L’aventure solo de Gee Bayss

Propos recueillis par Julien LeGros

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Gee Bayss, alias Georges Lopez, est un pionnier du « turntablim » au Sénégal. Après avoir tenu les platines du groupe Pee Froiss (aujourd’hui en standby) pendant quinze ans, le discret Gee Bayss part en solitaire. Il revient sur sa carrière et ses projets…

Comment as-tu été amené à devenir deejay Hip-hop ?

Tout à fait par hasard. Au début j’étais un dj classique qui animait dans les clubs. Et c’est dans les clubs que j’ai rencontré Xuman, le leader du groupe. J’animais les matinées d’une boîte qui s’appelait le Sunset Sahel. Xuman aimait mon animation. Il délirait bien dessus et c’est comme ça qu’il m’a demandé de le rejoindre. Je ne suis pas membre fondateur de Pee Froiss. Au départ, il y avait Xuman et Bibson (1). Le Hip-hop sénégalais, vers 1993, était vraiment à ses débuts. J’étais inspiré par les disques vinyles qu’écoutait mon frère mais je n’avais pas encore de notions de scratch. C’est avec Pee Froiss que j’ai découvert que le dj pouvait représenter le musicien dans le rap et que c’était un travail spécifique, qui n’avait rien à voir avec le simple fait de passer des disques. En 1996 on a fait notre premier album, puis tourné en Belgique et c’est là que j’ai rencontré DJ Daddy K (2) qui m’a donné une vidéo dans laquelle j’ai découvert les championnats de « DMC » (concours mondiaux de dj’s). C’est à ce moment-là que j’ai vraiment embrassé le « turntablism » : c’est-à-dire la création musicale grâce aux platines vinyles.
Tu es issu de quel quartier ?
Un quartier qui est le premier ghetto de Dakar, situé juste après le plateau : Niayes Thioker. C’est là où j’ai grandi, dans un milieu sportif. J’étais footballeur. Les autres membres étaient issus du quartier de Fass, après la Médina.
Par contraste, le plateau de Dakar, c’est un quartier qui comprend toutes les infrastructures et l’administration… et immédiatement après il y avait ce ghetto. Il n’y avait pratiquement pas d’eau courante à Niayes Thioker. Ce n’était même pas bitumé. Il y avait des camps militaires autour. C’était vraiment précaire. D’autres quartiers très populaires ont vu le jour à côté, comme Reubeuss. Des quartiers à forte densité de population et assez dangereux parce que ça mélangeait toute la misère de la ville. Ensuite venaient les quartiers de Fass, Médina, Gueule tapée. L’université faisait tampon avec ces ghettos ainsi que les quartiers résidentiels du côté de la mer. Donc nous sommes tous issus de quartiers vraiment chauds.
Cela fait cliché mais, est-ce que le fait d’être issu de quartiers chauds a contribué à vous réunir dans le Hip-hop ?
Personnellement je crois que c’est surtout l’amour de la musique qui nous a rapprochés. Il faut dire que l’histoire du rap au Sénégal n’est pas pareille qu’aux Etats-Unis parce qu’on n’a pas la notion des banlieues, comme en France, ou de phénomène communautaire. Au début, dans les années 80, le hip-hop c’était surtout la culture de la danse du break, ici comme partout dans le monde. D’ailleurs avant de s’appeler Pee Froiss, il y avait un groupe de danse : le New Froiss qui est devenu Pee Froiss Muslim, référence aux Black muslim, un peu pour singer les Américains.
Mais l’arrivée de la musique rap ici, ça a surtout été colporté par les jeunes riches, les fils à papa. Ce sont eux qui avaient la possibilité de ramener le son parce qu’ils allaient faire leurs études aux Etats-Unis ou en Europe. Donc c’est à travers eux que le rap est entré au Sénégal, petit à petit. Il n’est pas venu des ghettos comme dans les autres pays.
Pour autant, le Pee Froiss a délivré des messages engagés comme dans ces pays-là ?
Tout à fait ! On a gardé l’essence du rap conscient, celui qui fait l’intérêt de ce mouvement. Au début les textes de rap n’étaient pas en wolof. C’était des reprises de Iam ou de Public Enemy, NWA. Et puis, c’est en se forgeant à l’écriture par rapport à nos réalités locales, ici au Sénégal, que les textes ont évolué. Il y a eu un moment d’apprentissage, une transition parce que la technique pour écrire le rap en wolof était inexistante…
En tant que dj, ton travail est particulier. Comment as-tu procédé pour travailler avec les mc ?
Par rapport aux lyrics, j’ai, d’une manière ou d’une autre, influencé ou participé à l’élaboration des thèmes, la plupart du temps sociaux ou géopolitiques. On n’avait pas de méthodologie mais c’était au feeling. Par exemple, quelqu’un de notre entourage pouvait nous donner une idée et on partait dessus. Si l’un des mc, souvent Xuman, me rappait un texte, je trouvais une idée de son qui collait bien avec l’ambiance et l’esprit du texte.
Justement quel esprit se dégageait de Pee Froiss ?
L’esprit du groupe était de développer une conscience citoyenne, parler de panafricanisme, des rapports entre ressortissants du sud et du nord. Avec Pee Froiss, on a eu la chance de pas mal tourner en Europe. Ces expériences nous ont inspiré des thèmes aussi bien positifs que négatifs. Nous avons eu de bonnes relations avec les gens qu’on a rencontrés en tournée mais aussi certains « bad trips » avec l’autorité ou le racisme. Mais surtout on parlait de problèmes quotidiens. Des choses comme le ras-le-bol des coupures d’électricité. Tu veux mixer, faire le moindre truc : paf il y a une coupure ! Des choses aussi simples, mais qui nous touchent tous les jours.
Les problèmes d’immigration en Europe ça t’évoque quoi ?
De la révolte. Il y a la mondialisation et des discriminations au sein de cette mondialisation. On ne peut pas refaire le monde malheureusement. Il y a des intérêts puissants au-dessus de tout ça. Selon moi il faudrait une intervention divine pour rétablir de la justice.
Peux-tu nous parler du contenu de ta mixtape intitulée « Egotrip and scratchness » ?
J’ai voulu mettre à profit le réseau que je me suis créé en Afrique de l’Ouest, à travers mes années de deejaying. J’ai enregistré d’abord avec des mc mauritaniens, ensuite en Guinée et la dernière partie sur Dakar. À la base ça devait être « Egotrip and slackness » (3) mais j’ai modifié ça pour mélanger la technique dj qui est peu, voire pas répandue du tout en Afrique, avec des mc africains sur des faces b. Au niveau technique ces mc n’ont rien à envier aux Américains. J’ai d’autant plus la responsabilité de faire ce genre de projet qu’au Sénégal, dans les boîtes, dès qu’on met du hip-hop sénégalais les pistes se vident. Impossible de passer ça en soirée. Il y a un complexe, aggravé par le fait qu’on n’a pas encore atteint la maîtrise technique des Américains. Toutes les productions à Dakar se font dans des petits homes studios. On n’a pas les moyens de développer un « gros son. » Le but de ma mixtape c’était de faire coexister un son « à l’américaine » avec des couplets en anglais, mais aussi des couplets en wolof. Faire bouger la tête des gens pour qu’ils sentent qu’il n’y a pas de différence au niveau du groove. C’est un rêve que les gens bougent sur du hip-hop sénégalais…
Et pour ton futur ?
Je dois produire un best of de Pee Froiss et j’ai un projet de mixtape consacrée à la musique africaine qui serait enregistrée en live avec un backline basse et batterie…

(1) ensuite remplacé par Kocc 6
(2) dj de Benny B
(3) forme de ragga jamaïcain aux paroles à connotations sexuelles
Discographie sélective :

Avec Pee Froiss :
-Wala wala bok (1996)
-Affair bou graw (1998)
-Konkérants (2003)

En solo :
-Egotrip and scratchness (2008)///Article N° : 9860

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Les images de l'article
© DR - Gee Bayss





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