« Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France. »
Léopold Sédar Senghor, Hosties noires, Le Seuil, 1948
On peut avoir de la tendresse pour les années folles et tous ces poètes passionnés d’Afrique, mais faut-il pour autant exhumer les images d’une négritie fantasmée issue des rêveries coloniales ? Ces images décalées et humoristiques aux trémoussements improbables étaient les épouvantails que brandissaient les avant-garde contre la bourgeoisie prude et bien pensante, toute guindée dans des valeurs morales d’apparence : « Le pan pan au cul du nu nègre » (Clément Pansaers, 1920) que maniaient avec humour et provocation les dadaïstes de Tsara à Soupault.
Continuer de brandir aujourd’hui les folies nègres des années vingt, sans distance critique, sans dénonciation, simplement par plaisir nostalgique d’une époque devenue mythique, c’est continuer de faire rire sur des clichés que la plupart des artistes et intellectuels noirs ont dénoncés. Ce qui était avant-garde esthétique dans les années vingt devient en 2001 au pire un parti-pris complice d’une sorte de néo-colonialisme, au mieux de l’inconscience pure ou simplement de l’ignorance dangereuse. Les peuples qui ne vivent pas le fatalisme du paraître ont tôt fait d’oublier le danger des images. Il faut manier les images avec discernement et précaution quand il s’agit de celles d’un peuple qui a été crucifié au nom de son apparaître.
L’idée des mégaphones était une idée dramaturgique pionnière du temps de Cocteau, permettant de dissocier les images et les paroles. Quand les mégaphones sont les voix de deux acteurs blancs et les protagonistes qui s’agitent les caricatures d’un chasseur d’autruches buschman tout droit sorti des Dieux sont tombés sur la tête ou d’indigènes échappés du zoo qui posent pour une photo de carte postale, elle a en 2001, où elle n’est plus révolutionnaire, quelque chose de dérangeant au plan idéologique.
Pourquoi travailler avec des Namibiens, dont le programme distribué au public prend soin de souligner qu' »ils ne connaissent guère le surréalisme, ni Cocteau, ni d’ailleurs, la tour Eiffel », pour leur demander de restituer des images qui ont été produites et fantasmées par les Blancs. Pourquoi plaquer sur eux notre imaginaire ? N’est-ce pas continuer de coller sur les Africains ces images qui ont baigné notre enfance et dont on a du mal à se séparer ? La femme girafe, la négresse à plateau, le cannibale emplumé hantent encore les rêves occidentaux, c’est une imagerie à laquelle on ne veut renoncer et que, sans les moindres mauvaises intentions du monde, on roule devant soi, sans jamais les disséquer, sans les ouvrir, alors qu’elles recèlent un durillon raciste, dont Vincent Colin serait sans doute le premier épouvanté s’il allait au fond des choses. Certes son spectacle est amusant loufoque à souhait, mais à quel prix ?
musiques du Groupe des Six
Programmation du » in « , Théâtre municipal
Orchestre régional de la Réunion, direction Philippe Nahon
orchestration : Marius Constant
collaboration chorégraphique Sébastien Le François
chants : Bonnie Peeko et Banana Shekupe
lumière Denis Desanglois
costumes : Beata Hamelwa
toiles peintes Marie Begel
régisseurs Eric Ismaël et Franck Martineau
production : CDN de l’Océan Indien et Théâtre national de Namibie
avec Stéphane Vallé, Nathalie Fillion, Victoria Benyamin, Didier Ibao, Saud Kamure, Elisabteh Nepembe, Simon Siméon, Steven Afrikaner, Sébastien Lefrançois, Theresa Kahorongo, Sidney Gurirab, Karl Pietersen, Diana Jaarsak, Manfred Shikongo Namalenga, Adriano Tarista,Chamaritha Van Der Westhuizen, Banana Shekupe.///Article N° : 1905