Les 100 familles de Niko

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D’abord cuisinier, puis président d’une association culturelle, peintre tourmenté à ses heures, Niko a commencé à sculpter en cachette il y a une dizaine d’années. C’est avec les traverses de chemin de fer récupérées sur des voies désaffectées qu’il a trouvé la sienne, sculptant des figures de bois hiératiques, porteuses de nos émotions contenues, de nos non-dits et de nos cris étouffés.

Les corps semblent avoir surgi de terre. Rassemblés en petits groupes, ils se dressent majestueux, pudiques. Certains sont droits, d’autres légèrement inclinés, le regard, à peine suggéré, tourné vers un horizon incertain. Pas d’exubérance ni d’envolée dans les sculptures de Niko. La plupart des bras restent collés à un corps, dépouillé, nu réduit à sa plus simple expression.
Une chaude clameur émane pourtant de ces bouches invisibles, tandis que les corps, au premier abord figés, s’élancent dans un mouvement inscrit à l’intérieur même du bois qu’ils habitent. Réunies par « familles », les sculptures se répondent dans une saisissante chorégraphie du silence et de l’imperceptible : « J’ai toujours cherché le mouvement dans la sculpture et je me suis d’autant plus investi dans cette recherche lorsque j’ai décidé de ne plus forcer sur l’expression du visage, afin de faire danser, vivre le corps« .
Autodidacte, Niko a commencé à sculpter seul après s’être essayé à la peinture qui « le rendait malheureux« . Il était alors président de l’association Art Point M, créée avec deux amis à Roubaix (ville du nord de la France), dont l’objectif était de sensibiliser à la création plastique un public peu associé aux projets culturels. De cette association sont nés de beaux projets comme celui de 100 gens, 100 toiles , exposition collective issue de la participation de 100 personnes d’âge et de milieux sociaux différents, invités à peindre sur une toile de même format. Ou encore la Braderie de l’Art , toujours effective à Roubaix, qui chaque année réunit 100 plasticiens d’origines diverses. A partir de matériaux récupérés mis à leur disposition, les artistes sont invités à créer devant le public, durant 24 heures, un objet qui sera par la suite vendu entre 15 et 150 euros.
De ces expériences, Niko a gardé l’envie, essentielle, d’aller à la rencontre d’un public pas forcément acquis aux expressions visuelles. Pour cela, il organise des « ExpoRues » confrontant ses sculptures aux regards des passants. « J’installe mes sculptures pour quelques heures dans un lieu choisi en fonction des éléments architecturaux qui l’entourent, comme le Pont des Arts à Paris ou le parvis de l’Hôtel de Ville à Tilburg (Hollande). C’est un moment de rencontre avec les gens. Comme il n’y a pas de rapport de vente, le contact est plus direct que dans une galerie, les gens se sentent libres d’exprimer leur sentiment, souvent pertinent, qu’il soit positif ou négatif« . Au delà de cette confrontation vitale avec le public de rue, Niko aime à intégrer ses sculptures à l’environnement urbain. Nostalgique des représentations figuratives qui ont disparu de l’architecture moderne, il prône l’inscription de la sculpture dans l’urbanisme. A Laval, où ses sculptures seront exposées jusqu’au mois de septembre dans un jardin public, Niko a demandé aux organisateurs l’autorisation de placer quelques sculptures sur trois balcons appartenant à des particuliers.
De ses origines béninoises par son père qu’il n’a pas connu, Niko ne revendique ni ne renie rien. Elevé en France, il a passé quelques mois en Afrique à l’âge de 25 ans, alors qu’il venait de renoncer à son métier de cuisinier. Mise au point nécessaire qui n’a pas eu d’incidence directe sur les choix qu’il a pu faire à son retour, hormis une exacerbation de sa sensibilité et une volonté d’ouverture vers d’autres horizons. « Ce voyage en Afrique, où j’allais vers une autre partie de moi même, a peut-être influencé mon choix de devenir artiste mais pas de manière directe. Je n’ai pas cherché à m’intéresser à la sculpture ni à d’autres formes d’arts lorsque j’étais là bas. Je voulais surtout m’imprégner des lieux et regarder les gens vivre. Et puis j’avais des choses à régler avec moi même : autant en France, par la force des choses, j’avais fini par accepter mon statut de métis, autant en Afrique ça a été plus difficile, je me suis retrouvé dans une ambiguïté qui m’a un peu gêné« .
L’Afrique pourtant le rattrape à travers son art. En 1999, son travail est présenté dans l’exposition L’Afrique à Jour dans le cadre de la programmation lilloise d’Afrique en créations. Il travaille actuellement avec d’autres artistes africains de la diaspora sur un projet d’association, Black Dédalos, dont le but est de faire découvrir par des expositions le travail d’artistes originaires du continent noir. « Je suis de plus en plus porté par l’Afrique en ce moment, mais je ne le cherche pas. J’ai appris récemment que j’étais originaire de la tribu des Fons de Ouidha qui a produit de grands sculpteurs. Certains pourraient trouver un signe d’appartenance ou de descendance avec mes ancêtres dans le fait que je sculpte à la main, des personnages chargés, sur du bois de récupération. Il y a les paradoxes, les choses de la vie, je ne peux pas le nier, mais je ne cherche pas à les analyser, ni à me sentir l’héritier de quoique ce soit« .
« La vraie vie de famille » qu’il n’a pas connu, l’absence de rattachement à une communauté, ont profondément marqué Niko qui, dans son histoire personnelle comme dans son travail d’artiste, est très attaché à la notion de famille, de groupe, de communauté. Toutes ses sculptures, hormis celles de ses débuts, ou celles qu’il crée « pour faire ses gammes« , appartiennent à des familles pouvant regrouper jusqu’à 30 figures. Nomades, Messagers, Gardiens, Prières ou Motus, témoignent des errances, de l’exil, des souffrances des sans voix et des sans terre, mais aussi de leur capacité d’adaptation, de leur désir de liberté et d’un certain esprit de solidarité qui les lient les uns aux autres. L’effet de rassemblement intensifie la force du propos et confère aux sculptures ainsi réunies le double pouvoir d’ébranler le spectateur en même temps qu’elles l’apaisent.
Au-delà de ces thèmes qui le poursuivent, Niko aimerait pouvoir s’engager d’une autre façon à travers son œuvre, comme il l’a fait une fois, en 1999, alors qu’il était invité à la Foire d’Art Contemporain de Beyrouth. Il avait alors récupéré des poutres de bois dans des restes de maisons bombardées avec lesquels il avait sculpté un couple composé d’une femme immense, généreuse et d’un homme ratatiné, réduit à un long sexe déjà dessiné dans la forme du bois. « Les hommes étaient dépités, ils ne faisaient pas de commentaires, les femmes riaient, elles venaient me remercier. Là j’ai eu le sentiment de m’engager et de faire passer quelque chose par rapport au statut de la femme dans le monde Arabe, c’est une expérience que j’aimerais pouvoir renouveler ailleurs, sous d’autres formes« .
En attendant, Niko sculpte. Au fond de son camion-atelier, faute d’avoir pu trouver un lieu plus adapté à son travail, il creuse, tourne, taille ses poteaux de bois dont il fait parler les veinures, les crevasses, les marques du temps. « Le bois récupéré raconte déjà quelque chose, il est porteur d’une histoire que je poursuis en le travaillant. A moi de lui donner une expression, un mouvement d’autant plus difficiles à trouver que la forme verticale et étroite de mon matériau réduit ma marge de manœuvre, mais c’est aussi cela qui me plait et me fascine dans la sculpture« .

Les sculptures de Niko seront exposées à Laval dans le cadre des 3ème Rencontres de Sculptures Contemporaines, du 15 juin au 29 septembre. Jardin de la Perrine, Allée Adrien Bruneau. ///Article N° : 2300

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Les images de l'article
exposition des sculptures de Niko, chapelle de la Pitié-Salpetrière, avril 2002 © DR
exposition des sculptures de Niko, chapelle de la Pitié-Salpetrière, avril 2002 © DR
exposition des sculptures de Niko, chapelle de la Pitié-Salpetrière, avril 2002 © DR





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