Originaire de Bamako, Mah Damba est la fille du célèbre conteur djeli Baba Sissoko. Depuis une vingtaine d’années, elle vit en France avec son époux et partenaire musical, Mamaye Kouyaté ainsi que leurs cinq enfants.
C’est très jeune que Mah Damba a été initiée à la djeliya, tout d’abord par son père dont elle a hérité l’art de la parole, puis avec ses tantes qu’elle accompagnait chaque fois qu’elles étaient conviées à une fête. Comme sa mère ne chantait pas, c’est auprès de ses tantes qu’elle a fait son apprentissage. Quelques années plus tard, elle intègre l’Ensemble instrumental de Bamako où ont évolué de nombreux artistes. Dans les années 80, elle rejoint son mari alors installé en France. D’après un proverbe de chez nous, » une famille sans djeli est comme un arbre sans feuille et un griot sans famille d’attache est comme un orphelin « . Cela n’est pas le cas de Mah Damba qui retrouve en France des membres de la famille de ses diatiguis, ses hôtes, qui par conséquent sont aussi les siens.
Cet » exil » ne modifie en rien son rôle de djelimusso, bien au contraire, car plus que jamais elle se doit de soutenir, guider, conseiller ses diatiguis afin que même ici en France perdure la tradition. Elle intervient dans la communauté malienne comme le faisait son père notamment pour régler les conflits. Par exemple dans un couple, il peut arriver qu’après une dispute la femme décide, sur un coup de colère, de retourner dans sa famille. Une fois qu’elle sera calmée et qu’elle aura discuté avec ses parents, si elle décide de regagner le domicile conjugal, il faudra alors faire appel au djeli pour qu’il intercède en sa faveur auprès du mari afin d’obtenir le yaffa, le pardon.
Avec Mamaye Kouyaté, talentueux joueur de n’goni (1), elle partage tous les moments importants de la vie de leurs diatiguis : baptêmes, fiançailles, mariages, tout cela dans le respect des traditions, chaque étape étant soigneusement respectée, comme au pays. Les djelis sont les principaux artisans du mariage ; lorsqu’un homme décide de prendre une épouse, pendant que la djelimusso mène son enquête sur la jeune fille en question et sur sa famille, c’est le djeliké qui est envoyé en tant que messager chez le père de la future mariée. Après s’être entretenu avec lui, le djeliké lui remet 10 noix de colas (2). Quelle que soit la réponse du père, elle sera donnée à la famille du jeune homme par son djeliké. Si le père accepte, les frères du futur marié apporteront le panier de colas qui sera partagé pour sceller l’alliance, c’est le woro t’la, les fiançailles. Les femmes s’occuperont de toute l’organisation, c’est à la djelimusso que reviendra l’honneur de chanter les louanges de la famille ainsi que de faire le dantéguè, c’est-à-dire la présentation des présents apportés à sa diatiguimusso.
Ainsi, même loin de chez eux les Maliens de France ne sont pas dépaysés. Chaque fête est l’occasion de se retrouver, les gens ne vivant pas forcément les uns près des autres. Au Mali, les évènements sont plus fréquents qu’en France, surtout les baptêmes, car selon la tradition, celui-ci doit être célébré une semaine après la naissance. En France, cela nécessite plus de moyens et de temps de préparation. Généralement, sont conviés la famille mais aussi les amis, souvent originaires de la même ville ou du même quartier que les organisateurs. Cela en fait un monde que l’on ne pourra pas accueillir chez soi, il faudra donc une salle. A prévoir aussi les tenues que l’on va porter et que le couturier devra avoir fini à temps. Les Garankémussos (les cordonnières) se chargeront des repas et les djelis de l’animation. Tout ce monde devra être récompensé. On reconnaît une bonne djelimusso à son art d’improviser qui sera apprécié et récompensé en conséquence, cela pourra être de l’argent, un bijou où un tissu brodé de grande valeur.
L’une des grandes difficultés de la vie en France pour Mah Damba est la nostalgie. Pour y remédier, elle se rend au Mali chaque été avec ses enfants.
» Un bon griot est le gardien des traditions et le garant des coutumes « , cette devise définit parfaitement Mah Damba qui s’évertue à l’enseigner à ses enfants avec qui la relève est assurée. Mah Damba est tout à fait consciente qu’en France il est difficile de ne vivre que de la djeliya ; elle même occupe un emploi en semaine, tandis que ses week-end sont consacrés à ses activités de djelimusso. Même si ses enfants font des études pour assurer leur avenir, ils n’oublient pas qu’ils sont djelis de naissance et doivent suivre la tradition.
Comme elle à ses débuts avec ses tantes, sa fille aînée la suit dans les fêtes. Agée de 17 ans, elle assure des duos avec sa mère, elle est très douée et commence à chanter seule. Les garçons suivent une formation auprès de leur père ; l’un d’eux, âgé de 15 ans, joue du n’tama (3) depuis l’âge de 5 ans et accompagne aujourd’hui son père en jouant du n’goni.
Mah Damba chante les exploits des guerriers des grands empires disparus ainsi que les louanges de ses diatiguis. Elle est souvent sollicitée pour participer à des manifestations culturelles, comme le festival Voix de Femmes en 1997 ou le festival Mali Kow, qui s’est tenu à la Villette du 7 novembre 2001 au 24 février 2002.
Toujours accompagné de son partenaire et mari, Mamaye Kouyaté, Mah Damba ne laisse passer aucune occasion de faire connaître la culture malienne. Ses fans se compte à travers l’Europe où elle donne de nombreux concerts. Elle a eu la chance de pouvoir enregistrer des albums comme Nyarela en 1997, ou Djelimusso en 2000, dans lesquels elle aborde les thèmes de l’espoir, de la maternité.
En 2001, Corinne Maury et Olivier Zuchuat réalise un documentaire de 58 minutes, intitulé Mah Damba, une griotte en exil, dans lequel nous est présenté son quotidien de Paris à Bamako, entre chant et vie de famille, ainsi que sa carrière internationale. Ce documentaire a été sélectionné en 2002 au Festival international du film africain de Biarritz, au Festival international du film d’Amiens, ainsi qu’au FESPACO 2003 de Ouagadougou.
Plus qu’une griotte en exil, Mah Damba est une femme. Une femme qui malgré la distance qui la sépare de sa terre natale, si chère à son cur, a su maintenir et perpétuer la tradition de ses ancêtres, la djeliya. Grâce à son talent, elle a acquit une renommée qui fait la fierté de ses diatiguis, de ses compatriotes et qui lui a permis de faire connaître son art au-delà des frontières. Pour ces raisons, elle mérite le titre de djelimusso nyuma.
1. Sorte de petite guitare, c’est un instrument d’origine peul, utilisé depuis l’antiquité par cette ethnie. Il était fait d’une seule corde au départ pour distraire les bergers au cours de leurs promenades avec les troupeaux. Par la suite, le n’goni connaît une évolution avec le djeli malinké qui l’a transformé en un instrument à quatre cordes pour qu’il soit plus agréable.
2. Fruit du kolatier, qui pousse en Afrique de l’Ouest, la noix de cola est dans la tradition africaine un symbole d’alliance et est au cur de toutes négociations.
3. Connu aussi sous le nom de tamani, le n’tama est un petit tambour à deux peaux tendues par des cordelettes sur un corps cylindrique en bois largement entaillé en son milieu et qu’on appelle communément « tambour à aisselles ».///Article N° : 3624