Les espoirs déçus du monde de la culture

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« Dans un pays comme le nôtre, la culture ne peut pas être la priorité« … Cet avis pourrait émaner d’un officiel du Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir depuis sept ans. Il est proféré par Daven, Sud-africain d’origine indienne et fondateur du Supper Club, un petit maquis de Johannesburg devenu une maison de la culture informelle et multiraciale. Chez Daven, qui a transformé sa maison en bar-restaurant-salle de billard, on débat de la mondialisation après projection de films, on assiste à des spectacles de danse tout en mangeant végétarien pour pas cher… Daven n’a pas besoin de faire un dessin. Tout le monde le sait, il y a beaucoup plus urgent que la culture. L’immense partie déshéritée et sous-développée du pays, celle où vivent les « communautés historiquement désavantagée », selon la terminologie officielle, est à construire.
Dès 1994, un ambitieux Programme de reconstruction et de développement (RDP) a été mis en place, avec pour priorité l’édification de logements, le raccordement à l’eau et à l’électricité, un meilleur accès aux soins de santé. Très tôt, le gouvernement de Nelson Mandela a déçu bien des espoirs, dans les milieux culturels, en confiant un ministère jugé peu stratégique à une opposition qu’il voulait pacifier, l’Inkhata Freedom Party (IFP), le parti des nationalistes zoulous de Mangosuthu Buthelezi. Issu de cette formation, Ben Ngubane, l’actuel ministre de la Culture, ne manque pourtant pas de bonne volonté. Les fonds dont il dispose sont conséquents, 362 millions de rands en 2000, mais leur usage ne paraît pour l’instant guère convaincant. Les subventions directes ont été supprimées : d’où la disparition, en 2000, de l’Orchestre symphonique national et la fermeture, pendant un an, du State Theatre de Pretoria. C’est désormais une association, le National Arts Council (NAC), qui gère le financement de projets lancés par des artistes ou des institutions privées. Le NAC est doté de quelque 30 millions de rands par an, saupoudrés entre une kyrielle de projets différents.
L’Etat, de son côté, a choisi de promouvoir l’emploi : priorité a été donnée aux quatre secteurs les plus susceptibles d’en créer, le disque, le livre, le film et l’artisanat… Les résultats se font partout attendre, alors que la confusion grandissante entre art et artisanat provoque un malaise bien résumé par Barbara Masekela, ancien ambassadeur de l’Afrique du Sud en France, à l’occasion d’un vernissage à l’Alliance Française de Johannesburg. « Avant, raconte-t-elle, les artistes noirs peignaient pour une bouchée de pain, pour un ticket de bus qui leur permettrait de se rendre à l’enterrement de leur grand-mère. Aujourd’hui il me disent que je ne peux plus acheter leurs tableaux, parce que les prix ont monté et qu’il peignent pour les touristes… »
Faute d’une intervention suffisante de l’Etat, les initiatives privées abattent un travail de titan. Seule, une association nommée Film Resource Unit (FRU) se bat par exemple contre le désert culturel en matière de 7e art. Elle diffuse des films de fiction africains, des documentaires et des vidéos de sensibilisation sur le sida en vendant les cassettes – à un rythme de 1 500 par mois. Elle organise à coups de projets chaque fois subventionnés par des bailleurs de fonds différents des ciné-clubs dans les universités, des projections itinérantes dans les villages et des festivals de cinéma africain à Soweto et Mamelodi, les plus grands townships de Johannesburg et Pretoria. L’entrée, à 2,50 ou 4 rands, est quasiment donnée. « Les gens ne veulent pas payer, affirme Sibusiso Mtshali, coordinateur du festival. Ils ne veulent pas dépenser de l’argent pour des films africains. Ils ne les connaissent pas, ou alors par le biais de la télévision, et leur perception fait que si ces films sont bons pour la TV, pourquoi payer ? »
Malheureusement, il n’y a pas que pour le gouvernement que les arts ne sont pas une priorité. Toujours extrêmement ségrégée, la culture sud-africaine semble bien plus axée sur le sport et la bière que sur toute autre chose. Les concerts de jazz rassemblent des foules noires avec de très rares Blancs, certes, mais rien de comparable avec celles que drainent les stades pour les matches de football. Idem du côté blanc, la couleur dominante lors des vernissages où se presse une toute petite élite, sans commune mesure avec les millions de fans de rugby et de cricket vissés devant leur télé.

///Article N° : 1868

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