Né il y a presque quinze ans au Nord-Est du Brésil, ce septètte de rap engagé a fait un peu de chahut à Ilhéus. Inspirés par le hip-hop américain, les rythmes africains et les technologies modernes, quatre musiciens rock et trois rappeurs font la chronique des inégalités sociales, du racisme, de la spiritualité. OQuadro, signifie à la fois « le tableau », « le cadre » (ils s’appelaient autrefois OQuadro negro, le tableau noir de l’école), et « la situation » – un sens plus vaste qu’ils préfèrent aujourd’hui. Alors qu’ils préparent leur deuxième album, Africultures les a rencontré.
OQuadro, vous préparez votre second album que vous voulez absolument sortir après la Coupe du monde dans votre pays. C’est pourtant une vitrine formidable. Pourquoi ? Comment sentez-vous le Brésil à l’approche de cet événement ?
Ricô, bassiste et choriste. Il y a une attention focalisée sur le Mondial en ce moment, donc on veut prendre notre temps. Une révolution a commencé l’année dernière avec les grandes manifestations qui ont eu lieu dans toutes les villes. Avec les membres du groupe, nous sommes descendus dans la rue. On veut accompagner ce mouvement parce que ce qui se passe est très important, on en est fiers. Cela a donné l’occasion aux gens de parler vraiment des problèmes, en groupes, et de chercher ensemble des solutions. Les manifestations vont reprendre pendant le Mondial, ça va être un énorme bazar ! Le gouvernement essaie de faire voter des restrictions au droit de manifester
Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce deuxième opus ?
Comme beaucoup de précédentes, ces nouvelles chansons évoquent l’évolution de l’humanité, de la conscience sociale. Nos rappeurs écrivent beaucoup de chroniques sur les désirs des gens au quotidien, leurs aspirations profondes, la condition humaine. On pense à la fois local et universel. Le premier single, Filme, parlera du vide malgré les réseaux sociaux, du fait que l’on se sent un peu perdus. Un de nos rappeurs, Jef, est diplômé en philosophie. Une autre nouvelle chanson est une complainte spirituelle mais qui ne s’inscrit dans le dogme d’aucune religion.
Ilhéus, votre ville natale, est une ville moyenne de l’Etat de Bahia. Quel était le contexte musical à la naissance d’OQuadro ?
À cette époque, personne ne faisait du rap à Ilhéus ! C’est la musique traditionnelle de Bahia qui prédominait : une musique agréable, très rythmée par les percussions, mais qui parle essentiellement des filles et du sexe. Lorsque l’on a commencé à faire du rap, on a choisi des sujets politiques ou sociaux. On nous a pris pour des fous, des drogués ! Ce n’était pas « de la bonne musique » aux yeux de beaucoup, même si l’on a aussi eu pas mal d’encouragements. On a démarché nous-mêmes des marchands d’instruments, des sponsors pour nous aider car il n’y avait aucun soutien à la production et nous n’avions pas de matériel.
Pourquoi du rap ?
Mon grand frère Victor et moi avons commencé à jouer vers l’âge de 14 ans. Lui était bassiste, rappeur, puis il est devenu batteur et j’ai repris sa basse. Notre famille est mélomane : mon oncle était percussionniste et il y avait beaucoup de vinyles chez mes parents, de la bossa nova, du jazz, Michael Jackson
De la chanson française, aussi ! On n’habitait pas spécialement les quartiers difficiles, on était plutôt de la classe moyenne. Mais on était connectés à autre chose : les vidéos de hip-hop du monde entier, des lectures.
Quelles sont les thématiques de vos textes ?
Nos trois MC écrivent eux-mêmes chaque partie qu’ils vont rapper. Ils choisissent de parler de l’injustice sociale, ou de la corruption par exemple. Lors d’un récent concert à Salvador, financé par l’État de Bahia, nous avons joué notre titre Conforme o comando, à la fin duquel on scande des noms de politiciens brésiliens. Après chaque nom, le public reprend avec nous, comme un mantra, la phrase ironique « Je ne suis pas un voleur ! ». Les autorités de Bahia sont venues après la représentation nous suggérer de ne plus citer le nom du maire de Salvador si nous ne voulions pas nous fermer des portes
Vous évoquez aussi l’intolérance religieuse.
Oui, car elle augmente ! Au sein du groupe, on croit tous plus ou moins au candomblé, un syncrétisme entre des croyances africaines et le catholicisme, introduit au Brésil via la traite esclavagiste. Nous ne pratiquons pas tous avec la même intensité, mais nous sommes sensibles à l’énergie de la toilette aux herbes, par exemple, et l’on dépose des fleurs dans l’océan certains jours. Mais nous sommes pour la liberté de chacun, or il y beaucoup de préjugés envers les religions africaines. Dans l’État de Bahia, c’est extrêmement fréquent que des personnes vous interpellent dans la rue pour vous dire que Jésus va vous sauver ! Si l’on a des tatouages, ou des dreadlocks, des évangélistes vous arrêtent avec une bible et tentent de vous convertir. Nous avons un titre, Tá Amarrado qui dit « Tu peux être ce que tu veux / Tu peux croire en ce que tu veux ». C’est un peu notre tube, on le joue toujours en clôture des concerts.
Que signifie exactement la pochette de votre album éponyme, OQuadro ?
L’homme dessiné représente un saint noir du IVe siècle, Moïse l’Éthiopien. L’idée est de rappeler son existence alors que la religion catholique, même au Brésil, représente toujours les saints comme des Blancs. Mais on peut aussi voir en lui un orixá, un vieux protecteur noir, un sage dans les religions d’origine africaine, qui sont très fortes à Bahia. L’homme a le poing levé comme les Black Panthers. C’est une cause très importante, mais nous ne sommes pas un groupe de combat. À Salvador, on trouve des associations étudiantes ou politiques noires du type Black Panthers. Nous savons qu’elles se basent sur des faits réels et on partage certaines de leurs idées, mais pas leur radicalisme. On est pour l’égalité. En fait, le Brésil est l’un des pays les plus racistes du monde. Il y a toujours des meurtres, et les regards dans les magasins, les fouilles systématiques des vigiles
En revanche, des mouvements culturels comme l’Afrobeat de Fela Kuti, l’Afropunk ou le Blaxploitation aux États-Unis sont des références très fortes pour nous.
Comment peut-on définir votre musique ?
On fait du rap, mais on pratique beaucoup de mélanges. La musique de Bahia nous influence, évidemment : on utilise la percussion conga, ou du cowbell que l’on entend beaucoup dans le ijexá, un célèbre rythme afro-bahianais. Mais on croise tout ça avec du ragga, de la soul. Nous sommes trois rappeurs et quatre musiciens, un guitariste, un percussionniste – pianiste, mon frère qui est batteur et je suis le bassiste. On aime bien la technologie aussi, que l’on couple avec du son roots : ça marche très bien. Moi par exemple j’utilise un kaoss pad depuis trois ans, c’est un boîtier électrique de modification sonore. Jax utilise aussi parfois une percussion électronique.
Quelles musiques vous inspirent ?
Quand on était jeunes, on voulait « faire du bruit », reproduire les sons qu’on aimait, The Roots ou Erikah Badu. Depuis, on puise aussi beaucoup dans la musique brésilienne. Dans les années 1970, il y a eu le mouvement culturel tropicalisa, avec Gilberto Gil notamment. Et dans les années 1990, des groupes comme Planet Hemp ou Chico Science e Nação Zumbi, qui mélangeait la musique du Nordeste avec du rap : c’était une vraie révolution ! Et puis de la bossa nova, ou de la soul comme celle de Cassiano par exemple.
Et en Afrique ?
Fela Kuti, bien sûr. De la musique malienne aussi, sénégalaise. Plutôt des anciennes que les contemporaines. On se sent proches de l’Afrique, par notre culture, et par nos origines. Je pense que mes ancêtres viennent du Nigéria, d’ailleurs, mais je ne peux pas être sûr. Les autres membres du groupe sont métis. On ne veut pas penser au passé, aux souffrances des Noirs, des Juifs. Dans nos textes, on encourage les gens à se tourner vers l’avenir. Notre chanson Evolui parle de cela.
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