif. Mais parce qu’ils les côtoient au quotidien, les résidents hollandais ne portent pas sur les Hottentots un regard aussi féroce que les voyageurs de passage (16). Le témoignage anonyme livré par l’auteur des esquisses et croquis retrouvés parmi les documents non catalogués de la South African Library n’est pas seulement l’uvre d’un artiste. Il est aussi celui d’un observateur attentif, désireux de rencontrer l’autre, de le connaître, de le comprendre, et soucieux de le respecter, bref, d’un véritable ethnographe, un siècle avant Pagès, Sonnerat et Levaillant (17). Des uvres romanesques, drama-tiques et poétiques imprimées durant ces deux décennies, les Hottentots sont cependant absents. Au Congo, à la Cafrerie et au Monomotapa, les romanciers, les dramaturges et les poètes préfèrent en effet la cité européenne, la cité antique et la province. S’ils sont exclus de ces uvres, les Gens du Cap font l’objet d’une description plus ou moins circonstanciée dans les sommes géographiques, les cartes historiées et les atlas. Toutefois, ce n’est pas dans les relations de leurs contemporains que les géographes puisent leurs sources, mais dans les relations de voyage et encyclopédies qui ont été imprimées un demi-siècle plus tôt. Paradoxalement, c’est la vogue des voyages imaginaires qui va littéralement renouveler l’imaginaire du voyage et être à l’origine de la première apparition des Cafres dans un roman avec l’épisode congolais de La Terre australe connue de Gabriel de Foigny.
1. Dans l' »Advis au lecteur » de son recueil de Relations de divers voyages curieux, Melchisedeck Thévenot réaffirme la nécessité pour les Français de se lancer à la conquête des « Mers éloignées » tandis qu’il célèbre la vocation coloniale de la France dans son épître « Au Roy ». Son recueil ainsi que les différents volumes de François Charpentier, rédigés sur l’ordre de Colbert, attestent de la volonté de Louis XIV de voir ses marchands fonder des comptoirs dans le sud-est asiatique. Sur la fondation de la Compagnie française des Indes orientales : Melchisedeck Thévenot, « Advis au lecteur » [in]Relations de divers voyages curieux, qui n’ont point esté publiées [
], Paris, Jacques Langlois, 1663. François Charpentier, Discours d’un fidèle sujet du Roy, touchant l’establissement d’une compagnie françoise pour le commerce des Indes Orientales, adressé à tous les François [
], Lyon, Antoine Jullieron, 1664 ; Relation de l’establissement de la Compagnie francoise pour le commerce des Indes orientales [
], Paris, Sebastien Cramoisy et Sebastien Mabre-Cramoisy, 1665 et Relation de l’establissement de la Compagnie françoise pour le commerce des Indes orientales […] avec le recueil de toutes les pièces concernant le mesme establissement [
], Sebastien Cramoisy et Sebastien Mabre-Cramoisy, 1666. Sur la fondation des premiers comptoirs français en Inde : Jacques Weber, dir., Compagnies et comptoirs. L’Inde des Français, XVIIe-XXe siècles, Paris, Société française d’histoire d’outre-mer, 1991, « Bibliothèque d’histoire d’outre-mer ».
2. « Exceptionnellement fécondes en « grands écrivains », écrit Roger Zuber, les années 1660 à 1680 on fait profiter les ministres de Louis XIV, et le Prince à son apogée, d’une série de hasards heureux. Depuis longtemps, parfois depuis l’Antiquité, mûrissaient des formes littéraires. Depuis longtemps, depuis au moins un siècle, se dégrossissait un nouveau public, de Cour, mais élargi, et mêlé, cette fois, au public de la Ville : féru de belles manières, il savait, au moins confusément , ce qu’étaient le jeu rhétorique et les règles de l’art. Depuis peu de temps, depuis l’époque dite « de Richelieu », se forgeait une langue, qu’on a justement nommée le « français moderne », et s’imposait un goût, non pas nouveau Virgile et Horace cultivaient le même , mais finement adapté à l’idiome et aux institutions d’une nation moderne et chrétienne. » Roger Zuber, « Conclusion » [in]Roger Zuber et Micheline Cuénin, Histoire de la littérature française. Le Classicisme, Paris, Flammarion, 1998, « GF », p.315. Voir aussi sur ce point : Marc Fumaroli, La Diplomatie de l’esprit, de Montaigne à La Fontaine, Paris, Her-mann, 1994, « Savoirs / Lettres » ; Alain Montandon, dir., Dictionnaire raisonné de la politesse et du savoir-vivre du Moyen Âge à nos jours, Paris, Seuil, 1995 ; Emmanuel Bury, Littérature et politesse. L’Invention de l’honnête homme. 1580-1750, Paris, Presses Universitaires de France, 1996, « Perspectives littéraires » ; Erich Auerbach, Le Culte des passions. Essais sur le XVIIe siècle français, Paris, Macula, 1998, « Argô ».
3. Les écrivains de ces deux décennies conçoivent encore la nature telle que l’envisageait Aristote : « Pourquoi Aristote ? interroge Roger Zuber. Parce que, poursuit-il, il conserve alors une autorité immense, non seulement dans les écoles, mais chez tous les rhétoriciens et poéticiens, même mondains. Les hasards de la transmission des textes la Poétique du philosophe grec est une « découverte » du seizième siècle, le Moyen Age ne la connaissait qu’indirectement , l’abondance des commentaires Castelvetro en 1510 et des adaptations le fameux Scaliger, en 1561 , les choix opérés en France au temps de Richelieu ont répandu la conviction qu’Aristote avait, en quelque sorte, préparé les objets du monde à devenir des objets d’art. Pour toute la sphère profane, Dieu étant préservé, il était donc hardi de prétendre peindre ou admirer sans passer par ses préceptes formateurs. Le Grec est le maître, comme la raison est l’outil. Ce siècle de plus en plus raisonnable conçoit l’exercice de cette faculté comme la redécouverte de formes consacrées. S’écarter de ces formes canoniques, c’est risquer de produire un « monstre ». » Roger Zuber, « La doctrine et l’esthétique classiques » [in]Roger Zuber et Micheline Cuénin, Histoire de la littérature française. Le Classicisme, op.cit., p.97. Voir aussi sur ce point : Bernard Tocanne, L’Idée de nature en France dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Contribution à l’histoire de la pensée classique, Paris, Klincksieck, 1978, « Bibliothèque française et romane / Etudes littéraires ».
4. Antoine de Courtin, Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnêtes gens, Paris, Hubert Josset, 1671. « Le traité d’Antoine de Courtin, note Marie-Claire Grassi, se situe au confluent de deux courants apparemment antagonistes qui parcourent le dix-septième siècle. Le premier est le courant mondain. Il regroupe les exigences des ruelles, des cabinets, des compagnies choisies qui fréquentent les salons, ces nouveaux espaces d’une civilité où s’élaborent des manières raffinées de comportement qui à la fois se nourrissent et se distinguent de celles de la cour. Ces manières visent à donner à l’honnête homme une stratégie personnelle de comportement en vue d’une tacite et mutuelle reconnaissance sociale. L’objectif est de briller, de réussir partout, de se faire reconnaître et accepter, tant à la cour que dans les meilleures compagnies, c’est-à-dire dans le jeu théâtral de la scène du monde. Le second est le courant moraliste et chrétien. Il est alimenté par le pessimisme augustinien et janséniste, hanté par le péché originel, qui au contraire, propose une vision tragique de l’homme et un idéal de compor-tement distancé d’un monde pervers dans l’hypothétique perspective d’un rachat divin. Avant 1660, comme l’a montré Maurice Magendie, ces deux courants se côtoient et parfois s’affrontent. Comment concilier, en effet, les devoirs d’un chrétien repentant, les effacements du moi nécessaires au salut de l’âme, et les exigences de l’art ostentatoire de l’être ou du paraître ? Telle est une des principales questions qui parcourt le siècle et à laquelle le traité de Courtin tente de répondre. » Marie-Claire Grassi, « Introduction » [in]Antoine de Courtin, Nouveau traité de la civilité, Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 1998, « Lire le dix-huitième siècle », p.11-12. Voir aussi sur ce point : Maurice Magendie, La Politesse mondaine et les théories de l’honnêteté en France au XVIIe siècle de 1600 à 1660, Genève, Slatkine, 1970, « Reprint ».
5. Jean Chapelain, « Lettre à Carrel de Sainte-Garde » [in]Lettres de Jean Chapelain, Paris, Imprimerie Nationale, 1883, « Collection de documents inédits sur l’histoire de France ». Edition établie par Philippe Tamizey de Larroque, vol.2, p.340 ; Jean Thévenot, « Préface » [in]Relation d’un voyage fait au Levant [
], Paris, Louis Billaine, 1664, p.1 ; Charles Sorel, La Bibliothèque françoise [
], Paris, La Compagnie des Libraires du Palais, 1664. « [On] passerait à côté de la fonction très spécifique qu’a le récit de voyage au dix-septième siècle, note Friedrich Wolfzettel, si les caractéristiques d’ordre épistémologique et idéologique faisaient oublier le statut proprement littéraire lié à un changement profond de la société littéraire et du lectorat [
]. [L]es remarques célèbres de Chapelain (1663) et de Furetière (1690) jettent une lumière très claire sur une évolution qui compte parmi les traits les plus caractéristiques du dix-septième siècle : la promotion de la littérature des voyages au rang [
] d’une « littérature d’une masse » du public cultivé. » Friedrich Wolfzettel, « Le voyage au XVIIe siècle : un discours de l’Ordre » [in]Le Discours du voyageur. Le récit de voyage en France, du Moyen Age au XVIIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1996, « Perspectives littéraires », p.121-230. Cit. p.128. Voir aussi sur ce point : Sylvie Requemora, Littérature et voyage au XVIIe siècle (Récit, roman, théâtre). Thèse de doctorat de littérature française préparée sous la direction de Pierre Ronzeaud et soutenue à l’Université de Provence le 8 janvier 2000.
6. Jean Thévenot, Relation d’un voyage fait au Levant [
], op.cit. ; François Bernier, Voyages de François Bernier, contenant la Description des Etats du Grand Mongol, de l’Hindoustan, du Royaume de Kachemire [
], Amsterdam, Paul Marret, 1710. Sur ce portrait des Lapons, qu’il cite, Paul Hazard écrit : « Comme des îles nouvelles dans des océans familiers apparais-saient encore, en Europe même, des terres merveilleuses. Telle la Laponie, qui sortait peu à peu des ombres cimmériennes. Étranges gens, comme dit François Bernier le voyageur, que ces Lapons au nez Camus [
]. Étrange pays, où l’été, le soleil ne se couche pas, et ne se lève jamais, l’hiver ; où les chevaux sont remplacés par des rennes ; où les hommes glissent au moyen de planches qu’ils s’attachent aux pieds ; où les sorciers entrent en transes pour un oui ou pour un non. Si étrange, que les voyageurs semblaient en rapporter « plutôt une description d’un nouveau monde qu’une relation d’une partie de notre continent. » » Paul Hazard, « Le pittoresque de la vie » [in]La Crise de la conscience européenne, 1680-1715, Paris, Fayard, 1961. Rééd. : Paris, Le Livre de Poche, 1994, « références », p.337-347. Cit. p.339. Voir aussi sur ce point : Maryvonne Crenn, « Récits de voyages là où finit la terre : la culture des voyageurs en Laponie » [in]La Culture des voyageurs à l’âge classique : regards, savoirs & discours. 16e-18e siècles. La Revue Française, numéro spécial, numéro électronique, août 2003. Etudes réunies et présentées par Dominique Lanni. http://revuefrancaise.free.fr
7. Augustin de Beaulieu, Memoires du voyage aux Indes orientales du general Beaulieu, dressés par luy-mesme [in]Melchisedeck de Thévenot, Relations de divers voyages curieux, qui n’ont point esté publiées [
], Paris, Sebastien Cramoisy & Sebastien Mabre-Cramoisy, 1664, p.7 ; Jean-Baptiste Tavernier, Les Six voyages de Jean-Baptiste Tavernier, ecuyer baron d’Aubonne, qu’il a fait en Turquie, en Perse, et aux Indes [
], Paris, Gervais Clouzier et Claude Barbin, 1676, vol.2, p.501-503 ; Lestra, Relation ou journal d’un voyage fait aux Indes orientales con-tenant l’état des affaires du pays, & les établissements de plusieurs nations qui s’y sont faits de-puis quelques années [
], Paris, Etienne Michallet, 1677, p.31. Comme l’écrit Sophie Linon-Chipon qui commente les quelques lignes tirées de la relation de Lestra : « Lors de son séjour au Cap de Bonne-Espérance, Lestra grossit le cliché du sauvage immonde pour faire de la malpropreté un argument en faveur de la canaillerie exotique [
]. Plus que sale et puant, l’Autre est maudit à cause de sa laideur. » Sophie Linon-Chipon, « La rencontre de l’autre » [in]Gallia orientalis. Voyages aux Indes orientales, 1529-1722. Poétique et imaginaire d’un genre littéraire en formation, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2003, « Imago mundi », 437-472. Cit. p.446. Voir aussi sur ces représentations : Dirk Van der Cruysse, « Descendre à terre pour se délasser des fatigues de la mer » [in]Le Noble désir de courir le monde. Voyager en Asie au XVIIe siècle, Paris, Fayard, 2002, p.237-263.
8. Sur Bellanger de Lespinay : Sophie Linon-Chipon, « La Haye et l’Escadre de Perse (1670-1675) : le fidèle témoignage de son garde du corps, Bellanger de Lespinay » [in]Gallia orien-talis. Voyages aux Indes orientales, 1529-1722. Poétique et imaginaire d’un genre littéraire en for-mation, op.cit., p.102-116 et Dirk Van der Cruysse, Le Noble désir de courir le monde. Voya-ger en Asie au XVIIe siècle, op.cit., p.241. Les relations de Ruelle et Melet ont été récemment publiées dans un numéro spécial de la revue Etudes Océan Indien. Les Voyages inédits de Melet et Ruelle au XVIIe siècle, Etudes Océan Indien, n°25-26, 1998. Sur Ruelle et Melet : Jean Claude Hébert, « La relation du voyage à Madagascar de Ruelle (1665-1668) » et Anne Sauvaget, « La relation de Melet du voyage de La Haye aux Indes orientales » [in]Les Voyages inédits de Melet et Ruelle au XVIIe siècle, ibid., p.9-19 et p.95-102 ; Dominique Lanni, « L’Europe classi-que à l’épreuve de l’extrême altérité : le Cafre et le Hottentot dans le discours des voyageurs au dix-septième siècle » [in]Alia Baccar Bournaz, dir., L’Afrique au XVIIe siècle. Mythes et réalités, Actes du VIIe colloque du Centre international de Rencontres sur le XVIIe siècle (CIR 17) organisé à l’Université de Tunis La Manouba, du 14 au 16 mars 2002, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2003, « Biblio 17 », p.219-230 et Fureur et barbarie. Récits de voyageurs chez les Cafres et les Hottentots (1665-1721), Paris, Cosmopole, 2003. Textes réunis et présentés par Dominique Lanni. Préface de François Moureau.
9. Ruelle, Relation de mon voyage tant à Madagascar qu’aux Indes Orientales. Description de l’îsle de Sainte-Marie ou de Bourbon. Muséum de Paris, Ms. n(1899, f.44-45. On trouve ces traits dans les portraits que contiennent les relations qui sont contemporaines de celle de Ruelle mais ils figurent déjà dans le voyage de François Pyrard de Laval, les mémoires d’Augustin de Beaulieu ou encore les voyages de Jean-Baptiste Tavernier. « Et comme un autre Caïn que Dieu chassa de la salle de la terre et contraignit pour punition de son péché de mener une vie errante et vagabonde, poursuit Melet, ils sont continuellement dans les rochers et monta-gnes à courir et errer d’un côté et d’autre à la façon des bêtes sans faire de réflexion sur leur vie criminelle et sans se mettre en peine d’apaiser la vengeance d’un dieu justement irrité contre leurs péchés, et encore plus aveugles que Caïn. Ils ont la raison si fort affaiblie et enveloppée dans les ténèbres les plus épaisses de l’ignorance, qu’ils ne peuvent pas à son imitation prononcer ces paroles : « Mon péché est trop grand pour mériter le pardon. » Et ils ne font pas seulement retentir les effets de leur rage aux pauvres étrangers dont ils font tous les jours de très funestes preuves, mais encore plus sanguinaires que les bêtes farouches qui épargnent ceux de leur espèce, ils ne font pas de difficulté de se manger les uns les autres de sorte qu’ils ne sont pas en sûreté dans les lieux où ils ne se défient de rien. » Relation de mon voyage tant à Madagascar qu’aux Indes Orientales, op.cit., p.125-126.
10. Sur ces carnets manuscrits et ces croquis : Ezio Bassani et Luigi Tedeschi, « The Image of the Hottentot in the Seventeenth and Eighteenth Centuries. An Iconographic Investigation » [in]Journal of the History of Collections, n°2, vol.2, 1990, p.157-186 ; The Khoikhoi at the Cape of Good Hope. Seventeenth-century drawings in the South African Library, Cape Town, South African Library, 1993, « South African Library General Series. » Text by Andrew Smith. Translations by Roy Pheiffer. C’est de ce remarquable ouvrage que sont tirées les huit illustrations de cette section. « These drawings are of particular importance, note Pieter Westra, because they are the earliest realistic depictions of the original inhabitants of the Cape, drawn in situ, and remarkable for their accuracy and liveliness. Extensive research failed to establish the identity of the artist, but it is clear that he drew in the style of the Dutch school of the seventeenth century. » « The collection of Khoi drawings, écrit Andrew Smith, consists of 15 leaves with a total of 27 drawings or sketches, some being single drawings and others being groups of two or more related drawings. Twenty of these show Cape subjects and 5 the Far East, while the location of the remaining 2 is uncertain. The size of the sheets is extremely variable, with a maximum width of 450 mm and a maximum height of 215 mm. At least five different watermarks can be identified. The drawings themselves are in both black and sepia line or wash ; many of them are annotated in Dutch, and at least two different hands can be distinguished in the annotations. » Andrew Smith, « Introduction » [in]The Khoikhoi at the Cape of Good Hope. Seventeenth-century drawings in the South African Library, op.cit., p.8 et 18.
11. Les notes manuscrites portées sur le feuillet réunissant des femmes hottentotes et des colons attirent notamment l’attention de l’observateur sur les parures des Hottentotes. « Om den hals hebben ze de kralen liefst 6 dik en van diversse reijen in ruimte, lit-on. Kopere zijn meest gewilt, dan glase en van velerleij koleur onder een (ook is klatergoud in’t hair grote cier). Om’t lijf willenze grooten hebben of ook kleijne ronde schaalen van struijs eijeren. Om de armen en handen dragen zij de kleijnste kralen. » [« Elles portent autour du cou plusieurs rangs de perles, quelquefois jusqu’à six. Celles qu’elles préfèrent sont en cuivre, viennent ensuite celles qui sont en verre et celles qui de toutes les couleurs mélangées ensemble. L’or hollandais qu’elles portent dans leur chevelure est aussi une de leurs parures favorites. Elles préfèrent des pièces plus larges en ce qui concerne le corps ou alors de petits disques ronds faits avec des ufs d’autruche. Elles portent les perles les plus petites autour des bras et des poignets. » « Khoi women & Dutch colonist » [in]The Khoikhoi at the Cape of Good Hope. Seventeenth-century drawings in the South African Library, op.cit., p.32. Les notes manuscrites ont pour fonction d’attirer l’il de l’observateur sur ces détails auxquels il ne prête pas nécessairement attention lorsqu’il considère les figures représentées sur le feuillet mais auxquels l’artiste a pourtant accordé un grand soin : les colliers, les bracelets, les broches et les autres parures.
12. Jean Emelina, « Les Terres lointaines et l’exotisme dans la comédie du XVIIe siècle » [in]Cecilia Rizza, dir., La Découverte de nouveaux mondes : aventure et voyages imaginaires au XVIIe siècle, Fasano, Schena Editore, 1993, « C.M.R. 17″, p.195-206. Cit. p.197-198.
13. Pierre Duval, La Géographie universelle qui fait voir l’estat présent des quatre parties du monde, c’est-à-dire la religion, les coutumes et les richesses des peuples [
]. Ce qui est de plus beau et de plus rare dans chaque région [
], Lyon, s.éd., 1668 ; Jacques Robbe, La Méthode pour apprendre facilement la Géographie, contenant un Abrégé de la Sphère, la division de la terre en ses continents, empires [
], avec les tables des villes les plus notables de chaque province et un Traité de la Navigation [
], Paris, Veuve Dupuys, 1678 ; Guillaume Sanson, Introduction à la Géographie en plusieurs cartes avec leur explication [
], Paris, s.éd., 1681 ; Michel-Antoine Baudrand, Novum Lexicon Geo-graphicum in quo universi orbis, oppida, urbes, regiones, etc., recensentur [
], Isenaci, Schmidt, 1677 ; Thomas Corneille ; Dictionnaire universel géographique et historique conte-nant la description des royaumes, empires […], la situation, l’estendue […] de chaque pays, la religion, les murs, les coustumes […], les cérémonies particulières des peuples […] le tout recüeilli des meilleurs livres de voyages qui ayent paru jusqu’à présent [
], Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1708.
14. Pierre Davity, Description générale de l’Afrique, seconde partie du monde, avec tous ses empires, royaumes, estats et républiques, Troyes et Paris, Denys Bechet et Louis Billaine, 1660.
15. Sur cette évolution de la littérature géographique et sur l’évolution du lectorat cultivé et du loisir lettré : Hans-Günter Funke, Studien zur Reiseutopie der Frühaufklärung : Fon-tenelle » Histoire des Ajaoiens « , Heidelberg, Winter, 1982, « Reihe Siegen. Beiträge zur literatur- und Sprachwissenschaft », p.74-76. « Deux facteurs semblent avoir joué un rôle primordial dans la popularisation et la diffusion de la littérature de voyages, note Friedrich Wolfzettel, la naissance d’une presse et la mode des Salons littéraires, deux phénomènes chronologiquement parallèles qui, dès le début du siècle, caractérisent une conception nouvelle de la culture littéraire en contribuant à la jonction de la culture savante et des belles-lettres renaissantes. » Comme il le remarque fort justement plus loin, « à côté de la « géographie de cabinet » spécialisée et les travaux savants des Académies de province s’établit donc une sphère publique, voire un marché littéraire, qui porte déjà les marques de l’ère moderne et qui n’est pas sans laisser ses empreintes dans la mentalité et la manière d’écrire des auteurs de voyages. » Friedrich Wolfzettel, « Le voyage au XVIIe siècle : un discours de l’Ordre » [in]Le Discours du voyageur. Le récit de voyage en France, du Moyen Age au XVIIIe siècle, op.cit., p.129-130.
16. S’il n’est pas aussi féroce, leur regard n’en est pas moins dénué de préjugés ainsi que l’attestent les lettres, rapports, mémoires, témoignages et documents divers laissés par les colons hollandais dès les premières années d’existence de la colonie. Sur ce point : Hendrik Leibbrandt, Rambles through the Archives of the Colony of the Cape of Good-Hope, 1688-1700, Cape Town, Juta, 1887 ; Precis of the Archives of the Cape of Good-Hope. Letters received, 1695-1708, Cape Town, Richards and Sons, 1896 et Richard Elphick, Robert Shell, « Intergroup Relations : Khoikhoi, Settlers, Slaves and Free Blacks » [in]Richard Elphick, Herman Giliomee, eds., The Shaping of South African Society, 1652-1840, Cape Town, Maskew Miller Longman, 1989, p.184-239.
17. Pierre-Marie-François de Pagès, Voyages autour du monde et vers les deux pôles par terre et par mer […], Paris, Moutard, 1782 ; Pierre Sonnerat, Voyage aux Indes orientales et à la Chine […], Paris, l’auteur, 1782 ; François Levaillant, Voyage de M. Le Vaillant dans l’intérieur de l’Afrique, par le Cap de Bonne-Espérance […], Paris, Leroy, 1790. Voir infra. Troisième partie. Chapitre second. 1. Comment peut-on être Hottentot ? Les représentations des Cafres et des Hottentots dans les récits, les collections de voyage, les voyages autour du monde et leurs comptes rendus. Voir aussi Troisième partie. Chapitre troisième. 1. L’il expert : explorer, découvrir, rencontrer : les descriptions des Cafres et des Hottentots dans les rapports des voyageurs-explorateurs.///Article N° : 4023