Mon frère le Hottentot ? Les Noirs, les Cafres et les Hottentots dans les rapports des administrateurs, les discours politiques et les œuvres littéraires sous la Révolution

Université de Paris IV-Sorbonne(C.R.L.V.) / Middlebury College (Vermont)

Print Friendly, PDF & Email

Quand éclate la Révolution française, cela fait plus de trois décennies qu’administra-teurs commerciaux, hommes politiques, voyageurs, philanthropes et philosophes se déchirent sur le fonctionnement des colonies et sur toutes les questions relatives aux conditions de vie des esclaves. Mais les débats qui les ont faits se dresser les uns contre les autres et qui continuent de les opposer concernent moins les nations du continent africain que les nègres de la Guyane, des Antilles et des Caraïbes. Tandis que les administrateurs défendent avec acharnement dans leur grande majorité les fondements de l’esclavage, que les politiques se querellent autour des articles du Code Noir, que les savants s’évertuent à montrer qu’en dépit de sa couleur et de diverses particularités morphologiques, les noirs sont des hommes, les philosophes et les religieux en appellent à la fraternité (1). En écho résonnent les interrogations faussement naïves formulées par Voltaire dès les premières lignes du vingt-deuxième chapitre de son Traité sur la tolérance intitulé « De la tolérance universelle » : « Je vous dis qu’il faut regarder tous les hommes comme nos frères. Quoi ! mon frère le Turc ? Mon frère le Chinois ? le Juif ? le Siamois ? Oui, sans doute ; ne sommes-nous pas tous enfants du même père, et créatures du même Dieu ? » (2) Mais c’est sans doute dans les romans publiés dans cette période de troubles et dans les innombrables pièces qui ont été hâtivement composées, jouées et imprimées dans les mêmes années que la dénonciation des pratiques esclavagistes est la plus virulente et que la revendication de l’abolition de l’esclavage est la plus forte. Dans cette abondante littérature, la part dévolue au sort des Hottentots est dérisoire ; en effet, seule une pièce les évoque plus qu’elle ne les met en scène. Via l’analyse des différentes formes de discours qu’a engendrée la question de l’esclavage des nègres et via l’analyse de leur impact sur les représentations de l’Africain dans l’imaginaire collectif de la fin des Lumières, c’est à la place que va maintenant occuper le Hottentot parmi les Noirs et parmi les Hommes que l’on va ici s’intéresser.
Quand l’homme noir n’est plus qu’un esclave : les mulâtres, les esclaves et les noirs libres à l’épreuve de la question coloniale dans les écrits des parlementaires et les discours des membres de la Société des Amis des Noirs
C’est principalement pour dénoncer les abus dont les esclaves sont victimes que des nobles, des notables, des philosophes et quelques savants fondent à la veille de la Révolution la Société des Amis des Noirs. Particulièrement actifs, les membres de cette société sont nombreux à prendre la parole pour revendiquer l’abrogation du Code Noir, l’accord de privilèges aux mulâtres ou encore l’abolition progressive de l’esclavage dans les colonies. Mais c’est la peur du marronnage qui motive véritablement ce réformisme : pour les nobles et les notables qui composent cette société, il s’agit avant tout de sauver le système colonial (3). Plus que le sort des noirs, plus que le sort des esclaves, c’est la situation des colons et des mulâtres des colonies qui préoccupe les députés et une importante partie des membres de la Société des Amis des Noirs. Les mélanges et croisements entre la race blanche et la race noire ne sont pas sans poser un certain nombre de problèmes. Car si tous sont d’accord sur la place qui doit revenir aux colons et si nombre d’entre eux estiment que la situation des esclaves doit évoluer, la question de la place qui doit revenir aux mulâtres est plus problématique. Pourtant, comme le note Yves Benot, « à la fin de l’an premier de la liberté, non seulement rien n’a été fait ou même amorcé, qui puisse porter atteinte aux piliers du système colonial d’Ancien Régime, mais il y a même régression puisque l’on est en décembre 1789 à discuter sur les droits des « hommes de couleur et noirs libres » à être représentés à l’Assemblée à égalité avec les blancs ! » (4) La question de l’admission des députés mulâtres ou des députés blancs de Saint-Domingue, qui sont propriétaires d’esclaves, sur les bancs de l’assemblée divise les parlementaires et inspire à Brissot, Mirabeau et Grégoire des écrits particulièrement virulents à l’encontre des esclavagistes. Les conflits que mettent en évidence ces écrits sont divers et les solutions proposées pour les résoudre plutôt confuses et inapplicables en l’état. La situation des esclaves, quant à elle, n’évolue pas, même si la question des droits politiques de ces futurs hommes libres que pourraient être les esclaves se pose avec insistance. Mais les débats qui opposent les parlementaires concernent tantôt les esclaves des colonies en général, tantôt ceux de Saint-Domingue, où la situation est fréquemment tendue, mais ils ne concernent pas les noirs en général et encore moins ceux des confins africains : les Cafres ou les Hottentots.
De la critique du système colonial à la défense de l’homme sauvage : la vision mythique du peuple Hottentot dans le Voyage à l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance de François Levaillant
S’il a exploré les confins africains dans les années 1780, c’est seulement en 1790 que François Levaillant fait paraître à Paris chez Leroy son Voyage à l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance. Parce que Levaillant appartient à cette génération d’ethno-graphes qui, animée d’un esprit nouveau et forte de sa connaissance des langues indigènes, a pu établir un véritable dialogue avec les populations les plus reculées et décrire leurs pratiques et cultes avec précision pour comprendre leur mode de vie. L’invention a fait place à l’imagination et la mythographie à l’ethnographie scientifique. Rédigé par Varon et Legrand d’Aussy d’après des notes consignées par Levaillant au cours de son séjour, le Voyage à l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance séduit rapidement un assez vaste public réunissant curieux, lettrés et savants. À l’instar de la traduction de l’ouvrage de William Paterson, Quatre voyages chez les Hottentots et chez les Cafres, qui paraît la même année chez Didot, le Voyage à l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance livre un ensemble de savoirs neufs sur les populations de l’intérieur du continent africain (5). Mais si cette relation est tout particulièrement intéressante, c’est parce que Varon et Legrand d’Aussy, plus que Levaillant sans doute, s’y livrent à une sévère critique du système colonial en même temps qu’ils prennent avec force la défense de l’homme sauvage, tandis que Levaillant lui-même, en brossant un portrait qui s’inscrit totalement en porte-à-faux avec tous ceux élaborés par ses prédécesseurs, livre une vision mythique du peuple Hottentot. Pour Varon et Legrand d’Aussy, la présence des Européens constitue une menace pour le monde sauvage. En introduisant la distinction du tien et du mien, les Européens ont imposé la source de leurs maux aux sauvages. La vision que Levaillant a des Hottentots n’est pas sans rappeler la vision mythique des sauvages que Rousseau donne à voir dans son Discours sur les origines et les fondements de l’inégalité et dans son Essai sur l’origine des langues. Comme les Sauvages américains et les Caraïbes sont pour Rousseau les peuples qui sont demeurés les plus proches de l’état de nature, les Hottentots sont pour Levaillant les sauvages dont les mœurs sont les plus proches de celles des Anciens de l’Age d’or. Comme le note fort justement Marie-Jeanne Boisacq, le Voyage de Levaillant constitue ainsi « une synthèse des différentes opinions courantes en France dans la seconde moitié du dix-huitième siècle en faveur de l’homme noir et contre le système colonial tel qu’il existait. » (6) Les notes, remarques et impressions personnelles qui ne peuvent être le fait que d’une per-sonne qui s’est rendue dans la région du Cap, sont de la main de Levaillant. C’est lui qui s’insurge contre la politique menée par le gouverneur de la colonie et qui suggère que ses compatriotes ont manqué d’ambition, lorsqu’on lit que c’est à une compagnie de com-merce « aux grandes vues » et non à « l’indolence d’un absurde colon, accoutumé à voir dans une légère difficulté des obstacles insurmontables » qu’aurait dû être confiée l’exploitation des terres de la colonie et de l’arrière-pays (7).
La critique violente des colons à laquelle se livre Levaillant s’accompagne d’une vibrante apologie du Bon Sauvage Hottentot qui est « un de ces humains dont les nations policées ne parlent qu’avec horreur ou mépris ; que sans connaître, elles regardent comme des êtres atroces, le rebut de la nature. » (8) Levaillant dénonce également l’état de servitude sous lequel vivent les Hottentots du Cap, vêtus et éduqués à l’européenne, qu’il distingue des Hottentots vivant à l’intérieur des terres et demeurés sauvages qu’il nomme les Jakals Hottentots. On retrouve dans sa description des peuplades hottentotes les vertus de l’homme naturel célébré par Rousseau : la liberté, l’égalité, la bonté, l’innocence : « Dans un pays où tous les individus sont égaux en naissant, écrit-il, pourvu qu’ils soient hommes, toutes les conditions nécessairement sont égales, ou plutôt il n’y a point de conditions ; le luxe et la vanité, qui dévorent les fortunes et leur font éprouver tant de variations, sont nuls pour les sauvages ; bornés à des besoins simples, les moyens par lesquels ils se les procurent n’étant pas exclusifs, peuvent être et sont effectivement employés par tous. » (9) Bien que Levaillant livre une vision mythique du peuple Hottentot, « l’idée de l’aliénation du sauvage par la colonisation domine le texte du Voyage en une vision conforme à l’idéal de la Révolution. » (10) Si l’esclavage et la colonisation font l’objet d’une virulente condamnation, la destruction du système colonial n’est pas envisagée dans le sens où sa disparition bouleverserait l’ordre économique et qu’elle risquerait de briser un équilibre déjà fort fragilisé. En saisissant les Hottentots « dans toute l’innocence des mœurs et de la vie pastorale », c’est une vision mythique des Hottentots que livre Levaillant.
Le Nègre comme il y a peu de blancs, Zamore, More-Lack : l’homme noir dans la production romanesque de la période révolutionnaire
La période révolutionnaire est une période féconde sur le plan de la production roma-nesque. Mais la part dévolue par les romanciers de cette époque aux événements politiques qui secouent la capitale et dont les conséquences se répercutent sur le royaume est infime. Parce que la situation politique est instable, et parce qu’ils peuvent à tout moment être suspectés ou accusés de diriger leurs écrits contre le pouvoir en place, les romanciers demeurent prudents. Tout au plus trouve-t-on ici ou là quelques allusions ou bien des considérations assez générales qui ne permettent pas au lecteur de risquer une interprétation quelconque et de se livrer à une lecture politique de l’œuvre. Parmi les romans qui sont publiés au cours de cette période, quelques-uns ont pour héros et pour personnages principaux des noirs, tels le Nègre comme il y a peu de blancs de Joseph Lavallée, Zamore ou le cri de l’humanité en faveur des esclaves nègres, de J.-B. Sanchamau, le More-Lack, ou essai sur les moyens les plus doux et les plus équitables d’abolir la traite et l’esclavage des nègres d’Afrique de Lecointe-Marsillac (11).
Publié pour la première fois en 1789, le Nègre comme il y a peu de blancs rencontre un vif succès et est réédité en 1791 puis en l’an III. Dans ce roman, Lavallée dénonce les abus de l’esclavage et défend la cause des noirs en faisant son héros de l’un d’entre eux ainsi qu’il s’en explique dans sa « Préface ». Émouvant, édifiant, en appelant en permanence aux bons sentiments des lecteurs, le Nègre comme il y a peu de blancs est un roman larmoyant dont l’esthétique n’est pas sans rappeler celle du roman sensible. C’est le fait que son héros, Itanoko, dont le nom n’est pas sans rappeler celui d’un autre héros noir, Oronoko, soit noir, qui fait toute son originalité. Roman moral, ce roman est également un roman politique dans le sens où il se fait l’écho de débats relatifs à l’esclavage qui ont vu s’opposer aboli-tionnistes et antiabolitionnistes. Mais Itanoko n’est un noir que par sa couleur. Son élo-quence, sa magnanimité, sa bonté, son sens de la justice, sont autant de qualités qui sont traditionnellement réservées aux blancs dans les romans. À l’instar des dramaturges aboli-tionnistes dont les œuvres vont être créées dans les mêmes années, les romanciers qui font évoluer des personnages noirs dans leurs œuvres sont favorables à l’abolition de l’escla-vage. Mais pas plus qu’eux ils ne parviennent à concilier les principes sur lesquels repose la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen et les impératifs économiques qui nécessitent le maintien de l’esclavage des nègres dans les colonies (12). Quant aux Cafres et aux Hottentots, leur sort leur est totalement égal.
De l’accessoire au personnage : le traitement dramaturgique de l’homme noir dans la production théâtrale de la période révolutionnaire
Si au fil du siècle les noirs sont de plus en plus nombreux à fouler le sol français, il faut attendre la Révolution pour les voir accéder au statut de personnage dans la littérature. Avant 1789, dans la quasi totalité des pièces dans lesquelles ils apparaissent, ils n’ont qu’une fonction décorative ou argumentative ; ce ne sont pas des individus pensant et agissant, ce sont des accessoires tout au plus, comme Zilia et Zoé, les petits serviteurs noirs de La Négresse ou le pouvoir de la reconnaissance de Radet et Barré. Bien souvent, de plus, le monde dans lequel ils évoluent est un univers qui n’a rien en commun avec l’envi-ronnement qui est supposé être le leur. Les intrigues sont quasi stéréotypées : les femmes noires sont des princesses en larmes que des marchands mal intentionnés vendent à des sultans avides de plaisirs tandis que les hommes sont de doux sauvages quand ce ne sont pas des esclaves (13). Souvent les noirs des pièces de théâtre sont noirs sans être Africains comme c’est le cas à la veille de la Révolution, dans Zamor et Mirza ou l’heureux nau-frage d’Olympe de Gouges. Il arrive que le personnage qui était noir à l’origine ne le soit plus dans la pièce qu’il a inspirée, comme c’est le cas dans l’Othello de Jean-François Butini. Le problème essentiel lié au nègre est celui de sa prise de parole et de son autonomie en tant que personnage sur la scène. Si les dramaturges sont réfractaires à conférer au nègre un statut de personnage, c’est parce que faire accéder le noir au statut de personnage, c’est lui donner la parole, et lui donner la parole revient à reconnaître sa liberté ; c’est donc « l’affranchir de fait, en lui donnant les moyens de se défendre seul. » (14) Sous la Révolution, les Noirs, que l’on apprécie pour leur propension à la festivité et au ludisme, n’ont finalement leur place que dans les vaudevilles. Afin que le Noir soit plus risible, les dramaturges lui inventent un langage qui va furieusement contraster avec sa gestuelle. Parce qu’il se meut avec aisance, agilité et souplesse, son expression est gauche, sa syntaxe, appro-ximative et son vocabulaire, d’une pauvreté navrante. C’est avec ce personnage que naît le bon petit nègre. Il apparaît paradoxalement tandis que se prépare l’émancipation des Noirs.
Tandis que le héros noir peine à s’imposer en dépit ou à cause de son indéniable prestance et de sa remarquable éloquence, le bon petit nègre triomphe, grâce à son air abruti et son langage ridicule. En dépit des victoires enregistrées par Olympe de Gouges et les abolitionnistes, la situation des esclaves évolue lentement. Une seule pièce, anonyme, évoque un Hottentot mais aucun journal ne vient confirmer qu’elle a été jouée (15). Pas plus que les œuvres dramatiques, les œuvres romanesques ne parviennent à faire primer l’égalité entre les hommes sur l’esclavage des noirs. Si quelques romans ont pour personnages principaux des noirs, aucun n’a pour héros un Cafre ou un Hottentot. Après François-Henri Turpin, Sade va être le seul romancier à faire évoluer deux de ses héros dans les confins africains. Mais l’abject Ben Mâacoro n’aura rien en commun avec le Hottentot philosophe de Turpin.

1. Sur les débats relatifs aux nègres des colonies : Michèle Duchet, « L’idéologie coloniale » [in]Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, op.cit., p.137-226. Sur les postures ambi-guës adoptées par les philosophes à l’égard du Code Noir : Louis Sala-Molins, « Le Code noir à l’ombre des Lumières » [in]Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, op.cit., p.205-274. Sur les travaux consacrés par Ruysch au reticulum mucosum des nègres : Jacques Roger, Les Sciences de la vie dans la pensée française du dix-huitième siècle, Paris, Armand Colin, 1963, p.215-216.
2. « Mais ces peuples nous méprisent, poursuit Voltaire, mais ils nous traitent d’idolâtres ! Hé bien ! je leur dirai qu’ils ont grand tort. Il me semble que je pourrais étonner au moins l’or-gueilleuse opiniâtreté d’un iman ou d’un talapoin, si je leur parlais à peu près ainsi : « Ce petit globe, qui n’est qu’un point, roule dans l’espace, ainsi que tant d’autres globes ; nous sommes perdus dans cette immensité. L’homme, haut d’environ cinq pieds, est assurément peu de choses dans la création. Un de ces êtres imperceptibles dit à quelques-uns de ses voisins, dans l’Arabie ou dans la Cafrerie : « Ecoutez-moi, car le Dieu de tous ces mondes m’a éclairé : il y a neuf cents millions de petites fourmis comme nous sur la terre, mais il n’y a que ma fourmilière qui soit chère à Dieu ; toutes les autres lui sont en horreur de toute éternité ; elle sera seule heureuse, et toutes les autres seront éternellement infortunées. » […]  » Voltaire, Traité sur la tolérance, Genève, Cramer, 1763.
3. Durant les trois décennies qui précèdent la période révolutionnaire, une importante partie de la correspondance des Colonies est consacrée aux moyens que les administrateurs français pourraient mettre en œuvre en vue de tirer un meilleur profit de leur position en Afrique ainsi qu’à la condition des esclaves dans les Antilles et en Guyane. Lentement mais sûrement, l’idée que les colons tireraient plus de profits de leurs plantations si les esclaves étaient en partie affranchis commence à retenir l’intérêt des administrateurs, comme le confirment les rapports qu’ils adressent au commis du bureau des colonies à la veille de la Révolution. Défendant des valeurs en lesquelles ils croient profondément, des philosophes et des économistes, parmi lesquels figurent de nombreux physiocrates, sont bien conscients que toutes les ordonnances adressées aux administrateurs par le bureau des colonies visent, par delà toutes les réformes qu’elles introduisent, à maintenir en place le système esclavagiste. Aussi condamnent-ils avec virulence leur refus d’accorder leur liberté aux esclaves en excipant de l’impérieuse nécessité de respecter la loi naturelle et les droits de l’homme. Sur ce point : Michèle Duchet, « Au temps des Philosophes » [in]Images du Noir dans la littérature occidentale. Du Moyen-Age à la conquête coloniale. Notre Librairie, n°90, octobre-décembre 1987, p.25-33. Voir notamment p.28-30 et « L’espace humain » [in]Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, op.cit., p.36-37.
4. Yves Benot, « La question coloniale en 1789 ou l’année des déceptions et des contra-dictions » [in]Dix-Huitième Siècle. L’année 1789, n°20, 1988, p.179-191. Cit. p.179.  » Nous ne demandons pas, écrira un membre de la Société, que vous restituiez aux Noirs français ces droits politiques, qui seuls, cependant, attestent et maintiennent la dignité de l’homme ; nous ne demandons pas même leur liberté. Non, la colonie soudoyée sans doute par la cupidité des armateurs, nous en prête le dessein et l’a répandu partout […]. Non, jamais une pareille idée n’est entrée dans nos esprits ; nous l’avons dit, imprimé dès l’origine de notre Société, et nous le répétons afin d’anéantir cette base, aveuglément adoptée par toutes les villes maritimes, base sur laquelle reposent presque toutes leurs adresses […]. Elles réclament toutes contre l’affranchissement des Noirs que personne ne demande ; elles injurient les « Amis des Noirs » qui ne le demandent point. » Adresse à l’Assemblée Générale pour l’abolition de la Traite des Noirs. Par la société des Amis des Noirs de Paris, Paris, 1790. Sur ce texte : Louis Sala-Molins, « Les subtilités des « Amis des Noirs »  » [in]Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, Paris, Presses Universitaires de France, 2002, « Quadrige », p.168. Qu’il s’agisse de Lescallier, de Bonnemain, de Malouet ou de Grégoire, les membres de la Société des Amis des Noirs ont en commun de ne vouloir en aucun cas précipiter les choses. Certains vont jusqu’à réclamer la rédaction d’un nouveau Code Noir.
5. La traduction française de la relation de William Paterson paraît en 1790 et fait l’objet d’une réédition dès 1791. William Paterson, Quatre voyages chez les Hottentots et chez Cafres depuis mai 1777 jusqu’en décembre 1779. Traduit de l’anglois par Jean-Baptiste de Laborde […], Paris, Didot, 1790. Rééd. : Quatre voyages chez le pays des Hottentots et la Cafrerie, en 1777, 1778 et 1779 […], traduit de l’anglois sur la seconde édition par M. Castéra [in]James Bruce, Voyage aux sources du Nil […], Paris, Plassan, 1791. Connaissant dès leur parution un vif succès, la relation des voyages de François Levaillant en Afrique va donner lieu à de nombreuses éditions et rééditions tout au long de la dernière décennie du dix-huitième siècle. François Levaillant, Voyage de M. Le Vaillant (sic) dans l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance dans les années 1780, 81, 82, 83, 84 et 85 […], Paris, Leroy, 1790, 2 vol. Nouv. éd. augm. : Second voyage dans l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance dans les années 1783, 84 et 85 […], Paris, Hendrik Jansen, an III, 3 vol. Rééd. Paris, Hendrik Jansen, an IV, 2 vol. ; Paris, Crappelet, an VI, 2 vol. Trad. all. : Le Vaillant (sic) Reise in das Innere von Afrika, vom Vorgebirge der guten Hofnung aus, in den Jahren 1780 bis 85. Aus dem Französischen […], Frankfurt am Main, Johann Georg Fleischer, 1790, 2 part. en 1 vol. Au cours de la première moitié du dix-neuvième siècle, le Voyage dans l’intérieur de l’Afrique va faire l’objet de nombreuses éditions abrégées ou éditions à destination de la jeunesse. Sur la rédaction probable du Voyage par Casimir Varon et Pierre Jean-Baptiste Legrand d’Aussy : Vernon Forbes, Pioneer Travellers of South Africa. A Geographical Commentary upon Routes, Records, Observations and Opinions of Travellers at the Cape, 1750-1800, Cape Town / Amsterdam, Balkema, 1965 et Jane Meiring, The Truth in Masquerade. The Adventures of François Le Vaillant, Cape Town, Juta & Co, 1970.
6. Marie-Jeanne Boisacq, « Le Mythe du Bon Sauvage Hottentot » [in]Literator, n°2, 1993, p.117-131. Cit. p.123. On se souviendra que le frontispice de la première édition du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes représente un Hottentot tournant le dos à la civilisation et s’en retournant « chez ses égaux ». La scène renvoie à la longue note XVI du discours qui fait écho à un célèbre épisode de l’histoire de la colonisation du Cap de Bonne-Espérance qu’ont déjà narré avec force détails et dramatisation Dapper dans sa Description de l’Afrique, Phérotée de La Croix, dans sa Relation universelle de l’Afrique ancienne et moderne, et Peter Kolb dans sa Description du Cap de Bonne-Espérance, lorsque Rousseau s’en empare, et que reprendront plus tard Prévost dans son His-toire des voyages et Raynal dans son Histoire des deux Indes. Voir supra. Troisième partie. Chapitre premier. Le Bon Sauvage et le Hottentot. 2. La constitution d’un stock de savoirs.
7. François Levaillant, Voyage à l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance […], Paris, Leroy, 1790, vol.1, p.192.
8. Ibid., vol.1, p.212. « Un autre cliché de l’époque est défendu, note Marie-Jeanne Boisacq ; si les Cafres, dépeints par « d’ignorants écrivains » comme « plus altérés de sang que d’autres sauvages », sont devenus tels, c’est à cause des colons qui, par leurs odieux traitements « les ont portés davantage à la guerre. » La vengeance est de droit naturel, poursuit-elle, et il est simple de prouver par les faits plutôt que par le raisonnement « lequel est le plus barbare d’un sauvage ou d’un blanc. » Cette opinion rejoint les arguments des anticolonialistes et des anti-esclavagistes : la méchanceté des sauvages est due à une altération de leur naturel provoquée par les cruautés des Européens qui les ont corrompus. Levaillant, grâce à son comportement irréprochable, est adopté sans difficulté par les sauvages qui ne font plus rien sans le consulter. » Marie-Jeanne Boisacq, « Le Mythe du Bon Sauvage Hottentot » [in]Literator, op.cit., p.124.
9. François Levaillant, Voyage à l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance […], op.cit., vol.2, p.58. Les Hottentots ignorent les chimères de la civilisation. Levaillant célèbre cette ignorance dans une harangue : « Mortels heureux, écrit-il, conservez longtemps cette précieuse ignorance ; mais vivez ignorés ! Pauvres sauvages, ne regrettez point d’être nés sous un ciel brûlant, sur un sol aride et desséché qui produit à peine des bruyères et des ronces ; détruisez, effacez jusqu’aux moindres traces de cette poussière jaune qui se métallise dans vos ravines et dans vos roches ; apprenez qu’elle est le fléau de la terre, la source de tous les crimes, et redoutez surtout l’approche d’un Almagro, d’un Pizarre, d’un Fernand Cortès, et surtout l’école ensanglantée des Vanverdes. Dans l’état de nature, l’homme est essentiellement bon ; pourquoi le Hottentot serait-il une exception à la règle ? » Ibid., vol.2, p.122.
10. Marie-Jeanne Boisacq, « Le Mythe du Bon Sauvage Hottentot » [in]Literator, op.cit., p.129-130 et Michèle Duchet, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 1995, « Bibliothèque de l’Evolution de l’Humanité », p.21.
11. Comme l’a montré Malcolm Cook dans ses travaux sur le roman sous la Révolution, parmi les dizaines de romans qui paraissent entre 1789 et 1794, ceux qui intègrent des éléments empruntés à la réalité politique sont paradoxalement peu nombreux. Malcolm Cook, « Politics in the Fiction of the French Revolution, 1789-1794 » [in]Studies on Voltaire and on the Eighteenth century, vol.201, 1982, p.235-340. « Le roman en France en 1789 » [in]Roland Desné et Michel Vovelle, dirs., L’Année 1789. Dix-Huitième Siècle, n°20, 1988, p.221-233. Les romans dans lesquels figurent des personnages noirs sont les suivants : Joseph Lavallée, Le Nègre comme il y a peu de blancs, Paris, Buisson, 1789, 3 vol. ; Lecointe-Marcillac, Le More-Lack, ou Essai sur les moyens les plus doux et les plus équitables d’abolir la traite et l’esclavage des nègres d’Afrique, en conservant aux colonies tous les avantages d’une popu-lation agricole, Londres et Paris, Prault, 1789 ; Pierre Duplessis, Histoire du marquis de Séligni et de Madame de Luzal ou Lettres authentiques et originales trouvées dans un porte-feuille à la mort de M. le Maréchal de ***, Paris, Regnault, 1789, 2 vol. et Honorine Derville ou Confessions de Mme la Comtesse de B***, Londres et Paris, Veuve Duchesne et Fils, 1789. Si Itanoko et Zamore sont noirs, le More-Lack est un albinos. Quant à Jean le Noir ou le Misan-thrope, de Jean-Jacques Gautier, c’est un roman qui relate les aventures d’un homme « sur-nommé le Noir pour la couleur de ses cheveux. »
12. Dans son Discours d’un philosophe à la Nation française, la veille de l’ouverture des états Généraux, Lavallée écrivait déjà : « Peuple français, assurez-vous une gloire semblable : elle vous échappera si vous vous divisez. Vous avez des abus à déraciner, des lois saines à éclaircir, des lois absurdes à réformer, des préjugés à extirper, des malheureux, des infortunés de tout genre à consoler. » Joseph Lavallée, Discours d’un philosophe à la Nation française, la veille de l’ouverture des états Généraux, Paris, s.éd., 1789, p.41. Cit. [in]Malcolm Cook, « Le roman en France en 1789 » [in]Roland Desné et Michel Vovelle, dirs., L’Année 1789. Dix-Huitième Siècle, op.cit., p.224. Évoquant la délicate question de l’esclavage des nègres dans le compte rendu qu’il consacre au Nègre comme il y a peu de blancs, le critique de l’année littéraire écrit : « La France n’oubliera point sans doute, cette portion de l’humanité gémissante » avant de préciser dans une note : « Nous sommes bien éloignés de penser qu’il faille donner tout à coup la liberté à plusieurs milliers de nègres. Nous savons que des raisons supérieures de commerce et de politique, prescrivent quelquefois de ne faire le bien que progressivement. » L’Année littéraire, 1789, V, p.141-156. Cit. p.143. Parmi les brochures traitant du dilemme que pose l’abolition des l’esclavage des nègres des colonies dont le roman de Lavallée se fait l’écho figurent notamment : Traite des nègres, à messieurs les députés de l’Assemblée Nationale, Paris, s.éd., 1789 ; De l’Etat des Nègres relativement à la prospérité des Colonies françaises, s.l., s.éd., 1789 ; Le Danger de la liberté des Nègres, Philadelphie, s.éd., 1789… Sur ces brochures : Michèle Duchet, « L’Idéologie coloniale » [in]Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 1995, « Bibliothèque de l’Evolution de l’Humanité », p.137-170.
13. Dans L’Esclave ou le marin généreux qui est créé à Paris en 1773, les nègres sont réduits à l’état de figurants. Dans La Belle Esclave de Dumaniant, Le Sérail de Nicolas Audinot ou encore Le Menuisier de Bagdad de Charles-Jacob Guillemain, les Africaines sont des princesses que des marchands vendent comme esclaves dans une Afrique qui n’est pas sans rappeler la Barbarie des grands romans du dix-septième siècle. Pourtant, Dumaniant, Audinot et Guillemain sont au fait de l’esclavage. Guillemain sera parmi les premiers à écrire une pièce abolitionniste, Le Nègre aubergiste à une époque où, comme l’écrit Sylvie Chalaye, « le théâtre continue d’entretenir le thème de la laideur et même de la monstruosité de noir dont la simple image inspire de l’effroi. » Anonyme, L’Esclave ou le marin généreux, intermède en un acte, Paris, 1773 ; Jean-François Butini, Othello, tragédie en cinq actes, Paris, 1785 ; Jean-Baptiste Radet et Pierre Barré, La Négresse ou le pouvoir de la reconnaissance, comédie en un acte en prose et en vaudevilles, mêlée de divertissements, créée à la Comédie Italienne le 15 juin 1787 ; Charles-Jacob Guillemain, Le Nègre aubergiste, fait historique en un acte, en prose, mêlé de vaudevilles, créé au Théâtre du Vaudeville, le 3 septembre 1793. Sylvie Chalaye, Du Noir au nègre. L’image du Noir au théâtre (1550-1960), Paris, L’Harmattan, 1998, « Images plurielles », p.70. Sur Othello et ses transfigurations littéraires au tournant des Lumières : Dominique Lanni, « Othello ou l’héroïsme de la vanité : les vicissitudes du héros noir sur la scène française de Butini à Vigny (1785-1829) » [in]Orages. Littérature et culture. 1760-1830. L’Imaginaire du Héros, n°2, 2003, p.85-101.
14. Avec Zamor et Mirza ou l’Heureux Naufrage, Olympe de Gouges crée des personnages de nègres. Elle présente son drame à la Comédie-Française où il est accepté et répété en décembre 1789. Mais parce que la pièce met en scène des esclaves et que ces esclaves sont instruits et éloquents, les critiques se montrent féroces tant à l’égard de son intrigue qu’à l’égard de son jeu ou de sa morale. Les comédiens décident alors de retirer la pièce de l’affiche. Pour répondre aux anti-abolitionnistes qui sont à l’origine de cette décision, Olympe de Gouges fait paraître un article engagé qu’elle intitule « Réflexions sur les hommes nègres » dans la Chronique de Paris du 20 décembre 1789. Rebaptisée L’Esclavage des Noirs, la pièce est finalement jouée au Théâtre de la Nation. Olympe de Gouges, Zamor et Mirza ou l’heureux naufrage, drame indien, Paris, 1788 ; L’Esclavage des Noirs, drame en trois actes créé au Théâtre de la Nation, Paris, 1789. Sur ce point : Sylvie Chalaye, « Le Nègre sous les Lumières » [in]Du Noir au nègre. L’image du Noir au théâtre (1550-1960), op.cit., p.75-106.
15. Hottentot, La Parisiade, poème héroi-tragi-comique. Dédié au Comité d’inquisition. Par Hottentot, au Cap de Bonne-Espérance, s.l. [Paris], 1789. De cette pièce d’une grande mièvrerie dont un exemplaire est conservé à la British Library, il n’est en effet fait nulle mention dans les principaux journaux de l’époque : la Chronique de Paris, la Feuille du Salut public ou encore le Journal de Paris.
///Article N° : 4038

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire