Ouvrir une porte sur le film d’animation à Madagascar

Entretien de Karine Blanchon avec Thierry Andrianasolo

Print Friendly, PDF & Email

Rencontre avec Thierry Andrianasolo à l’occasion de la sortie sur les écrans malgaches de son film d’animation Andavabiby. Le réalisateur revient sur ces deux années consacrées à écrire, tourner et produire ce premier long métrage d’animation 100 % « made in » Madagascar.

Andavabiby est le premier film d’animation en 3D entièrement réalisé et produit à Madagascar. Comment l’idée de ce projet est-elle née ?
Andavabiby est surtout le premier film à Madagascar avec des incrustations de personnages réels dans des décors en 3D. Le film dure 96 minutes et tous les plans du début jusqu’à la fin sont truqués (environ 700 plans). Après avoir présenté mon premier court métrage (incluant déjà des incrustations de personnages réels dans des décors virtuels) pendant les Rencontres du Film Court de Madagascar en 2004, l’idée a germé dans mon esprit de faire un film plus long, avec plus d’effets et plus d’ambitions aussi. Donc je me suis préparé à ce film en commençant par l’écriture du scénario. Au départ, je pensais trouver des sponsors et des partenaires potentiels pour avoir des moyens financiers plus conséquents pour affronter ce genre de film assez novateur à Madagascar. Je me suis rendu compte que personne ne voulait s’y risquer donc avec l’aide financière (très très très modeste) de quelques amis et mon propre argent aussi, j’ai « bouclé » (réduit plutôt) mon budget. C’était très limite. En fait, j’ai découvert une série télévisée canadienne qui s’appelle Sanctuary, diffusée en streaming sur SyFy universal. Je l’ai décortiquée plan par plan, avec tous les « making of » et les interviews que j’ai pu trouver. C’est une série qui m’a vraiment servie d’inspiration technique.
Andavibiby est un film sur le village imaginaire d’Andrebabe. Ce n’est pas le premier film malgache réalisé sur ce thème car il y a eu aussi Andrebabe d’Akomba Mazoto en 2003. Pourquoi cette légende inspire-t-elle les réalisateurs malgaches et pourquoi l’avoir choisie ?
Je l’ai exploitée car les premiers films de Scoop Digital, (la trilogie Andrebabe), n’ont pas vraiment exploité la légende à fond. Le spectateur reste toujours sur sa faim et n’en sait pas plus sur cette légende. Avant de commencer ce film, j ai étudié cette légende et dans mon film, on voit la cité d’une autre manière. Pas comme dans les films Andrebabe de Scoop Digital où l’on voyait des Pygmées en pagne dans des huttes minuscules. C’était leur vision et j’ai la mienne en tant qu’artiste. La légende est beaucoup moins réductrice et met en valeur une cité en pierre immense, inspirée de l’architecture du Moyen-Orient. Des créatures fantastiques, des gardiens redoutables, un trésor ancien caché qui ne doit être découvert sous aucun prétexte sont les thèmes récurrents de cette légende. Je ne suis pas entré dans les détails avec mon film, mais j’expose le contexte de l’histoire et surtout je montre la cité. Dans la suite de ce film, Andavabiby 2 (si le premier volet connaît le succès que j’attends !), je me pencherai d’avantage sur les mystères de cette cité, c’est la partie la plus intéressante.
Donc tu envisages déjà une suite à Andavibiby ?
Oui, un Andavabiby 2 est possible car la fin du premier opus laisse présager une suite. En fait, au départ j’avais pensé à une série télévisée puis je l’ai déclinée en long métrage. Évidemment, dans le prochain film, je pourrai mettre en valeur la ville et les habitants d’Andrebabe. Cela pourrait être intéressant. Mais pour le moment je préfère faire un film complètement différent, histoire de prendre du recul par rapport à celui-ci qui m’a occupé l’esprit pendant plus de deux ans !
Laza, qui est aussi réalisateur et directeur des Rencontres du Film Court (RFC) de Madagascar, a également coproduit ton film. Comment s’est passée votre collaboration ?
Notre collaboration est en cours. Je connais Laza car j’étais parmi les membres du jury de présélection des Rencontres du Film Court en 2010 et on a bien travaillé ensemble. Pour le moment, je ne peux pas tirer de bilan sur notre collaboration. Il a coproduit Andavabiby et il en est aussi le distributeur exclusif pour l’international. Il a visionné mon film terminé et monté, avant les RFC de cette année, et il s’est dit très intéressé pour le distribuer hors de Madagascar. On a signé un contrat et voilà, maintenant, le film va sortir hors de ce pays et vivre sa propre vie ! C’est angoissant pour moi, mais j’espère qu’il va « grandir » et qu’il fera parler de lui…
Que réponds-tu aux critiques qui disent de ton film qu’il se rapproche des jeux vidéos ?
C’est vrai, moi-même je le reconnais. Mais cela est dû aux limites de mon ordinateur. À titre d’information, tout le film, (la réalisation 3D, le compositing, le montage vidéo) a été fait sur une seule et même machine, un seul micro-ordinateur Dual Core de base. Pas de centaines ou de dizaine d’ordinateurs hyper puissants, pas de « render farm », mais des moyens techniques limités, un ordinateur que j’ai malmené (j’ai fondu un processeur et fait sauter un disque dur pendant ces deux ans de postproduction et montage !) et cela a limité le rendu du film, lui donnant cet aspect « jeu vidéo ». Un rendu photo-réaliste nécessite beaucoup d’ordinateurs puissants. Bref, je n’avais pas vraiment le choix. Avec plus de moyens financiers, de matériel, je pourrai faire encore mieux. Le film a essuyé d’autres critiques : on a dit que l’interprétation des acteurs était très moyenne, qu’hormis quelques-unes qui tirent bien leur épingle du jeu, les autres jouent assez mal devant le fond vert (avec aucun repère visuel). Là encore, ce n’était pas évident sur le tournage, et il fallait gérer l’emploi du temps de chacun en prenant compte aussi de la disponibilité du lieu de tournage. Nous avons filmé dans un restaurant car nous n’avions pas de studio dédié pour un tournage sur fond vert. Bref, on a géré tant bien que mal nos acteurs. Si on avait eu plus de temps et plus d’argent, on aurait pu faire plusieurs répétitions et même organiser des formations spécifiques. Ce film a des défauts, il n’est certes pas parfait, j’en suis conscient, mais pour un premier essai, je suis satisfait. Le prochain film sera mieux et ainsi de suite !
Ton film est actuellement projeté dans quelques salles à Madagascar, comment le public réagit-il ?
J’ai organisé quelques projections tests, dont une dans une école de multimédia, avec des étudiants en audiovisuel et communication, et une autre avec quelques journalistes locaux. La réaction était plutôt bonne. Il y a eu des tonnerres d’applaudissements, surtout à la fin des projections, suivis de questions : quand est-ce qu’on verra la suite ? C’est étonnant les applaudissements, car les Malagasy ne sont pas très démonstratifs et assez timides en public en général. On organise des séances de projection publique la semaine prochaine dans la capitale.
Quand pourra-t-on le voir en France et… au Canada ?
Bientôt, je l’espère ! C’est Laza de Rozifilms (France) qui s’occupe de toute la distribution internationale. À ce jour, nous travaillons sur la version sous-titrée en français et en anglais. D’ici le début du mois d’août, le film sortira enfin en France dans des salles de cinéma spécialisées et dans des festivals. Il fera aussi une tournée africaine surtout (du Burundi jusqu’en Afrique du Sud). Le Canada et les États-Unis ne seront pas en reste ! Mais comme je l’ai dit, c’est Laza qui s’occupe de la distribution en détail. En tout cas, je pense venir au Canada personnellement pour suivre le film, voir la réaction du public canadien… et visiter le pays aussi !
As-tu des contacts avec d’autres réalisateurs malgaches, voire un projet collectif de film d’animation ?
Oui, je discute surtout avec des réalisateurs malagasy qui travaillent et font des films hors de Madagascar, comme Nantenaina Lova de Autantic Films (France) qui a étudié à l’École supérieure d’audiovisuel de Toulouse (ESAV). Je travaille avec lui sur le long métrage qu’il tourne actuellement au pays. Je le fais pour le « fun » et surtout pour l’entre-aide, bénévolement mais de bon cœur. Sinon, je suis aussi en contact avec Haminiaina Ratovoarivony de Colorful Films (Chicago-USA) qui vient aussi de terminer le tournage de son film à Mada et qui vient de commencer le montage aux États-Unis. Notre point commun à tous les trois, à part le fait de réaliser des films, est que nous nous sommes connus lors des RFC à Mada il y a quelques années. Nous avons gardé contact sur Facebook et nous sommes devenus amis. Faire un projet de film commun, non, on n’y a pas encore pensé. On a quelques idées mais c’est très vague pour le moment. On verra dans le temps comment s’accorder et peut-être qu’on aura de bonnes idées en rassemblant tous nos esprits et efforts. J’aimerais faire un film d’animation 3D « pur ». On pourrait s’associer avec certains infographistes 3D à Mada mais ce sera toujours le côté matériel qui posera problème. C’est un facteur bloquant important, le matériel informatique.
Il y a quatre ans, lorsque je t’avais demandé ton avis sur le cinéma malgache, tu m’as dit reprocher l’incohérence des films malgaches. Cette affirmation est-elle toujours d’actualité ? Que penses-tu du cinéma malgache aujourd’hui ?
À mon humble avis, et cela n’engage que moi, cela n’a pas vraiment évolué. Les scenarii de certains films sont toujours aussi incohérents. Pour le moment, le cinéma malagasy est figé dans ses propres règles, et surtout piégé dans la production commerciale à bas prix, des films réalisés en très peu de temps, sans aucune approche esthétique. Cela fait peut-être prétentieux de dire cela, mais c’est la vérité ! Donc j’essaie de remuer le cocotier et de réveiller la profession, plongée dans une torpeur bien de chez nous et dans une certaine routine aussi. D’autres réalisateurs, des jeunes inconnus, vont sûrement se manifester, voir mon travail et s’en inspirer pour sortir du lot. J’ai ouvert une porte, une possibilité de faire autre chose que des films commerciaux. Je veux que mon film suscite des interrogations, qu’il provoque des envies, des critiques, de la passion, qu’il suscite des vocations et qu’il donne du courage aux jeunes cinéastes talentueux mais pas encore connus. Je leur dirai : si j’ai réussi à faire mon film avec pas grand-chose, à concrétiser mon rêve, vous pouvez y arriver aussi ! Ce message s’adresse aussi à tous les cinéastes africains sans un sou mais avec de bonnes idées… et de bonnes histoires à raconter !

un extrait du film de 7 minutes, en version sous-titrée en français :

et sous titrée en anglais :

Autre lien pour voir des extraits du film :
[https://www.facebook.com/pages/Movie-Andavabiby/163482157025982?ref=ts]
///Article N° : 10334

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
Affiche du film Andavabiby © Karine Blanchon





Un commentaire

Laisser un commentaire