Claire Diao inaugure avec cet article une série sur des femmes cinéastes éventuellement inconnues ou méconnues qui se battent dans un milieu encore essentiellement masculin.
Nadège Batou est une jeune réalisatrice congolaise autodidacte et passionnée de 30 ans. D’abord journaliste, elle a assisté son compatriote Alain Nkodia sur un film intitulé Ndako ya bandeko (La maison des frères) en 2007. Ce film sur la réinsertion des enfants de la rue a été acheté par la société new-yorkaise Indiepix Films qui le distribue en DVD aux États-Unis depuis 2008 (1).
De cette expérience auprès d’un réalisateur professionnel, Nadège Batou a tiré une grande satisfaction et le désir de participer à la première résidence d’écriture d’Africadoc organisée à Brazzaville en 2008 (2). Grâce à cette formation, elle a pu développer le projet d’un film documentaire engagé : Ku N’kélo, à la recherche de l’eau. Pour Nadège Batou, les problèmes d’accès à l’eau potable rencontrés par la population de Brazzaville sont un véritable fléau qu’il faut dénoncer. Dans la capitale coule le fleuve Congo, dont le débit de 40000m³ par seconde et le bassin de 3,7 millions de km² en fait le deuxième plus grand fleuve au monde après l’Amazone. Un paradoxe qui ne va pas sans choquer la réalisatrice : « Les gens souffrent à Brazza. Nous avons le deuxième fleuve le plus grand au monde et nos robinets sont secs. Il y a un vrai problème : le fleuve Congo est aussi grand que la misère par manque d’eau des populations. »
Le propos de Ku N’kélo n’a pas laissé les gens indifférents : diffusé par la télévision nationale du Congo, le film a rapidement été interdit. Car le sujet est sensible. Mais Nadège Batou compte bien le défendre: « Je n’ai pas eu de menaces, juste l’instruction de ne pas en parler. Ce film, c’est un coup de gueule de la population. Je voulais sensibiliser les autorités. Aujourd’hui la population de Brazzaville se tait et se meurt; continuera-t-elle ainsi ? »
Afin de donner une chance à son film d’être vu, la jeune réalisatrice a fait tout son possible. D’abord, réaliser une maquette de Ku N’kélo qu’elle aimerait terminer. Ensuite, financer intégralement son déplacement et son séjour à Ouagadougou pour participer au Marché International du Film et de la Télévision Africains (MICA) puisque Ku N’kélo n’étant pas achevé, il n’a pu être sélectionné par le comité de sélection du 21e FESPACO. Enfin, diffuser des tracts à tous les festivaliers des salles de cinéma de Ouagadougou afin de trouver de potentiels financeurs. Dans ce festival international où les professionnels courent de séance en séance, Nadège Batou a compris la démarche à suivre : retenir l’attention en parlant de son film.
C’est ainsi qu’elle s’est présentée, en déposant un tract sur la table. Nombreux sont ceux qui ont entamé une discussion avec elle, qui l’ont questionnée, qui l’ont interviewée. Nadège Batou s’est prise au jeu, tout sourire, pour discuter de son parcours. Sa participation au FESPACO ? « Ce n’est pas facile, je ne connais pas les figures de ce domaine, je ne peux pas mettre un nom sur les visages… ». La promotion de son film ? « Les gens sont très curieux du sujet« . Son point de vue sur le quarantième anniversaire du festival ? « Nous, à Brazza, on entend parler du FESPACO comme un festival de cinéma africain. Avec toutes les rencontres que je fais, je me dis que c’est un grand festival et c’est important que l’on fête ses quarante ans. »
Le festival de Ouagadougou était donc l’occasion rêvée pour faire de belles rencontres et apprendre ce qu’il n’est pas possible d’apprendre au Congo où « le cinéma est peu développé ». Alors que son homologue Léandre-Alain Baker concourrait pour l’Étalon d’or avec son long-métrage Ramata, Nadège Batou faisait figure de résistante dans la catégorie off du festival. Dans la vie de tous les jours, la réalisatrice impressionne tant par sa détermination que par sa condition de femme : « Les gens me regardent avec admiration et curiosité. Ce n’est pas facile, il y a peu de femmes cinéastes au Congo. Alors ça fait peur. On se demande si on est à la hauteur. »
Cette hauteur, la réalisatrice a le temps de l’atteindre. Avec sa détermination, il est fort probable qu’on entende parler d’elle tôt ou tard. Ou qu’elle pénètre un jour dans le stade du 4 août de Ouagadougou pour décrocher un prix. Car celle qui souhaite terminer son film quel qu’en soit le temps affirme avec force qu' »il en va de la survie de l’humanité« . Et pour cause, sa petite escapade burkinabè lui a ouvert les yeux : « J‘ai vu que le Burkina était aride mais que les gens avaient de l’eau ! Chez moi, il n’y a pas ça.« .
Effectivement, en comparant à petite échelle les pays africains, Nadège Batou aura peut-être la chance, un jour, d’effectuer un diagnostic continental. Lors du dernier FESPACO, la cinéaste y réfléchissait déjà :« Au Congo, nous devons être conscients que toute cette eau peut servir la population et une partie de l’Afrique. Pourquoi les Africains n’ont-ils pas accès à ce bijou ?« .
1. Le film, appelé en anglais Street Children, est disponible sur le site www.indiepixfilms.com
2. L’objectif d’Africadoc est de développer avec les pays d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique Centrale et d’Afrique lusophone un ensemble de dispositifs de formation qui encadrent l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes, et la mise en place d’un tissu de professionnels du documentaire. Source : www.africadoc.net///Article N° : 8639