Le Veau d’or, d’Hassan Legzouli

Eloge du courage

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Avec Le Veau d’or, qui sort en salles en France le 10 décembre 2014, Hassan Legzouli réussit une comédie décapante à la fois sur l’immigration et la sacralité du roi du Maroc.

Dans un pays comme le Maroc où le roi est le Commandeur des croyants, un film qui s’attaque à son pouvoir est mal venu. C’est pourtant bien une entreprise de désacralisation que tente Hassan Legzouli dans Le Veau d’or. Une attaque frontale serait contreproductive : la comédie est un biais subtil car c’est notamment dans le rire ensemble qu’une société se forge une nouvelle culture. Legzouli ne vise pas directement le roi mais… un veau, brutalement subtilisé à l’abri des regards par un jeune inconscient dans le cheptel d’Hassan II. Un veau magnifique, imposant, mais trop visible et invendable malgré sa valeur, qui ne va attirer que des ennuis à ce jeune Sami et son cousin Azadade. Sami, tête brûlée que son père a envoyé dans la famille au Maroc pour le faire filer droit, vole le veau pour le revendre à prix d’or et se payer le billet retour vers la France où l’attend sa fiancée Mélanie. Mais en volant le veau, c’est le roi qu’il attaque. Et voilà le veau dans la bétaillère d’Azadade qui en a des sueurs froides et cherche désespérément à s’en débarrasser.
Miroir de ce couple classique de la comédie style Bourvil et De Funès, Tintin et Haddock, Shirley et Dino, Kad et Olivier, Laurel et Hardy, Eric et Ramzy, Omar et Fred, Wallace et Gromit, Spirou et Fantasio, Astérix et Obélix, etc., etc. …un autre couple apparaît, style Rouletabille et Sinclair ou les duos de policiers de L’Arme Fatale, Starsky and Hutch, Bad Boys, Very Bad Cops, Rush Hour, Hot Fuzz, etc. : le commissaire chargé de l’enquête et son adjoint stagiaire, un de ces étudiants indics que l’on appelait les Awacs car ils étaient introduits dans l’université pour repérer les fauteurs de troubles. Leurs échanges sont hilarants, révélateurs des contradictions de l’institution étatique marocaine. Moulay (dernier rôle de l’immense Mohammed Madj avant sa mort, impressionnant de présence) incarne le commissaire qui fait son boulot sans broncher, héritier du Makhzen, tandis que l’inspecteur Ali remet tout en cause.
Désacraliser, c’est dépouiller du sacré. A l’aide d’images d’archives, Legzouli cible directement Hassan II, la pesanteur du veau contribuant en écho à la démythification de son pouvoir. Mais dans ce retour au réel, il s’agit aussi de le démystifier : au-delà des oripeaux, il n’est que le propriétaire d’un cheptel immense de bêtes anachroniques dans le paysage marocain. C’est alors que le vol d’un veau devient pour tous une affaire d’Etat, déclenchant la présence policière et la peur des représailles. L’arrivée du veau dans un village déclenche une réaction dans le domaine du sacré (dans le récit coranique comme dans le récit biblique, le veau d’or réalisé avec les bijoux des Pharaons était adoré en attendant le retour de Moïse) mais aussi dans le domaine politique (le chef du village a peur des conséquences dès qu’il apprend la provenance du veau). Désacraliser sera donc également politique.
Tourné en 35 mm et en scope, jouant sur l’âpreté et la splendeur des paysages marocains, ce road movie à la recherche d’une solution pour bazarder le veau prend des allures de western et trouve son apogée dans le ranch d’ « El Americani ». C’est une initiation qu’il met en scène : celle de Sami, dont le passage au Maroc a ouvert les perspectives et qui renouvelle ainsi sa relation avec ses parents et sa culture d’origine (comme pouvait le faire Nordine dans Tenja, le précédent et excellent long métrage d’Hassan Legzouli), mais aussi celle de son cousin Azadade qui a vaincu ses peurs.
Et nous-mêmes faisons ainsi un pas sur le chemin de l’ouverture et du courage.

Lire aussi l’interview du réalisateur : [article n°12611]

///Article N° : 12615

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Les images de l'article
© Zelig Films Distribution
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