« Les Tambours ne sont pas qu’un groupe de Tam Tam »

Entretien de Julien Le Gros avec Emile Biayenda, directeur musical des "Tambours de Brazza"

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Depuis vingt ans « Les Tambours de Brazza » arpentent le globe avec leur vibration magique venue du Congo. « Sur la route des caravanes » est leur nouveau périple musical.

Emile Biayenda, « Sur la route des caravanes » est un album qui raconte une histoire : celle de la route de l’esclavage en Afrique.
On emprunte la route des esclaves, en musique mais sans en faire une revendication politique ou prôner la révolution. On reprend ce parcours qui partait d’Afrique du Nord jusqu’à Zanzibar, en passant par Dar Es Salaam, Nairobi, Kinshasa, Brazzaville, Pointe Noire, Douala, Yaoundé, Cotonou, Abidjan… On remonte jusqu’à Salvador de Bahia, Cuba, La Havane, Kingston, Paris… On a reproduit ce voyage avec comme troubadour le tambour central ngoma, notre instrument du Congo. Ce tambour voyage et, dans sa route, rencontre d’autres instruments comme le violon, la trompette, le saxophone, la guitare, la contrebasse, le piano, la batterie.

Qui est Tippo Tippo, personnage évoqué dans ce spectacle ?
C’était un négrier, un esclavagiste, qui voyageait de l’Afrique du Nord jusqu’à Zanzibar. Il achetait du sel et des esclaves à Tombouctou. Arrivé à Zanzibar il revendait le sel. Il achetait des épices. A Pointe Noire il écoulait les esclaves et les épices. Et il reprenait le même circuit. On a mis un musicien, un tambour à la place de ce personnage. Je le connais depuis l’école primaire. J’ai appris sur la traite négrière, la traite interne en Afrique avec ces personnages venus du Nord qui descendaient pour acheter des esclaves. Je me suis inspiré de ce parcours qui est bien réel. J’ai vu une plaque qui rappelle cette route des caravanes, dans le quartier Bacongo à Brazzaville. On a simplement mis la musique au centre de ce parcours.

Reportage « Répétition « Sur la route des caravanes » « Tambours de Brazza »

Sur la route des Caravanes 1 par dafaprod

L’album est teinté de nombreuses influences : Rumba, Reggae, Hip-hop, Jazz. Notamment grâce à la contribution d’invités comme Ray Lema, Gino Sitson.
Ces personnalités sont venues naturellement. Quand on prend les racines de la World Music. Il y a eu d’abord Manu Dibango, ensuite les Touré Kunda, Xalam pour le Sénégal, Mbamina, Rido Bayonne au Congo, le groupe ghanéen Osibisa basé à Londres. Mais aussi quelqu’un comme Ray Lema. Il a fait un travail de réadaptation des rythmes traditionnels au clavier. Il nous a rendu visite pendant l’enregistrement de l’album. On l’a invité pour lui rendre hommage. Gino Sitson est une voix bantoue, pygmée, qu’on est content d’avoir posé sur cet album. Il a un chant particulier. On a aussi invité des musiciens chevronnés comme le guitariste sénégalais Hervé Samb du Sénégal, le prince du Soukouss Caien Madoka, l’accordéoniste Révis Givazo de Madagascar… Pour réaliser l’album, j’ai fait appel à mon ami d’enfance : le bassiste arrangeur Francky Moulet. Tout en ayant grandi dans la musique traditionnelle africaine, il a fait le pas avec les musiques actuelles en travaillant dans la production à Londres, à New York. De mon côté, j’ai la chance d’avoir des collaborations en jazz avec Benoît Delbecq, Jean-Jacques Avenel, Didier Fréboeuf et Fayçal El Mezouar. Le chanteur Lead Frédy Massamba, quant à lui apporte sa touche soul-hip hop. Enfin, mes batteurs ont travaillé avec les maîtres tambours et connaissent les codes et les rituels du tambour ngoma. Quand on met ensemble toutes ces influences, on arrive avec un résultat qui surprend ceux qui s’attendent à n’entendre qu’un groupe de tam tam. En fait c’est un orchestre : l’orchestre urbain des « Tambours de Brazza ».

En quoi est-ce un orchestre ?
C’est un Big Band avec un travail d’arrangement, basé sur la recherche des rythmes. Nous sommes du Congo mais on ne joue pas que des rythmes congolais. On trouve des liens entre les rythmes. Tel rythme vient de Guinée. On l’ajoute à un rythme zaïrois qui sonne de la même manière. Ça apporte une orchestration d’ensemble. Quand le groupe s’est constitué, on n’a pas voulu nous revendiquer comme un groupe de musique traditionnelle. On emprunte à la tradition la rigueur dans la composition. On a souhaité en la respectant, la mener dans d’autres directions, pour la rendre accessible à d’autres cultures.

Comment est partie l’aventure des « Tambours » ?

On était un groupe d’amis à Brazzaville, en 1991, avec parmi nous, une Française qui organisait souvent des carnavals. On a monté une association qui a regroupé plusieurs activités : danse, musique, percussions. Je me suis retrouvé à la direction des ateliers de percussions. Un noyau s’est dégagé de ces ateliers pour monter les « Tambours de Brazza ». On a voulu monter une formation de percussions qu’on puisse voir en concert sans s’ennuyer. Monter un spectacle qui fasse que les gens se disent : « Waah, ça déménage ! »

Avant cela, vous avez eu une expérience personnelle marquante, en 1987, lors d’un séjour chez les Pygmées Baabi, au sud du Congo. Qu’est-ce que ça vous a apporté ?
Les Pygmées m’ont donné l’art de structurer les choses, d’être dans une communauté, tout en gardant sa place. C’est quelque chose qu’on pratique aussi avec les « Tambours ». On est plusieurs entités avec un lien et un objectif commun. Mais chacun garde sa personnalité et son énergie. C’est la somme de ces personnalités qui fait que le groupe existe. C’est ce que j’ai appris des Pygmées. On ne peut pas apprendre la musique comme ça. C’est un très long processus. Il faut commencer tout petit, chanter avec sa maman, jouer du tambour. La musique pygmée est un état d’esprit, un mode de vie. Il faut savoir rentrer dans leur communauté, en décrypter les codes, pour prétendre comprendre ce qu’ils font. Sinon on ne rentre pas dans la profondeur de leur culture.

Quels sont les tambours que vous utilisez dans le groupe ?

Il y en a trois. Le petit tambour : le kidoukoulou, qui est le tambour de base Il fait l’ouverture. Il y a un deuxième tambour qui complète, sert aux parties les plus complexes et sert de lien avec le petit tambour et le tambour sacré : le muana ngoma. Enfin, le ngouri ngoma est le tambour solo qui comme tout soliste dans un orchestre prend la parole, gère le morceau, improvise, fait danser, chanter cette trinité qu’on appelle la section rythmique des ngomas. Le tambour est le lien avec nos racines qu’on veut perpétuer. Quand on vit à l’étranger, on oublie vite pas mal de choses. Le tambour nous rappelle d’où on vient, qui nous sommes. Il fait qu’on ne peut pas oublier nos racines.

A un moment donné l’actualité politique vous a rattrapés…

On est partis en tournée en 1997. La guerre a éclaté derrière nous. On n’a pas pu rentrer au pays. Du coup, on s’est installés pendant deux ans au Bénin. Le groupe s’est disloqué. On s’est perdus les uns les autres. En 2000, grâce au festival des Musiques métisses à Angoulême, on s’est reconstruit. On a pris des anciens des « Tambours » et des jeunes qui arrivaient.

Quel bilan faites-vous de ces vingt ans d’activité ?
Les « Tambours de Brazza » sont devenus une référence. Pas seulement au pays. Beaucoup de groupes africains ont apprécié et admiré notre façon de travailler et ont reproduit la même chose chez eux. Avant nous, il y a eu Doudou N’Diaye Rose au Sénégal, les « Tambourinaires de Burundi ». Mais on a apporté une autre façon de fonctionner, avec l’orchestre derrière, la basse, la batterie, la guitare, le chant, la mise en scène, la chorégraphie… Dans chaque pays d’Afrique où nous sommes allés il y a pas mal de « mini-tambours de Brazza. »
Mais ce n’est pas l’heure des bilans. On a encore du chemin à faire. Dans cet album il y a des morceaux qui sonnent orientaux, d’autres jazz, d’autres encore tendent vers la musique classique, avec un clin d’oeil au travail de Pierre Akendengue sur Bach. Tant qu’on a cette force de jouer on continue à expérimenter. Pourquoi pas se tourner vers les Balkans pour une rencontre ?

Tambours de Brazza « Nuits d’Afrique » Montréal 2012

///Article N° : 11442

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