Le regard de la société

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« La chasse, c’est un monde à part » remarquent souvent les Maliens, pour rester à distance et dissuader l’autre de s’y frotter. Les affaires de chasseurs, en général, on ne s’en mêle pas, quelque soit l’argument. Leur appartenance à un monde occulte, truffé de génies, de forces vitales néfastes et vengeresses, inquiète. Tout comme leur aptitude à deviner les cœurs purs ou les esprits malins. Mais tout aussi paradoxalement, la place du chasseur va croissant dans l’image que l’ensemble de la société donne d’elle-même.

Sur leurs pouvoirs, les histoires et les légendes fusent, généralement au détriment du mauvais bougre ou du malintentionné. À la manière d’un happy end. Rien ne sert de s’opposer à la volonté du donso ! Amateurs de photos ou de vidéo auraient souvent eu la mauvaise surprise de rapporter pour seuls souvenirs des films vierges à rembobiner. Lors de laconiques démonstrations de pouvoirs, visibles du profane lors des réjouissances qui attirent toujours les foules, les donso fixent définitivement le regard curieux et attentif du public lorsqu’ils épinglent une « victime ». Valeureux mais tremblotant, il n’est pas rare qu’un ingénu petit garçon devienne le clou du spectacle. Mais pour sûr, après la redoutable épreuve surmontée, l’éclaboussure de rires essuyée, l’enfant aura de quoi frimer devant ses copains. Combien peuvent se flatter de s’être fait chatouiller le dos par le « chasse-mouche » d’un donso ? Mieux encore, combien peuvent se vanter d’avoir pondu un oeuf ? Attention, un œuf magique ! Offert à un innocent spectateur dont la consigne est de le partager avec sept personnes pour que la nuit lui porte conseil et que ses idées s’éclairent. Pratique !
Ces petites anecdotes « amusantes » couramment lancées pour inquiéter gentiment, n’ont pourtant rien à voir avec les véritables histoires de donso, étranges, irrationnelles et angoissantes. Seuls quelques personnes ou les chasseurs eux-mêmes s’aventurent à évoquer les pouvoirs d’invulnérabilité ou de métamorphose dont sont détenteurs certains chasseurs. À ce niveau il ne s’agit plus des petits tours de « magie » tels qu’on peut les admirer lors des fêtes de chasseurs ; mais bien de véritables pouvoirs, destinés à tirer l’homme de la brousse de situations délicates. Sans commentaire ! Mais pourquoi redouter des hommes dont les actions n’ont de finalité que servir la société ? Dont les connaissances des plantes et des animaux font d’eux des guérisseurs et des chasseurs hors-pairs ? Peut-être justement parce qu’il devient dangereux que de si puissants savoirs fusionnent entre les mains d’un seul homme. Il est bien difficile d’arracher aux Maliens une explication complémentaire à celle-ci sur la nature de leurs craintes. Comme tout homme qui a du pouvoir, le chasseur peut aussi l’utiliser à mauvais escient. Même si le donso est un modèle de vertus, il n’en demeure pas moins un homme. Avec ses forces et ses faiblesses.
En ces jours d’urbanisation des sociétés, le contraste des opinions s’affirment entre la ville et la brousse. En ville, les chasseurs assimilés aux féticheurs ne font pas toujours l’unanimité du côté des pieux musulmans et des marabouts. Ils sont suspectés, encore une fois, pour ne jamais renoncer à leur filiation à Sânènè et Kontron. L’honorabilité au Mali passant par l’Islam, les chasseurs sont honnis pour leurs pratiques des sacrifices sanglants et la croyance en leurs fétiches. Mais dans les villages, le chasseur continue d’occuper de nos jours des responsabilités primordiales et salutaires comme le maintien de l’ordre ou la sécurité. Veillant au respect des lois, livrant les voleurs de bétail aux forces de police, les donso du village conservent leur rôle initial et entretiennent la crainte des villageois. En punissant les fauteurs de trouble, ils demeurent les garants de l’équilibre social. Là encore, les anecdotes sont légions.
Malgré tout, on observe dans la vie publique une référence croissante faite aux chasseurs. Être donso à l’heure actuelle ressemble à un gage de reconnaissance et le donso ton à un symbole d’identité et de pérennité du groupe. L’engouement actuel pour leurs musiques ou leurs tenues, témoigne d’une véritable passion. La tendance est au donso ! Figurant les racines de la société, l’intérêt qui leur est porté tend à se hisser au rang de culte. Les médias y travaillent. Folklore ? Placebo ? Réhabilitation ? Télé et presse, films et feuilletons hebdomadaires font définitivement état de l’actualisation et de l’adaptation du chasseur à la société. L’image du donso ton entretenue par les médias rassure. Elle reste un repère fixe au sein d’une mutation d’ensemble de la société.
La complexité du regard sur le donso résulte de la multiplicité de ses points d’ancrage dans la société. Retranché et intégré, effrayant et séduisant, le donso est un homme double, dont l’une des faces n’est jamais dévoilée. Son image très idéalisée se complexifie dans les faits, quand les valeurs défendues deviennent progressivement en désaccord avec un nouveau mode de vie urbain. En y trouvant des valeurs et une identité, la jeunesse entretient la construction d’une référence mystifiée, fraîche et ajustée à la société.

///Article N° : 1630

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