Les revenants

Print Friendly, PDF & Email

Expression à la fois sacrée, ésotérique, et populaire, le rituel des revenants, appelés egungun en yoruba ou kuvito en fongbé, regroupent, au sein d’un même événement, divers types de symboles : plastique, sonore, gestuel… qui, l’espace d’une rencontre avec le public, recréent les mythes essentiels par le jeu d’une distribution des rôles et la répartition des interdits. Egungun a la maîtrise de toutes les formes d’artisanat et exécute la totalité des arts de la rue.

Un art total
Egungun est un masque qui exploite tous les genres artistiques et les codes sociaux, pour aboutir à des signes et des schèmes déchiffrables selon plusieurs niveaux de lecture et capables d’assurer l’harmonie et la cohésion du public.
Les créations plastiques figuratives ou abstraites, déterminées par l’importance des couleurs et des formes proposent des toiles dominées par des couleurs-symboles, mais aussi des sculptures gelede moins ésotériques. Le rituel est d’abord une présentation de mode où chaque vêtement correspond à une catégorie sociale déterminée. La danse en est le plat de résistance : une chorégraphie rigoureuse exploitant une scénographie des arts de la rue, des techniques allant du solo au ballet, de l’expressionnisme à l’explosion acrobatique. Le spectateur sensible à chacun de ces signes arrive à discipliner ses réactions et à participer, en provoquant un revenant (le revenant atino, un des plus violents dans son costume de jute, par exemple, qu’il traite de pute ou sakabo), ou en réagissant à la provocation du revenant Tailleur quand ce dernier déclare :  » Ce pays, est-ce mon pays ? Que je foute du désordre ici et que je rentre à la maison.  »
La danse est renforcée par la magie, les cortèges, etc., mêlées de paroles, de musique et de slogans. Ces slogans sont interdits au public non initié.
Le rituel
Concrètement, les revenants apparaissent au cours d’une commémoration ou sur la place publique pour apporter un message d’espérance du pays des morts au pays des vivants. Cette espérance et les conditions de sa réalisation sont contenues dans un poème yoruba : Esa.
Le Revenant est un personnage sérieux, un caractère total imbu de contradictions, d’humeurs variables et de réalisme. Il appartient lui même à une collectivité dont la seule règle est la répartition des pouvoirs.
Le porte parole de l’agora (xweto*) est toujours désigné parmi les Abebe, un revenant qui tient deux queues d’animaux dans les deux mains et qui porte son couvre-chef carré au sommet dans une position horizontale. Les Abebe ne sortent qu’au plus fort de la cérémonie. Comme ils sont tous des messagers potentiels, ils ont une complicité avec le public qui peut se rapprocher et les voir danser parce qu’il sait qu’ils ne le chasseront pas. Conscient de son rôle, Abebe danse suffisamment bien pour séduire le public à qui il devra donner un verdict en cas de conflit. Et ce verdict est suivi. Même dans les cas exceptionnels où il lui arrive de se faire représenter.
Taquin et belliqueux, Tama, lui, tient toujours une épée et une queue. Une longue chaîne pend de chaque côté de son petit couvre-chef carré. Il pose de temps en temps sa queue de cheval sur la sculpture gelede représentant un animal et fixée sur le couvre chef. Tama est brutal. Il incarne la peur et taquine le public qu’il peut chasser jusqu’à le mettre le dos au mur.
A l’opposé et comme Abebe, le Fessu koto ne chasse pas. Il ne fait que danser. On dit qu’il représente la femme. En tout cas, il en porte les attributs de douceur et la souplesse dans sa façon d’exécuter la danse. Il incarne le beau, tout comme Gunuku qui frime dans sa tenue réversible et qui est rarement seul.
Quant au Meyato, un couteau à la main, il est violent et exerce en priorité cette violence sur lui même. Il peut être grossier, labourer la terre de ses coups de reins, rouler par terre sur des dizaines de mètres. C’est un grand animateur qui crée la connivence avec le public, le rassemble, le disperse. Il porte au dos son couvre-chef carré et se balade. C’est lui qui, avec le revenant tailleur, assure les limites de la cérémonie. Ils font rarement partie de la chorégraphie collective. Les enfants disent que c’est le revenant tailleur qui coud les costumes de tous les autres revenants, ce qui explique que son propre costume est en patchwork composé de milliers de petits morceaux de restes de tissus.
Ainsi, les revenants forment une grande collectivité de caractères et de connivences.
Un art de la rue ?
Il y a plus de trente savoir-faire dans un spectacle egungun : l’acrobatie, la danse de rue, la danse d’intervention, la danse de masque, les grandes scénographies urbaines, les parades de prouesse, les parades musicales, les parcours, les performances dansées, les processions, la couture, les installations, la chanson de rue, la composition, les proverbes, le gangan (tambour parlant), la musique traditionnelle, le jonglage, les joutes, la magie, les masques (arts plastiques), les slogans, les percussions, la sculpture, etc..
Le spectateur perçoit les subversions successives du sculpteur de masque, du tisserand qui a créé le motif de vêtement, du couturier, du musicien, du danseur lui-même et en même temps du chef de couvent qui est le directeur d’acteur de toute cette manifestation et le garant de la cohésion sociale.
Le spectacle egungun, dans la mesure où il revêt un caractère religieux significatif (culte des ancêtres) n’est nullement assimilable, du point de vue de la fonction, aux genres occidentaux. Et dans l’attitude participative essentielle du spectateur, il s’éloigne davantage du schéma classique du spectacle. Le spectacle egungun, quoique très codifié et radicalement structuré, présente un nombre incalculable de symboles signifiants et un jeu d’échanges et de dialogues improvisés ou convenus, extrêmement complexe.
La communication egungun
Le mythe de création des egungun à Ouidah, selon les sages, attribue le spectacle des revenants à une manifestation de dépit, un appel à la vie. Deux versions se disputent la vedette. Un esclave, pour échapper à la traite, aurait fait appel à ses ancêtres. Ceux-ci apparurent dans des costumes tellement prestigieux que les notables en furent séduits. Pour camoufler leur peur, ils ont dû s’accommoder à la circonstance et attribuer un domaine sur le site actuel des Alipini, à leur ancêtre. L’autre version, identique, fait plutôt référence à une fête interdite que les ancêtres seraient venus imposer à travers des egungun.
On comprend donc qu’une représentation egungun vise la vie, dans son intégralité. Mais ce n’est pas une représentation perpétuelle du mythe d’origine. C’est un lieu où les anciens viennent représenter leurs propres sentiments et caractères, leurs propres contradictions, leurs propres cohésions et le message de leur pays lointain devant le témoignage des vivants. Ce témoignage est actif. Les vivants font bel et bien partie de l’espace de la communication.
A chaque spectacle, l’attitude des spectateurs décide tout : les dialogues, la durée des danses, le succès des performances, l’engouement de la musique, tout.
De même que les revenants sont répartis en catégories reconnaissables à leurs accoutrements et leurs symboles, de même, le public est divisé, consciemment ou non en fanatiques ou en adversaires de tels ou tels revenants, chaque groupe jouant à l’intérieur du groupe global constitué par la totalité du public et des revenants.
Mais les spectateurs connaissent, comme egungun, leurs limites. Un accompagnateur armé de chicote, l’Amouncan, est toujours présent autour du revenant pour rappeler ces limites aux uns et aux autres. Ainsi, quand le méchant et taquin Tama vous met le dos au mur et veut en profiter pour vous percer le ventre avec son sabre, l’accompagnateur évalue les risques, trace un trait que le revenant n’a pas le droit de traverser ou pose sa chicote à même le sol.
Le public ne doit pas toucher un revenant. L’accompagnateur le rappelle au spectateur au moment où la fougue et la passion font perdre la raison à ce dernier. Ce rappel à l’ordre peut être d’une grande violence.
L’espace de communication egungun n’a pas de limite géographique. Le jeu est universel. Et il n’y a d’autres thèmes que ceux de la vie. Ce spectacle signifie que les gens d’hier rendent visite au gens d’aujourd’hui pour préparer avec eux ce qui vient, les choses de demain. Ils viennent avec leur littérature, leurs arts, leur magie, leur technologie, leur musique… et aussi leurs caractères humains, différents, qui exposent, sinon une grande tolérance, du moins une acception marquée de la relativité du bien et du mal, du beau et du laid, du triste et du gai. Il sait, hier, que ces caractères existent aujourd’hui. C’est une communication suggestive. Elle propose le témoignage d’une réalité sans préjuger de la disponibilité du public à accepter ou à rejeter cette réalité. Elle propose cette réalité dans toute sa complexité, dans toute sa diversité et de manière objective puisqu’elle étale la totalité des subjectivités. 

* Les noms cités ici sont ceux du public d’un territoire fon. Normalement, ces noms varient d’un coin à l’autre et ne restent identiques que lorsqu’ils sont secrets. Mais nous avons préféré aborder les revenants à partir de l’angle du public. ///Article N° : 1527

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire