Présenté au festival du cinéma du réel en mars 2014 et en sortie sur les écrans français le 10 septembre, On a grèvé ! ne laisse pas indifférent. Spécialement conseillé à ceux qui dorment souvent à l’hôtel !
Nous posons-nous la question, quand nous dormons dans un hôtel, des conditions de travail des gens qui « font » les chambres ? Déjà, le beau Bird People de Pascale Ferrand alertait, de poétique façon, sur le stress et les aspirations de cette main d’uvre invisible. Dans On a grèvé !, ces femmes ont des noms : Oulimata, Mariam, Géraldine, Fatoumata
Denis Gheerbrant, qui compte parmi les meilleurs documentaristes actuels et dont Après – un voyage dans le Rwanda (2003, cf. [critique n°3435]) nous avait marqué, suit ici une grève de ces travailleuses souterraines, en majorité d’ascendance africaine, que les grandes chaînes exploitent sans vergogne. Semblables aux balayeurs des rues, elles font notre ménage, nettoient nos salissures.
Depuis que j’ai vu ces films, je suis particulièrement attentif à leur faciliter le travail, car ils nous rapprochent de ce monde du nettoyage si méprisé, et de plus victime du capitalisme financier des chaînes d’hôtels qui économisent sur son dos pour démultiplier leurs profits, payant souvent à la chambre plutôt qu’à l’heure de travail. N’est-ce pas un bel effet du cinéma que de nous rendre plus proche des plus lointains ?
Gheerbrant n’a bien sûr pas eu l’autorisation de tourner dans l’hôtel en question : c’est sur le trottoir, avec les grévistes, que se déroule ce film. C’est là, en pleine rue, que ces femmes dévoilent des facettes de leur vie, témoignent de leur humour autant que de cette amertume d’oiseaux blessés qui finalement, grâce au collectif et grâce au soutien de militants actifs, s’allient pour réagir.
A la manière de Stefano Savona (par exemple Tahrir, Place de la Libération, cf. [article n°10372]), Gheerbrant cherche à donner la parole et donc les moments et les lieux où elle s’exprime. C’est en contact avec les militants du syndicat CNT Nettoyage et de la « CGT des hôtels de prestige et économiques » que Gheerbrant a pu rencontrer les grévistes, et que le film a pu se faire. Pour réussir, une grève de ce type n’est pas spontanée : elle se prépare, celle du film un an auparavant. La très grande majorité des femmes en grève sont donc syndiquées, dans la perspective de faire cette grève et d’être soutenues. L’accompagnement syndical très visible pourrait laisser penser qu’elles sont manipulées, mais c’est tout le contraire : elles en ont besoin, c’est leur première grève, leur apprentissage de la revendication, mais surtout, elles sont à un stade où elles s’affirment dans leur force : « On est là ! ». « C’est le slogan des sans-papiers, dit Denis Gheerbrant, c’est l’affirmation politique, la plus politique de tous les travailleurs qui viennent du Sud ». Effectivement, la grève consiste à occuper malgré le froid le trottoir devant l’hôtel ! Cela dure et cela demande de l’organisation et de la détermination. C’est cela que documente Gheerbrant. En partageant leur quotidien, il devient un des leurs. Il ne les isole pas pour saisir leur parole : c’est au sein du groupe que ces femmes souvent venues en France du fait du regroupement familial s’expriment, au sein d’un même corps.
Car faire corps n’est pas seulement affronter ensemble, c’est aussi et surtout respecter des règles, un partage des tâches, une attitude décidée en commun. Faire corps, c’est porter des calicots, occuper l’espace, chanter, danser, faire du bruit, malgré les trois files de voitures qui démarrent au feu rouge d’à côté. Faire corps, c’est aller jusqu’au bout. Ce film est donc un récit, celui du corps des femmes qui se lèvent pour dire « ça suffit ».
Assurément, après ce film, vous ne pourrez plus laisser traîner vos salissures en tous sens dans votre chambre d’hôtel !
En avant-première le 9 septembre au Cinéma La Clef à Paris.
Séance à 20h30 en présence de Denis Gheerbrant et Gérard Filoche.
Première le 10 septembre à l’Espace Saint Michel à Paris.
Séance à 20h30 en présence du réalisateur, des femmes de chambre, de Claude Lévy de la CGT des hôtels de prestige et écononiques, d’Etienne Deschamps de la CNT-Nettoyage
Pendant plusieurs semaines
Cinéma La Clef – Paris
l’Espace Saint Michel – Paris
Cinéma Paradiso – Saint Martin en Haut
l’Eldorado – Dijon
Aux Arcades – Alès
Quelques séances / débats en présence du réalisateur
Cinéma Paradiso à Saint Martin en Haut : soirée débat le 12 septembre.
Cinéma La Clef à Paris : le 16 septembre à 20h30 soirée-débat avec Karl Ghasi (CGT Commerce Paris) et Claude Lévy (hôtels de prestige et économiques) sur le thème des nouveaux prolétaires
Cinéma Le Vox à Langres : soirée débat le 17 septembre.
Cinéma l’Eldorado à Dijon : rencontre avec Denis Gheerbrant le 18 septembre.
Espace Saint Michel à Paris : le 11 septembre à 20h30 : soirée POLITIS, en présence de Christophe Kantcheff et Denis Gheerbrant.///Article N° : 12411