New York ou l’esthétique du melting pot culturel

Entretien de Christine Sitchet avec Sam Newsome

Saxophoniste et compositeur africain-américain
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Sam Newsome a fait ses armes musicales auprès de grands noms du jazz comme l’organiste Jack McDuff et le vibraphoniste Lionel Hampton. Il mène aujourd’hui une carrière solo. Bien loin des sentiers sonores battus, son jeu se distingue par un lyrisme raffiné, empreint de sonorités orientales et africaines.

Vous êtes originaire de Virginie. A quelle occasion avez-vous décidé de vous installer à New York ?
Pour qui envisage d’embrasser une carrière dans le jazz, il n’y a aucun doute : il faut vivre à New York. Alors, en sortant de la Berkley School, en 1989, je m’y suis rendu directement. J’ai d’abord vécu dans le Queens, puis déménagé pour Brooklyn, à Fort Green. Je me suis tout de suite senti en phase avec ce quartier. C’est un lieu très stimulant. Foisonnant d’artistes. On y trouve des peintres, des danseurs, des acteurs… qui forment une sorte de petite communauté. Je ne pense pas qu’il existe un autre quartier comme celui-là. Finalement, c’est un peu l’atmosphère de l’ancien Harlem que l’on retrouve aujourd’hui à Brooklyn. Les musiciens vont les uns chez les autres, écoutent de la musique ensemble, partagent leurs dernières compositions.
D’où viennent toutes les influences stylistiques qui font l’originalité de votre musique ?
Au moment où je suis passé du ténor au soprano, et en même temps d’un jazz plutôt traditionnel, tourné vers le passé, à un jazz expérimental, beaucoup plus personnel, j’ai commencé à m’ouvrir au monde, à sa multitude de sons et de cultures. Ma vision de la musique a radicalement changé avec le soprano. Cet instrument, plus proche de la voix, laisse beaucoup plus de place que le ténor. Il a déclenché en moi un besoin d’explorer d’autres sonorités. J’ai alors commencé à littéralement absorber tous les sons qui m’entouraient.
Sur la couverture de votre dernier album, Global Unity, on aperçoit la ville de New York. Juste au-dessus figure un bouddha. Avez-vous cherché avec ce titre et cette pochette à établir un parallèle entre votre musique, riche de multiples couleurs stylistiques, et cette ville multiculturelle ?
Cette pochette raconte comment ma musique est à l’image de New York un melting pot culturel. Je pense que New York est l’un des lieux les plus riches sur la planète en terme de diversité culturelle. Quelque part, cela se ressent dans ma musique, qui est certes jazz, mais aussi imprégnée d’autres influences musicales. En provenance d’Afrique, d’Asie, du Moyen Orient. Cette variété de sons, je l’ai puisée dans mon environnement proche, à Brooklyn même. J’ai été nourri par tous les sons qui se trouvaient autour de moi : entendus dans un restaurant sénégalais ou mexicain, dans une épicerie tenue par des Orientaux…
Avez-vous senti que le fait d’évoluer vers un jazz plus expérimental, ouvert à la world, générait quelques résistances ?
Il est clair que plus d’une personne a été déroutée par mon passage à un style musical qui est loin d’être un jazz pur. J’ai rencontré quelques difficultés pour être programmé dans des lieux où j’avais autrefois l’habitude de me produire. Mon audience a aussi changé. Avant, c’était celle des clubs de jazz, qui attirent aujourd’hui une large clientèle estudiantine, consommatrice de jazz comme musique d’ambiance, « distinguée ». Les gens qui viennent à mes concerts aujourd’hui sont à la recherche de musique acoustique, mais pas aussi abstraite que le jazz.
Quel regard portez-vous sur ces clubs de jazz, de plus en plus nombreux, qui s’ouvrent à la world ?
Cette évolution est compréhensible. Le jazz ne vend plus. L’audience a chuté. Et les clubs ont du mal à survivre financièrement. Quelque part, je pense même que ces difficultés sont positives : elles constituent un facteur stimulant pour le jazz, qui ne doit pas s’endormir sur le passé.
Pensez-vous que la survie du jazz passe par l’intégration d’éléments musicaux autres, d’éléments world ?
Je pense plutôt que le jazz va rester le jazz. Mais qu’une autre musique va en émerger, une musique qui portera un autre nom, un peu comme le rap, que l’on disait être un nouveau R&B, et qui finalement a trouvé son propre nom. Si moi-même je dis que je fais du jazz, c’est parce que je viens de cette culture, mais la musique que je joue est une sorte de jazz en mutation.
Avez-vous déjà été en Afrique ?
Non. Je connais mal ce continent mais j’ai travaillé avec plusieurs artistes africains et je trouve qu’ils dégagent une certaine force qui transcende les questions raciales. J’ai découvert la musique africaine il n’y a pas très longtemps. Je crois que l’un des premiers disques que j’ai entendus était yoruba ; c’était des « percussions de rue ».
Est-ce important pour vous d’être appelé « Africain-Américain » ?
Pas véritablement. Je suis né et j’ai grandi aux Etats-Unis. Alors, il est clair que je suis américain, même si mes ancêtres sont en partie africains. Je n’aime pas trop utiliser des étiquettes identitaires. C’est toujours une manière de stigmatiser et d’exclure. Je n’ai aucune envie de renforcer la douloureuse stigmatisation qui a marqué toute l’histoire des Noirs. J’ai plutôt envie d’en appeler à de l’universel. J’aime beaucoup cette pensée vaudou qui dit que si tu te considères comme n’étant rien, tu as la possibilité de faire partie de tout.

Dernier album : Global Unity (Palmetto Records)///Article N° : 99

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