Musée Boribana

Un ovni dans le paysage culturel sénégalais

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Avec presque dix ans d’existence, le Musée Boribana installé dans la banlieue chic de Dakar, peine à trouver son public, malgré d’indéniables atouts.

Quartier des Almadies, à la sortie de Dakar, non loin de l’aéroport Léopold Sédar Senghor : des murs rutilants de couleur ou couverts de bougainvillées, abritent de luxueuses maisons soigneusement gardées. Dans ce quartier résidentiel de la capitale sénégalaise en pleine explosion depuis une décennie, une bâtisse blanche aux grandes baies vitrées ouvertes sur l’extérieur ne semble, au premier abord, pas se détacher des autres. Cet écrin lové au cœur des Almadies abrite pourtant le Musée Boribana, seul musée d’art contemporain du pays. Déployé sur deux étages éclairés par d’immenses baies vitrées, l’espace aux somptueux volumes est prolongé par des petits studios réservés à l’accueil de résidences d’artistes. Entouré d’un jardin parsemé çà et là de sculptures, le lieu respire une tranquillité qui contraste avec les turbulences de la cité dakaroise.
« I have a dream »
Le musée Boribana a ouvert ses portes en 1998 avec pour ambition de faire découvrir au public sénégalais, les œuvres des artistes de la diaspora américaine, caribéenne et africaine.
Il est avant tout le fruit d’un rêve, celui de son directeur et concepteur Boubacar Koné. Sénégalais ayant vécu en France où il a fait ses études, il est ensuite parti s’installer au Canada puis aux États-Unis où il a ouvert une galerie d’art africain d’abord basée à Montréal puis à New York. À travers ces galeries, Boubacar Koné a commencé à constituer une collection d’œuvres d’artistes canadiens, américains puis africains, aidé dans ses choix par son épouse, la comédienne afro-américaine Carol Christine Hilaria – plus connue sous ses initiales CCH – qui l’a orienté vers des œuvres contemporaines.
Collectionneur dans l’âme et doté du sens des affaires, Boubacar Koné a fait fortune dans la vente de produits cosmétiques sur les marchés africains, ce qui lui a permis de compléter sa collection d’œuvres d’art et de mûrir son rêve, porté par l’envie de « faire quelque chose pour son pays« . De là lui est venue l’idée de construire le Musée Boribana, qui signifie littéralement en mandingue : « la course est finie ». « Dans la philosophie mandingue, Boribana c’est quelqu’un qui a construit quelque chose dans la vie et qui convie au rendez-vous du donner et du recevoir », explique t-il. Il a financé son musée sur fonds propres et avec des fonds privés après avoir vainement essayé de sensibiliser à son projet les pouvoirs publics locaux. « Quand je l’ai présenté au ministère de la Culture de l’époque, mes interlocuteurs n’avaient jamais entendu parler d’un musée privé. Pour eux, c’était inconcevable ! Rien n’était venu combler le vide laissé par la fermeture du Musée dynamique de Dakar. Boribana, s’il n’avait pas la prétention de le remplacer, offrait une alternative pour les expositions et les artistes ».
Le fait est qu’après presque dix ans d’existence, le Musée Boribana peine encore à trouver son public et n’est pas parvenu à s’inscrire dans le paysage culturel sénégalais où il fait figure d’Ovni. S’il est présent dans le cadre du « Off » de la Biennale de Dakar, l’espace du Boribana fort de son potentiel architectural ne semble pas constituer un lieu stratégique pour les organisateurs de la Biennale. Le lieu est certes excentré par rapport au centre névralgique de la capitale sénégalaise, mais les éditions 2002 et 2004 de Dak’art avaient choisi le Cices (Centre international du commerce extérieur du Sénégal) – situé non loin des Almadies – comme lieu d’exposition officiel. En 2004, le musée ouvrant sa programmation aux artistes locaux avait d’ailleurs présenté dans le cadre du « Off » une superbe exposition monographique des œuvres du jeune plasticien Camara Gueye, permettant au public international, fortement représenté en période de biennale, de découvrir le talent de ce peintre-chroniqueur, dessinateur hors pair, aux œuvres empreintes d’une poésie du quotidien. L’artiste a depuis fait son chemin, exposant dans divers pays d’Europe où il a été accueilli en résidence. À l’époque de son exposition à Boribana, il était heureux de voir son travail présenté dans un bel espace « où les œuvres peuvent respirer. Tout artiste sénégalais digne de ce nom devrait pouvoir exposer seul dans ce lieu ! ».
Un lieu privilégié pour des privilégiés
Un splendide lieu d’exposition, un espace d’accueil idéal pour les artistes, des projets de développement, des financements privés – certes pas inépuisables -, les conditions principales semblent être réunies pour faire du Musée Boribana un haut lieu de l’art contemporain au Sénégal. Pourquoi, en dix ans d’existence, cet espace unique dans la sous-région, essentiellement fréquenté par des touristes et des expatriés, est-il encore si peu connu du grand public et ignoré des institutions ? Pour Boubacar Koné, le public local n’est pas concerné parce qu’il n’a pas la culture muséale et que rien n’est fait en dehors de la Biennale pour sensibiliser les gens à l’art. « Si j’avais construit une mosquée, il y aurait eu du monde. Je suis un palier entre le ventre et la tête : quand le ventre sera plein, les gens viendront. Boribana reste encore un lieu privilégié pour des privilégiés ». Se définissant volontiers comme un self-made-man, l’homme reconnaît avoir un profil atypique qui a pu parfois déranger : « Je suis de l’école nord-américaine et ne suis pas imprégné d’un certain esprit francophone parfois un peu attentiste et élitiste. Je n’ai pas la culture de la recherche de partenariats publiques et n’appartiens pas à un cercle intellectuel. Au départ, certains pensaient que le musée était une couverture, voire un lupanar. C’est seulement quand ils découvraient le lieu qu’ils changeaient d’avis ». Pour d’autres, « certains malentendus » avec quelques personnes du milieu artistique sénégalais auraient généré des frictions avec la direction du musée pas toujours encline à arrondir les angles. Certains regrettent le manque de modestie de Koné qu’ils ont perçu comme se prenant pour « le sauveur des artistes sénégalais, celui par lequel il fallait passer pour vivre de son art au Sénégal ». D’autres encore déplorent que la politique du musée n’ait pas de véritable ligne conductrice ce qui a pu parfois desservir la pertinence des expositions. Pour Oumar Sall, opérateur culturel sénégalais, « le seul tort de Koné, c’est d’avoir anticipé sur une approche qui n’est pas encore d’actualité au Sénégal : un marché non encore structuré, un public local pas tout à fait éduqué, un État qui, bien que néolibéral, se prend comme partie intégrante de la société civile ; exigeant de ce coup, un devoir d’action au même titre que les opérateurs indépendants ».
Au delà des critiques et des batailles de clochers, le fait est que le Musée Boribana existe. Certes, loin des réalités quotidiennes des Sénégalais ; certes, dirigé parfois depuis Los Angeles (où Koné vit une partie de l’année avec sa femme qui y a ouvert un espace culturel polyvalent ou elle expose des artistes de la diaspora africaine). Koné est assisté à Dakar par Khalifa Ababacar Dieng (1). Mais le lieu perdure et des artistes phares de la scène artistique sénégalaise (2) y sont programmés. « Le Musée c’est un investissement sur le long terme, explique Koné, je n’en bénéficierai peut-être pas. C’est un investissement pour les générations futures, à perte au sens où je savais que le lieu ne pourrait pas vivre de lui-même. Mais si j’avais voulu faire de l’argent, j’aurais ouvert un hôtel ! ». Si les financements des « Amis du musée » – tels en leur temps George Clooney, Danny Glover, Samuel L. Jackson ou Denzel Washington – le lui permettent, le Musée Boribana se dotera à terme d’une cinémathèque, d’une bibliothèque d’art et d’un cybercafé. Reste à le sortir de son écrin, encore trop imprégné du seul rêve d’un homme qui n’a peut-être pas encore su le transformer en rêve collectif compatible avec la réalité de tout un pays.

1. Khalifa Ababacar Dieng par ailleurs designer, a été lauréat du Salon du design du Dak’art 2006.
2. Du 10 janvier au 28 février, Sadio Diallo ; du 2 mars au 3 avril, Exposition d’une partie de la collection permanente ; du 7 avril au 10 mai, Dessin « Soly Cissé, Amadou Camara Gueye, Serigne Ndiaye » ; du 20 mai au 20 juin, Photos « Yasmine Sweetflower » ; du 25 juin au 31 juillet, Exposition de la collection permanente.
///Article N° : 6745

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