Hassan Legzouli parle de Tenja

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Le jeudi 11 novembre 2004, lors du Festival International du Film d’Amiens, Hassan Legzouli répondait aux question du public à l’issue de la projection de son film Tenja, lauréat de la bourse de promotion d’un film du sud de l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie.

« Ce film résulte d’une envie de créer un lien entre deux terres qui me tiennent particulièrement à cœur, le Maroc bien sûr, mais aussi le Nord de la France, où j’habite depuis 20 ans. Il existe une mémoire communautaire maghrébine très forte par rapport aux exploitations minières du Nord de la France, c’est un background commun très fort. J’avais envie de raconter un certain Maroc, le Maroc tel que je le sais, tel que je le sens.
 
Le film n’est pas vraiment autobiographique, même si je suis né dans l’Atlas, et que c’est une région que je connais bien. Il y a plein de petits éléments qui se rapportent à mon vécu, mais je ne suis pas moi-même un fils d’immigré.
 
La problématique du père à enterrer dans les terres de ses origines est en quelque sorte un classique de la culture, de la communauté maghrébine aujourd’hui. C’est une question qui se pose de plus en plus, car toute cette génération de travailleurs qui sont partis travailler en France dans les années 60 est en train de s’éteindre. Même si je n’ai pas connu cette situation, je me suis inspiré de l’exemple d’un ami.
 
Le film s’appuie sur une réalité. Mais ce qui m’intéresse, ce n’est pas d’être vrai, mais d’être juste, comme en musique, il s’agit de sonner juste. Il s’agit avant tout d’une scénarisation.
 
Avec Tenja, je voulais proposer une autre regard sur le Maroc, le Maroc tel que je le sens. La mort est un vecteur dans l’histoire. Je ne voulais pas tout focaliser sur le cercueil, mais sa présence physique dans la voiture permet la première « vraie » rencontre entre le personnage et son père. Tous deux étaient dans l’absence de mots pendant quand le père était encore en vie, même s’il n’y avait pas vraiment de conflit entre eux. Le fils fait vivre son père pendant le voyage, en insistant pour écouter sa musique préférée par exemple. Tant que le trajet n’est pas achevé, le père n’est pas encore mort.
 
Concernant les paysages montrés dans le film, ils n’ont pas spécialement été choisis pour leur photogénie, ce sont les vrais paysages que l’on traverse pour se rendre de Casablanca jusqu’à ce village de l’Atlas. Situer ces scènes dans ce petit village de l’Atlas, faire jouer ses habitants, c’était organiser à l’écran une rencontre avec l’humanité. J’avais déjà tourné un moyen métrage dans ce village, les habitants avaient donc une petite expérience cinématographique. Comme je les connaissais, ils se sont comporté de façon très naturelle, hors et devant caméra. Il ne fallait pas leur parler directement de cinéma, il a d’abord fallu que l’équipe trouve sa place dans le village. Ces gens, on ne les dirige pas, ce sont eux qui donnent. Cette approche a forcé les acteurs professionnels (Roschdy Zem et Aure Atika) à changer leur jeu. L’échange ne pouvait se faire que dans la générosité, et les acteurs devaient se mettre au service des villageois pour que l’ensemble fonctionne. Dans cette situation, le réalisateur est là pour faire le lien, puis il se retire et observe. C’était une rencontre humaine inégalable. Par rapport aux paysages de l’Atlas, les paysages du Nord sont plus dans l’émotion, je les aime tout autant. Il y a d’ailleurs un film récent, Quand la mer monte, tourné dans le Nord, qui montre des images magnifiques de la région. Pour les scènes d’horizon tournées au Maroc, et vu la beauté objective des paysages, c’est vrai qu’il fallait faire très attention à ne pas tomber dans l’esthétisme.
 
Le choix de Roschdy Zem s’est imposé dès le départ pour incarner Nordine, le personnage principal. J’étais décidé à « l’avoir », et m’étais juré de ne faire le film que s’il le faisait. Je voulais un acteur qui ressente le vécu du personnage, pour l’avoir déjà rencontré. Le hasard fait qu’un an après que j’ai écrit le scénario, Roschdy a vécu exactement la même histoire que Nordine, et est allé enterré son père dans son village marocain. Je trouve que Roschdy est l’un des très rares acteurs français de type maghrébin à avoir réussi à dépasser son origine ethnique, à trouver des rôles qui ne sont pas nécessairement liés à sa couleur de peau, un peu à l’image de Denzel Washington aux Etats-Unis.
 
Nous avons choisi Aure Atika sur casting. Ses origines juives marocaines faisaient qu’elle savait apprécier le personnage, et surtout, j’aimais son côté précieux, je ne voulais pas que le personnage de Nora soit un cliché de prostituée.
 
Ma préoccupation, le propos du film, s’il doit en avoir un, c’était de dire qu’il n’y a rien d’inné dans l’histoire des origines. On est ce qu’on a vécu. Nordine est un nordiste avant tout, même si ses parents sont marocains. Je considère que le rapport aux origines n’est pas un déchirure, c’est un plus, une valeur ajoutée en quelque sorte. Les racines ne sont pas automatiques, et doivent être que source d’enrichissement, et non de conflit. Il était également important de montrer pour moi que lorsque Nordine va au Maroc pour la première fois de sa vie, après un voyage initial raté à l’adolescence, ce n’est pas le Maroc qui l’intéresse, mais les marocains.
 
Pour en revenir à l’historique des exploitations minières, elles ont structuré toute la société dans le Nord, et été à l’origine de différentes vagues d’immigration : d’abord des belges, souvent néerlandophones, puis des polonais, des italiens, et enfin des marocains. Les premiers kabyles, arrivés en 1904, n’étaient pas des aventuriers, partis à la recherche de travail, mais des gens qu’on été allés chercher chez eux, et qu’on a fait venir en France. Dans les années 50, un ancien militaire, Felix Maurat, est parti « en expédition » dans le moyen et le haut Atlas, pour recruter de la main d’œuvre pour les mines : les gens y avaient la réputation d’être robustes, travailleurs et honnêtes. Cet homme est si célèbre qu’il est le personnage de nombreuses chansons berbères. Quand il arrivait dans un village, tous les hommes se regroupaient sur la place pendant trois jours. Maurat leur attribuait un tampon rouge ou vert selon qu’ils lui semblaient aptes ou non. On faisait ensuite passer des visites médicales très strictes à ceux qui avaient été pré-sélectionnés. Puis les travailleurs choisis se voyaient confisquer leurs papiers et étaient envoyés dans le Nord. Là, on leur faisait signer des contrats de 2 fois 16 mois, ce qui éviter de devoir leur attribuer le statut, très contraignant, de mineur. Dans les années 80, alors que l’on savait que les mines fermeraient bientôt, on a fait venir encore plus de marocains qui n’avaient pas droit à ce statut, afin de ne pas avoir à payer des indemnités à vie à des mineurs français. En 1986 a d’ailleurs éclaté une grève des mineurs marocains, qui ont fini par obtenir gain de cause, et le statut de mineur.
 
Concernant la fin du film, l’idée était de ne pas la verrouiller, de laisser le spectateur faire son boulot, et finir le film dans sa tête. A mon sens, un film n’est pas jamais terminé par le réalisateur, mais par les spectateurs.
 
Le personnage de Mimoun n’a qu’une obsession, quitter le Maroc. Il appartient à une génération qui a grandi dans le vide, qui doit se construire toute seule, alors qu’elle évolue dans une société où la notion d’individu n’existe pas, où l’on est jamais en soi, mais par rapport à la famille, au clan, etc. Il y a une véritable revendication d’individualité chez les jeunes générations. Il faut bien se rendre compte que ces jeunes ne peuvent plus se raccrocher à la politique. Celle-ci n’a plus aucune crédibilité. Hassan II a même réussi à faire entrer un flic dans chacun des esprits, les gens en sont arrives à s’autocensurer. C’est dans ces brèches que s’est inséré l’extrémisme, en proposant des actions concrètes dans les quartiers, dans les villages, comme du soutien scolaire, ou la soupe populaire dans les bidonvilles. Les intégristes sont venus s’installer dans ce vide générationnel. »

publiés ici avec l’aimable autorisation du Bureau de l’espace francophone – www.cinemasfrancophones.org///Article N° : 3611

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