Mauvaise foi

De Roschdy Zem

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Clara & Ismaël. Tout un programme : deux beaux prénoms unis pour la vie, quête d’un bonheur ineffable, scandé par les jouissances mutuelles de ces amants réguliers des Temps modernes. Un prof de musique musulman & une psychomotricienne juive, tous deux enseignants donc, mais pour qui franchir le pas de l’interculturel sera nécessairement un apprentissage à partir du moment où la question se pose, c’est-à-dire quand les autres la posent : la famille, les amis, le milieu. C’est bien sûr lorsque l’enfant paraît que s’ouvre un parcours semé d’embûches qu’un scénario à rebondissements alignera comme une comédie américaine, par moments franchement drôle.
Roschdy Zem traverse le cinéma français depuis une quinzaine d’années sans se soucier de ses origines, de son milieu modeste et de sa gueule rongée par les coups de crasse et autres entourloupes du Destin. Serein, posé, l’homme tranquille convoque la patience démesurée des cinéastes visagistes et se plonge tout entier dans un monde voué à l’art et ses illusions. André Téchiné par trois fois utilisera son physique nerveux, Jolivet sondera avec beaucoup de malice dans Ma petite entreprise et Filles uniques, son élasticité permanente tandis que Laurence Ferreira Barbosa (avec le méconnu Ordo, 2004) posera sa caméra sur un bel homme, timide et angoissé qui verse continuellement un peu de brutalité exquise dans un monde de faux-semblants. Mauvaise foi, son premier film, est finalement un condensé de toutes ces caractéristiques, celles d’un être rongé par l’illogisme sociétal, véritable pourrissement du quotidien.
La colère d’un Roschdy Zem qui vit lui-même avec une femme juive éclate dans chaque séquence du film. Entre quête identitaire et dictature religieuse, Mauvaise foi traîne lourdement sa patte de médiateur, essayant en vain de rétablir l’ordre sans pour autant verser dans la charge au vitriol. Entre une belle-mère anéantie à l’idée de voir sa fille épouser un Arabe et un entourage porté sur la haine antisémite, le personnage incarné par Zem déploie ses ailes et tente de se hisser vers des cieux apaisants. Ecrit à quatre mains (avec l’acteur/scénariste Pascal Elbé), Mauvaise foi ne manque pas de force de conviction dans sa dénonciation du communautarisme, fléau de cette fin de siècle qui dénature toutes les religions. On sent combien le jeu de mots du titre puise dans la charge de culpabilité identitaire dont hérite tout inféodé de naissance face aux tentations de la laïcité républicaine. Aussi bien Clara qu’Ismaël n’ont jamais leur entière détermination, conscients qu’ils sont de l’ouragan qu’ils risquent de déclencher et incertains sur leur propre conviction au point de s’écraser régulièrement devant les influences. Ce louvoiement qui fonde un scénario de crises en cascades demanderait à déboucher non sur une résolution illusoire de la tension comme ce sera le cas mais au moins sur une certaine clarté de positionnement.
Mais victime de sa timidité, la mise en scène de Zem laisse le spectateur dans un sentiment d’inachevé, quelque chose qui oscillerait entre la touche gentillette d’un cinéaste trop courtois et la difficulté de donner force à un scénario de phrases chocs. Plus encore, la fin politiquement correcte mais hautement improbable démonte l’argument et laisse aux oubliettes la volonté de laïciser le couple qui émergeait à certains moments comme la seule solution viable. Elle torpille un film qui avait l’avantage d’être une belle ode à la mixité, leçon de tolérance aux grognons qui devraient suivre l’exemple.

///Article N° : 4675

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Les images de l'article
Pascal Elbé et Cécile de France © Wild Bunch Distribution
Leïla Bekhti et Cécile de France © Wild Bunch Distribution
Pascal Elbé et Roschdy Zem © Wild Bunch Distribution





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