Deux condamnés à mort racontent leur vie dans les romans du Nigerian Ken Saro-Wiwa et su Sud-africain Lewis Nkosi.
Raconter une dernière fois sa vie en attendant la mort le thème a été maintes fois exploité dans la littérature. Mais la particularité de Lemona, roman posthume, tient à la personnalité de son auteur : Ken Saro-Wiwa, lui-même passé par les geôles de la mort, exécuté le 10 novembre 1995 sous le règne du général Abacha.
Lemona, une femme d’une cinquantaine d’années accusée de deux meurtres, livre son récit à Ola, jeune étudiante en psychologie et fille d’une des prétendues victimes de l’accusée. Demeurée silencieuse jusqu’à la veille de sa pendaison, Lemona a ses raisons de se confier à Ola. Leurs destins sont liés par autre chose que le meurtre du père, tout du moins Lemona veut-elle le croire. Alors elle raconte sa vie, placée sous le signe du chaos et de la malchance, à la merci des plus puissants qu’elle.
Cette vie ressemble à un conte, aux tournures rocambolesques ou romantiques, à la limite de la vraisemblance. Le récit finit toutefois par trancher avec la logique du conte qui voudrait que la vérité soit révélée et la justice faite. Rien de tout cela pour clore le destin de Lemona, simplement une phrase d’Ola : « C’était vraiment injuste que les enfants ne puissent pas choisir leurs parents. »
Le destin des parents détermine-t-il à ce point celui de l’enfant ? En évoquant la question, on ne peut s’empêcher de penser à une autre condamnée à mort nigériane, bien réelle celle-ci : Safiya Husaini, condamnée à la lapidation pour adultère, dont la preuve vivante était sa fille née hors mariage. Finalement acquittée en mars 2002, elle avait bénéficié d’une mobilisation internationale mobilisation qui n’avait pu sauver Saro-Wiwa.
« Dans quelques jours je vais mourir. C’est curieux, cette idée n’éveille en moi ni indignation ni frayeur. Ce que j’éprouve désormais le plus souvent, c’est une sorte de torpeur, de totale indifférence à mon propre destin, comme si j’étais là pour observer les derniers jours de la vie d’un autre homme. » Sibiya est condamné à mort pour le viol d’une jeune femme blanche. En attendant le jour de l’exécution, quand il ne discute pas avec le docteur Dufré, éminent criminologue et psychiatre venu jusqu’en Afrique du Sud pour étudier le « cas » Sibiya, il s’occupe à écrire l’histoire de sa vie. N’avait-il pas rêvé de devenir un grand écrivain ? Alors autant s’atteler à la tâche.
Originalement paru en 1986 sous le titre de Mating Birds (Les oiseaux copulent), le roman du Sud-africain Lewis Nkosi est une somptueuse mise en scène d’un désir impossible. Etrange histoire d’amour ou plutôt de désir que celle de Sibiya, étudiant noir, et Veronica, jeune femme blanche, strip-teaseuse à ses heures. Les seuls mots échangés sont des mots d’excuses lors d’une bousculade inopinée dans un bureau de tabac. A côté de cela, il n’y a que regards, poses, instants partagés dans une proximité physique mais sans contact physique, avec toujours une ligne de démarcation, une frontière infranchissable symbolisée par une fenêtre, un ruisseau, une porte. Quand Sibiya décide de la franchir, pris au jeu du strip-tease de Veronica, il le fait littéralement au risque de sa vie.
La plume de Nkosi est incroyablement précise et poétique quand il évoque ce curieux ballet d’amour, les moments de rencontre d’une intensité extraordinaire ou les émotions ambiguës de l’un et de l’autre. On ne saura pas grand chose de Veronica et de ses états d’âme. Joue-t-elle avec le kaffir fasciné par sa chair ? Eprouve-t-elle un intérêt réel pour la personne de Sibiya ? Sibiya lui-même n’en sait rien et ses idées ne semblent pas beaucoup plus claires quand il s’agit de ses propres émotions. Est-ce de l’amour, de la colère, de la fascination, de la révolte ? Ou simplement du « désir charnel », comme le dit Sibiya ? Un désir devenu étrangement synonyme de liberté.
Lemona, de Ken Saro-Wiwa. Traduit de l’anglais (Nigeria) par Kangni Alem. Editions Dapper, 2002, 224 p., 12 .
Le Sable des Blancs, de Lewis Nkosi. Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Anne Laflaquière. Postface de Nimrod. Editions Dapper, 2002, 206 p., 12 .///Article N° : 2305