A l’occasion du cinquantième anniversaire de la Sonacotra, son président, Michel Pélissier, a annoncé mardi 23 janvier qu’elle s’appellerait désormais Adoma. Ce changement s’imposait, selon lui, l’acronyme Sonacotra (Société nationale de construction pour les travailleurs) » ne correspondant plus à la réalité des publics accueillis « , d’autant que »notre nom était en outre devenu stigmatisant ».
Construit à partir du latin « ad » qui signifie vers et « domus », la maison, les sonorités en « a » du nouveau nom, suggèrent d’après ses concepteurs « les notions d’accueil, de douceur et de féminité ». Un concept pourtant bien éloigné de la réalité à laquelle sont confrontés les habitants des foyers
États des lieux.
Les foyers de travailleurs immigrés ont été conçus il y a 40 ans comme des lieux d’hébergement provisoire, avec un confort minimum, sans intimité ni droit à la vie privée, pour un maximum de travailleurs y subissant un fort contrôle social et politique. Ils ont été conçus comme des lieux de relégation. Aujourd’hui, ils sont toujours là et connaissent une situation très difficile : mauvaise gestion et délabrement pour certains, entretien inexistant et hausse incessante des loyers pour beaucoup, attente de relogement depuis quinze ou vingt ans pour d’autres. Face à la politique très en deçà des besoins et en général hostile aux foyers suivie par les gouvernements successifs en matière de logement social, face aux politiques anti-immigrés très dures de l’Etat Chirac / Sarkosy, les résidents se sentent plus que jamais menacés et en situation de relégation.
Les foyers de travailleurs immigrés sont des résidences collectives qui comprennent d’une quinzaine à plus de quatre cents « lits » destinés à héberger des hommes immigrés, vivant seuls et qui, en général, occupent des postes d’ouvriers ou de salariés dans les services de bas niveau et dans le bâtiment.
La chambre d’un foyer peut être une chambre individuelle, entre 5 et 14 m2 avec un simple lavabo. Les équipements sanitaires et les cuisines sont alors collectifs et à l’étage. La chambre est meublée de la façon la plus sommaire : un lit de mauvaise qualité, un petit placard, une petite table et une chaise, un petit réfrigérateur. Parfois le résident doit superposer ces équipements : la télévision sur la table elle-même posée sur le réfrigérateur ! De très nombreux foyers comportent aussi des chambres à deux ou trois lits. Chaque résident y a son propre placard, mais il n’y a alors pas assez de place pour le reste du mobilier. Dans certains cas, souvent d’anciennes usines transformées en foyers, ce sont des foyers-dortoirs avec des chambres comportant six à huit lits superposés. Enfin, parfois, les chambres sont des studettes.
Il existe, en plus des chambres, des équipements collectifs plus ou moins importants : salles de télé, d’alphabétisation, de prière, de réunion, cuisines collectives destinées à tout le foyer. Les foyers appartiennent pour moitié à une société d’économie mixte, la Sonacotra et pour l’autre moitié aux sociétés HLM. Dans ce dernier cas, ils ne sont pas gérés par les sociétés HLM propriétaires mais par des organismes gestionnaires qui sont le plus souvent des associations loi 1901. En région parisienne, ce sont essentiellement l’Aftam et l’Adef. Ainsi, les foyers sont sous le contrôle quotidien d’un « gérant » qui lui (ou elle) s’intègre dans des structures territoriales sous la coupe du siège social de l’organisme gestionnaire.
Les politiques de gestion varient d’un organisme à un autre, tant en ce qui concerne le prix des « prestations » que la tolérance ou la rigueur exercées envers le mode de vie des habitants.
Le résident de foyer est plus proche juridiquement d’un occupant d’hôtel que d’un locataire. Il n’a pas le statut de locataire et, dans de nombreux cas, l’espace de sa chambre n’est pas considéré comme un espace privatif. Les règlements intérieurs qu’imposent les gestionnaires sont souvent draconiens et considèrent les résidents comme des mineurs sans droits, sans responsabilité et sans vie privée qu’il s’agit de contrôler et d’assister ; ils ont force de loi et sont annexés au contrat d’occupation. Les « loyers » sont des redevances comportant un équivalent-loyer, des charges et des prestations (par exemple pour le changement des draps). Ils peuvent être modestes dans les vieux foyers-taudis avec lits superposés, mais pour les foyers « modernes » avec des chambres à un, deux ou trois lits, ils peuvent atteindre entre 200 et 400 par mois et par lit.
À part cela, depuis trente, quarante ans, depuis leur déménagement des taudis et des sous-sols où ils s’entassaient dans la France des années 60, il y a des dizaines de milliers d’hommes qui y font leur vie.
Les résidents vivant dans ces foyers, bien qu’étant originaires de tous les pays du monde, sont majoritairement originaires d’Afrique du Nord ou de l’Ouest.
Les résidents maghrébins ont souvent intégré les foyers dès les années 60 et beaucoup sont devenus des personnes âgées qui partagent souvent leur temps entre la France et leur pays d’origine. Ce vieillissement et ces va-et-vient, même s’ils font l’objet de nombreux discours et rapports, sont traités par les pouvoirs publics dans le sens le plus défavorable pour les travailleurs retraités : la carte de retraité est très discriminante ; l’octroi des aides au logement et aux minima sociaux est conditionné à une condition de résidence en France, condition qui vient récemment d’être alignée sur les 183 jours exigés par les impôts. Or il semble aberrant qu’après avoir passé toute sa vie loin de sa famille, le retraité immigré soit encore assigné à 6 mois de résidence en France pour toucher des droits acquis grâce au travail ici (et à la séparation). Déjà, à Marseille, avant même que les directives nationales soient édictées pour « contrôler » la résidence effective en France, le fisc marseillais a rayé de la domiciliation fiscale plus de 3000 vieux travailleurs qui n’avaient pas leurs 183 jours de résidence en France. Et, sans avis d’imposition, aucun dossier (APL, ASPA, CMU
) n’est possible. Sans ces droits, vivre ici devient pour ceux qui devraient en bénéficier impossible. En fait c’est une expulsion qui ne dit pas son nom.
Les gestionnaires ont imaginé pour ces travailleurs retraités qui font des va-et-vient avec leur pays d’origine des solutions de chambres partagées ou de chambres-navette mais pour l’instant, ce système n’a pas pris en compte la condition de résidence des 183 jours et il reste très contraignant, surtout en cas de maladie du retraité. Les discriminations dans l’accès aux droits (soins, minima sociaux, AAH, aides au logement, portage des repas à domicile
) existent encore à leur encontre. Certains d’entre eux sont dans des situations de dépendance sans solution. En fait, ces résidents vivent dans la plus totale relégation. Pour eux, la France, ça n’est souvent plus que le foyer (ou l’hôtel meublé) et les amitiés et solidarités nouées dans ce lieu pendant trente à quarante ans. Ils n’y ont pas ou plus de délégués. Pourtant, si une première impression de tristesse frappe le visiteur, elle se dissipe dès les premiers échanges. Les résidents ont une mémoire très vive de leur vie d’ouvriers qu’ils veulent faire partager. C’est sans doute ce qui est le plus émouvant, ce besoin de parole et de dignité et le peu de cas fait justement de cette parole par les décideurs quand il s’agit de trouver des solutions aux problèmes de vieillissement, de va-et-vient et de relogement.
Les résidents ouest-africains, eux, ont un mode d’occupation des foyers différent. Grâce à la possibilité de se réunir en nombre, grâce à l’existence parmi eux de nombreuses caisses ou tontines et de centaines d’associations uvrant pour le développement des villages d’origine, grâce aux informations nombreuses en provenance des pays d’origine qui y circulent, les foyers sont devenus des lieux incontournables pour la vie sociale et culturelle des communautés ouest-africaines. Grâce aussi aux multiples petites activités de service et aux nombreuses pratiques de solidarité, les foyers sont, par la force des choses, devenus des lieux d’accueil pour d’autres membres de la famille, du village, des régions d’origine qui ne trouvent pas de logement ailleurs.
Les résidents des foyers originaires d’Afrique de l’Ouest s’organisent de deux manières, l’une traditionnelle : le comité des vieux ou des sages représente toutes les « communautés » ou ressortissants d’un même village ou d’une même région présents dans le foyer ; l’autre politique : des délégués sont nommés pour gérer les contacts avec l’organisme gestionnaire, le monde politique et social extérieur. Ces délégués forment alors un comité de résidents souvent déclaré sous la forme d’une association loi 1901 et de plus en plus souvent élu selon un Protocole au cours d’élections formalisées. Les différents comités de résidents d’un même organisme gestionnaire se regroupent pour former une coordination. Les trois coordinations qui existent s’attribuent toutes une double fonction : soutenir les comités de résidents et être l’organe de médiation et de négociation avec la direction de l’organisme gestionnaire. Aujourd’hui, ces comités et ces coordinations jouent leur rôle et sont reconnus par les gestionnaires et les pouvoirs publics. Seule, la Sonacotra, avec son fonctionnement et sa culture « de type préfectoral », a beaucoup de difficultés à établir le dialogue et la confiance.
La France de Mitterrand des années 80, après avoir régularisé 130 000 immigrés sans-papiers dont de nombreux travailleurs vivant dans les foyers, a décidé que ces foyers ne convenaient pas à une politique visant l’intégration des travailleurs étrangers. Il fallait donc arrêter de construire des foyers et, à une ou deux exceptions, ce fut chose faite. Mais aucune politique de rechange, aucune structure alternative proposant un logement d’accueil n’ont été mises en place. On a considéré que, progressivement, les immigrés célibataires quitteraient les foyers pour intégrer le logement ordinaire. On ne voyait aucune difficulté particulière pouvant empêcher ce processus.
Lorsque Lionel Jospin a été nommé Premier ministre, en 1997, la France a de nouveau procédé à une régularisation partielle des sans-papiers. Plus de 100 000 étrangers ont obtenu le droit de vivre et de travailler en France. Mais on a continué à estimer en haut lieu que la solution à leur problème de logement existait dans le marché ou dans les HLM.
Chaque ville possède sa liste de milliers de sans-logis ou mal-logés « prioritaires » que les services municipaux et préfectoraux n’arrivent pas (ou ne veulent pas) loger. Pour des hommes seuls, qui ne sont pas ministres, qui n’ont pas de gros revenus mensuels, qui n’ont aucune « priorité » pour obtenir un HLM, de plus immigrés, souvent victimes de réactions racistes, trouver un logement décent à un prix abordable hors du foyer reste un exploit. Aujourd’hui, en région parisienne, la crise du logement est telle que les foyers sont très souvent suroccupés car les résidents doivent héberger leurs proches.
En même temps, les sociétés gestionnaires ont eu à faire face au vieillissement de leur parc de bâtiments. L’évolution de la société ne les a pas aidées à faire face aux demandes d’investissements nécessaires. La montée du chômage a fait que de plus en plus de résidents prenaient du retard dans le paiement de leurs loyers. De plus, le Fonds d’action sociale a peu à peu coupé les subventions destinées aux gestionnaires de foyers. Quant aux propriétaires HLM, ils se sont, pour leur grande majorité, complètement désintéressés de l’état de leurs foyers et des conditions de vie des résidents.
Le résultat, notamment dans les foyers à majorité ouest-africaine : sur-occupation, délabrement, déficits de fonctionnement, cas de tuberculose…
Déjà en 1996, le gouvernement d’Alain Juppé avait commandé au parlementaire Henri Cuq un rapport sur la situation dans les foyers de travailleurs immigrés. Le rapport recommandait la démolition d’une vingtaine de foyers très vétustes et de grandes modifications dans le fonctionnement des autres, en particulier pour casser le mode de vie des résidents ouest-africains accusé d’être communautariste et en dehors de la loi républicaine.
Au début des années 80, l’APL étendue aux foyers correspondant aux normes exigées en termes d’équipements sanitaires ou de superficie (9 m2 minimum pour une chambre) avait permis des hausses importantes de redevances. En 1997, un décret a décidé de transformer peu à peu les foyers en « résidences sociales ».
C’est un logement collectif plutôt de petite taille destiné à accueillir pendant une période ne dépassant pas deux ans des personnes « en difficulté ». Il s’agit d’organiser un accompagnement social dont l’objectif affiché est de faciliter le passage vers le logement dit « ordinaire ». C’est le gouvernement Balladur qui a, par décret, en 1994 (circulaire d’application en 1995) transformé tous les logements-foyers, dont les foyers de travailleurs immigrés, en résidences sociales à condition qu’ils soient mis aux normes et conventionnés à l’APL. Ces textes ont été confirmés et leur mise en uvre opérée par le gouvernement Jospin.
Pourtant ce nouveau statut est un statut inadapté à la réalité des travailleurs immigrés et régressif au niveau des droits. En effet, il assimile les travailleurs immigrés des foyers à des handicapés sociaux incapables d’autonomie, ayant besoin d’une assistance constante, d’un projet social défini par d’autres qu’eux en l’occurrence par les gestionnaires.
Alors que la circulaire de 1995 exclut de son champ d’application les résidences pour personnes âgées et handicapées, elle ne reconnaît aucune spécificité aux foyers de travailleurs immigrés. On fait comme s’ils n’avaient pas d’histoire, comme si leurs habitants n’avaient jamais exprimé d’aspirations propres. Le cadre de la résidence sociale devient alors un cadre fourre-tout pour « personnes en grandes difficultés », permettant aux pouvoirs publics et aux gestionnaires de pratiquer ce qu’ils appellent « la mixité sociale » c’est-à-dire entasser dans des petites chambres, dans des immeubles sans lieux collectifs ou alors réduits au maximum des personnes en grande fragilité psychologique, des sortants de prison, d’HP, de cure de désintoxication, des RMIstes, des femmes seules avec enfants
et des travailleurs « isolés ». Aujourd’hui les pouvoirs publics lorgnent de plus en plus ouvertement vers les foyers / résidences sociales pour loger les travailleurs en contrat temporaire, en particulier d’Europe de l’Est. Ainsi le taux de remplissage des dites résidences sera bon et avec le conventionnement APL, les gestionnaires auront l’assurance d’une rentrée d’argent sûre.
Or, les travailleurs immigrés vivant durablement dans les foyers, on était en droit d’attendre, au vu des discours sur l’intégration et la nécessité pour eux de rentrer dans le droit commun, une évolution de leur statut vers le statut de locataire. Mais c’est en fait tout le contraire dont il s’agit ! Avec cette nouvelle réglementation sur les foyers, les travailleurs immigrés deviennent des cas sociaux, des handicapés à accompagner et à contrôler. Ils sont plus que jamais des mineurs, n’ayant même pas le respect à la vie privée dans le cadre de leur espace privatif. Ce statut inadapté et régressif trouve sa légitimité dans toute une rhétorique très hypocrite sur les foyers qui ne seraient que des ghettos (alors que la politique de mise à l’écart et de non-droit est constante), sur la nécessité de la « mixité sociale »dans les résidences sociales (en fait mixité uniquement de la misère sociale) et sur la nécessité d’un accès au logement « ordinaire » (impossible en région parisienne !) le seul qui permettrait une réelle « intégration » (en réalité invisibilité) à la société française.
Dans les années 60, le concept du foyer-tour (que l’on a fait construire en très grand nombre et gérer par la Sonacotra) répondait à plusieurs préoccupations : octroyer aux travailleurs immigrés de meilleures conditions de logement en leur donnant accès à un « lit » voire à une chambrette, empêcher qu’ils puissent, comme les travailleurs algériens l’avaient fait dans les bidonvilles, s’auto-organiser, les contrôler étroitement en les encasernant dans des « foyers-prisons » et les reléguer le plus loin possible des centres-villes et le plus près possible des « bassins d’emploi » pour qu’ils comprennent bien qu’ils n’étaient que de passage, devant quitter le pays quand l’économie française n’aurait plus besoin d’eux.
Aujourd’hui, le foyer-tour n’est plus de mise, pas plus que le gérant, ancien de la guerre d’Algérie, ou le règlement interdisant toute visite et toute réunion. La relégation prend de nouvelles formes : les foyers de travailleurs immigrés doivent disparaître comme lieux particuliers d’habitat collectif, ils doivent être « mixtes », invisibles comme foyers dans les quartiers.
L’intégration des travailleurs immigrés n’est toujours pas conçue comme une affaire de reconnaissance de leur place et de leurs apports dans la société, une affaire de lutte contre les discriminations et pour l’égalité des droits. Elle n’est pas non plus liée au droit à vivre dans des lieux collectifs ou non – de qualité. L’intégration dépend de la nature de l’habitat et de l’invisibilité des habitants.
Mais comme rien n’est fait pour « faciliter » le passage des résidents vers le logement « ordinaire », hypocritement, la contrainte des deux ans de séjour maximum a été levée pour les anciens foyers devenus résidences sociales !
L’idée a ainsi pris forme de briser deux caractéristiques de ces foyers considérées comme nocives et anti-républicaines : le fait que les résidents proviennent d’une même origine et puissent y reconstruire et défendre leur mode de vie traditionnel particulier, baptisé alors « communautarisme », et le fait que l’organisation politique et sociale interne de ces résidents leur donne effectivement un pouvoir de co-gestion sur la vie du lieu.
Les gouvernements de droite puis de gauche, devant le délabrement des foyers et les risques multiples encourus par leurs habitants, ont dû élaborer un programme de réhabilitation et de rénovation appelé « plan quinquennal de traitement des foyers ». Une Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI) a été mise sur pied pour piloter ce programme. Mais devant les obstacles (fonctionnement interministériel compliqué, plans de financement longs à élaborer, prix du foncier très élevé à Paris et en Ile-de-France, etc.) et les résistances municipales (l’immense majorité des maires refusant les permis de construire), ce plan quinquennal signé d’abord pour les années 1997-2002 a dû être prolongé jusqu’en 2006. En 2007, dans les différents départements de l’Ile-de-France, ce sont entre le quart et la moitié des foyers inscrits au plan qui ne sont toujours pas réhabilités !
Les espaces collectifs des foyers permettent une organisation collective et solidaire d’hommes vivant sans leurs femmes et leurs enfants pendant des décennies. Et c’est particulièrement important aujourd’hui où la vie devient très difficile pour les travailleurs pauvres et où la pression des familles et des villages là-bas est de plus en plus forte. Pour les résidents et le Copaf, il n’est donc pas question que les espaces collectifs soient remis en cause. Or la décision des pouvoirs publics de ne faire que des « logements autonomes » c’est-à-dire des studettes (de 11,8 m2 à 15 m2 parfois plus avec douche, WC et plaque chauffante) ne correspond en rien au mode de vie collectif existant dans de nombreux foyers. De plus, cette décision, « pour ne pas perdre trop de capacité », a comme conséquence directe de réduire considérablement les espaces collectifs. La conception qui prévaut là est une conception d’un logement aseptisé, normalisé, individualisé, du « chacun chez soi » et du « chacun pour soi ». Les résidents sont d’accord pour que les espaces privatifs soient plus grands et plus confortables, voire autonomes mais à une double condition :
– qu’il y ait une offre diversifiée d’espaces privatifs correspondant aux vux de tous les résidents ; par exemple, certains résidents rejettent l’idée d’avoir le WC dans la chambre, les résidents âgés et en retraite veulent des chambres à 2 ou 3 lits « pour ne pas mourir seul » ou pour en faire un usage plus facile de « chambres partagées » etc.
– que les réhabilitations ne se fassent pas au détriment des espaces collectifs. Il faut des cuisines collectives, des cafétérias, des salles de prière, des salles de réunion et des locaux pour les comités de résidents. Ensuite il faudra imaginer des règles plus favorables aux résidents de gestion de ces espaces collectifs.
Les réhabilitations suivies du conventionnement APL permettent des augmentations très fortes des redevances : jusqu’à 30 à 40 % ; pour les foyers-taudis la redevance peut être multipliée par 3 ou 4 après réhabilitation. Certains résidents ont un taux d’effort qui dépasse 30% alors qu’ils ont de lourdes charges au pays d’origine et des petits salaires. Pour les résidents et le Copaf, le taux d’effort ne devrait jamais dépasser 20%.
Les réhabilitations en site occupé sont très difficiles à la fois pour les résidents victimes de nuisances de toutes sortes mais aussi pour les entreprises et leurs ouvriers qui travaillent dans de mauvaises conditions. Il faut donc absolument trouver des relogements-tiroirs pendant la durée des travaux.
Agrandir les espaces privatifs veut dire perte de capacité donc des résidents à reloger ; de même pour le relogement des suroccupants. Les résidents et le Copaf ont maintes fois réclamé un ensemble de mesures permettant ces relogemenst-desserrements : faciliter l’accès au logement HLM ; multiplier les foyers-soleil ; mettre sur pied un système d’aide à la location et surtout construire de nouveaux foyers, créer de nouveaux sites, sinon la suroccupation restera très élevée.
Pour que les besoins et vux des résidents soient pris en compte, pour que les réhabilitations correspondent à la vision qu’ils en ont, il faut une réelle concertation avec eux. Or la concertation proposée est vraiment réduite : entre les contraintes énoncées (financements, réglementations, normes) et les décisions prises par les pouvoirs publics (transformation systématique à partir de 2006 des chambres en studettes par exemple), il ne reste plus de place à la négociation. Les comités de résidents sont bien invités dans les comités de pilotage mais ce n’est en fait souvent qu’une simple consultation des comités de résidents sur quelques points de détail.
C’est la politique répressive de la Sonacotra qui illustre le mieux ce désir de casser toute velléité d’organisation et d’autonomie des résidents. On sait qu’en Ile-de-France, la sur-occupation des foyers est importante. Avec la crise massive du logement pour les travailleurs pauvres, ce phénomène, plutôt repérable dans les foyers habités par les travailleurs ouest-africains, a tendance à se développer aussi dans les autres communautés. Pour « lutter contre la sur-occupation », la Sonacotra a choisi la voie de la répression brutale : au petit matin, accompagnés de forces de police, des huissiers font irruption dans le foyer pour contrôler l’occupation des chambres : un matelas supplémentaire, des lettres au nom d’une deuxième personne
constituent une présomption d’hébergement illicite. Le résident est traîné en justice. Le juge, considérant que le foyer est un « foyer-hôtel » où le résident est un hôte de passage sans droit au respect de sa vie privée condamne à l’expulsion.
Des contrôles de ce type ont eu lieu dans tous les départements de la grande couronne, à Paris dans le 13e arrondissement, puis le 15e, le 20e, le 11e, le 19e, ainsi que dans les départements de la petite couronne. Les résidents ont eu l’impression d’être traités comme des criminels alors que pour eux, héberger leurs proches, « ne pas les laisser à la rue », relève d’une solidarité élémentaire à laquelle ils ne peuvent, en aucun cas, se soustraire. La riposte s’est organisée : pétitions, manifestations, délégations, constitution de réseaux de solidarité
La Sonacotra maintient sa politique répressive ; elle multiplie les contrôles humiliants et stigmatisants avec 4, 5, 6 cars de police qui bouclent le foyer au petit matin, parfois pour contrôler une chambre ! elle utilise les mêmes moyens pour fermer les chambres des personnes condamnées à l’expulsion.
Tout cet ensemble de facteurs fait que l’avenir des foyers est devenu un enjeu de volontés politiques contraires de la part des pouvoirs publics d’un côté, des résidents et des gens qui les soutiennent de l’autre.
– reconnaître le rôle positif d’un habitat collectif de qualité aujourd’hui dans ce pays : que des groupes de personnes, face au déchaînement d’un consumérisme et d’un individualisme suicidaires, face à la marchandisation éhontée du logement, cherchent à vivre collectivement et solidairement est à soutenir sans réserves. Les initiatives allant dans ce sens doivent être multipliées. Les résidents des foyers qui revendiquent ce droit à la vie collective et solidaire doivent être entendus. Il faut donc rénover les foyers en tenant compte du mode d’occupation des différents résidents et de leurs besoins (vie collective, vieillesse, occupation temporaire
.) ; traiter sans précipitation, sans fantasmes et en concertation avec les comités de résidents les questions des cuisines collectives, des salles de prière et des autres activités de petits services de proximité.
– reconnaître de nouveaux droits, équivalents aux droits des locataires face aux bailleurs : les résidents doivent être entièrement maîtres de leur vie privée et de leur espace privatif et doivent pouvoir vivre avec qui ils veulent. Il faut également repenser le rôle des gestionnaires, et en particulier dans la gestion des parties communes. Il faut que les comités de résidents et leurs coordinations soient partout reconnus et que leur soient accordés de vrais moyens de fonctionnement. La loi SRU de 2000 avait institué, dans chaque foyer, un conseil de concertation regroupant les représentants du gestionnaire, des résidents et du propriétaire et « toute personne dont la compétence est jugée utile ». Or, la loi ENL de 2006, si elle conserve les conseils de concertation, supprime toute référence aux comités de résidents et renvoie les résidents au face à face avec le gestionnaire. Il faut donc revenir à une conception ouverte des conseils de concertation et mettre résolument en place une culture du dialogue et de la négociation qui parte des gens eux-mêmes et de leurs besoins et y adapte les solutions.
– relancer la construction augmenter l’offre : penser de nouveaux types de logement collectif de qualité, développer les logements-soleil, permettre l’accès au logement social (en co-location ou en regroupement familial), faciliter par des aides multiples l’accès au logement privé.
– exiger les droits entiers à la retraite, à la santé, au logement et liberté de circulation pour les travailleurs immigrés retraités et leurs familles : ce pays qui a choisi une immigration de travail dans les années 50 / 60, qui a fait venir des centaines de milliers de travailleurs immigrés, qui les a fait cotiser à hauteur de tous les autres travailleurs, doit accepter pour eux et leurs familles la libre circulation avec le maintien de tous leurs droits. L’Etat français doit donc s’engager à respecter l’égalité des droits entre les travailleurs et donc à n’exclure aucun vieux travailleur immigré de ses droits. Il doit s’engager à adapter sa réglementation et à faciliter la libre circulation par des conventions bilatérales et un ensemble de mesures facilitant les transports, le rapatriement des corps, les transferts d’argent – inscrire les foyers et leurs habitants dans le quartier et dans le débat public : stimuler des occasions de rencontres et de débats entre les résidents et les habitants, les élus et les responsables des quartiers et des villes dans lesquels ils sont insérés. Il faut pouvoir discuter collectivement des enjeux essentiels de la vie de nos cités. La question des sans-papiers est clairement un des enjeux majeurs de la société et de la politique en Europe aujourd’hui. Elle est complètement liée à deux autres questions importantes : les droits des gens à circuler et à s’installer là où ils peuvent avoir l’espoir d’un avenir meilleur, et l’évolution des sociétés et des peuples africains dans un contexte environnemental et politique toujours très tendu et fragile.
Les foyers sont au cur de ces questions de l’avenir de l’Afrique, de la politique d’accueil des étrangers en France et de la régularisation des sans-papiers :
– une grande majorité des résidents des foyers cotise pour un ou plusieurs projets de développement en Afrique ; ce sont souvent ces associations de développement qui portent en France cette question citoyenne de nouveaux rapports Nord / Sud dans la société ; il faut donc les connaître et les soutenir.
– les contrôles policiers aux abords des foyers se multiplient et parfois même les policiers, en toute illégalité, pénètrent à l’intérieur de certains foyers. La sécurité version Sarkozy ressemble de plus en plus à l’insécurisation maximum de toute la communauté africaine. Les foyers deviennent ainsi des lieux dangereux hors droit commun qu’il faut déstabiliser et stigmatiser aux yeux de l’opinion. Ils sont menacés et leurs résidents en danger. Il faut constituer partout des réseaux de solidarité et de débat avec les résidents des foyers et continuer de lutter pour la régularisation globale des sans-papiers.
Le Collectif pour l’Avenir des Foyers (Copaf)
Fondé en 1996 en réponse au rapport Cuq, le Copaf a organisé un premier colloque à l’Assemblée nationale en 1999 pour poser les questions du statut des résidents, des réhabilitations et faire connaître l’ouvrage de Michel Fiévet intitulé « Le Livre blanc des travailleurs immigrés des foyers » (Ed L’Harmattan,). Peu à peu, il a constitué un réseau de soutien et d’appui aux comités de résidents et à leurs coordinations et avec eux a élaboré un certain nombre de propositions qui ont fait l’objet d’un deuxième colloque à l’Assemblée nationale en avril 2006.
Contact : T/F 01 46 06 09 69 ou 06 87 61 29 77
Site : http://www.copaf.ouvaton.org/
Email : [email protected]///Article N° : 4709