Pascale Anin : écrire pour toucher ce fascinant territoire qu’est l’autre

Entretien de Stéphanie Bérard avec Pascale Anin

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Dramaturge originaire de la Martinique, Pascale Anin vit à Paris où elle dirige sa compagnie de théâtre Lanoa. Elle écrit Et je remercie Dieu d’être une femme (2006) qu’elle met en scène avant de recevoir le prix du théâtre francophone décerné par ETC Caraïbe et l’Association Beaumarchais en 2007 pour Les Immortels, pièce lue à New York en 2008 (dans une traduction anglaise de Philippa Wehle) dans le cadre du « Caribbean Playwright Exchange », projet de collaboration entre ETC Caraïbes et le Soho Theater de New York. C’est là que nous l’avons rencontrée en novembre 2008 pour nous parler de son théâtre dont le caractère poétique et musical autant que la violence qu’il enferme n’ont pas échappé au public américain, charmé et surpris par la puissance d’écriture dramatique d’une si jeune auteur.

Vous êtes ici à New York pour rencontrer le metteur en scène et les comédiens qui ont mis en lecture votre pièce « Les immortels ». Comment s’est passée cette rencontre ?
L’expérience américaine m’a beaucoup questionnée sur ma vision du théâtre et aussi du monde. J’ai fait des études de théâtre à l’université et j’ai beaucoup critiqué le système de Stanislavski dans sa manière d’aborder les personnages sous l’angle psychologique. J’ai eu plusieurs échanges avec le metteur en scène américain et il est vrai que je pensais sa manière d’aborder la pièce de manière trop efficace, sous l’angle de l’action et de la psychologie. J’étais un peu dans le stéréotype, car au final j’ai rencontré de véritables acteurs, des outils de travail, un vrai engagement. La lecture fut un moment très émouvant, j’ai découvert la richesse des personnages qui prenaient vie et une histoire que les acteurs portaient en parallèle qui faisait écho à celle de la pièce. L’échange culturel est essentiel pour voir plus loin que ses clichés et ce fut un réel plaisir d’entendre ma pièce dans une autre langue, portée par des acteurs d’horizons différents.
La pièce qui vient d’être lue, « Les immortels », a été primée par l’Association Beaumarchais et vous avez ainsi pu effectuer une résidence d’écriture à la maison des auteurs de Limoges. Que représentent un tel prix et l’expérience de Limoges pour une jeune auteure ?
Grâce au prix de l’association Beaumarchais, mon écriture a pu voyager, être lue… J’ai pu rencontrer les personnes qui travaillent pour ETC Caraïbe qui est à l’origine de ce projet, ce qui m’a permis d’avoir une véritable aide au niveau de mon écriture, de part des résidences et le travail avec un dramaturge. Grâce à eux, j’ai pris confiance et mon travail en sort grandi. Le fait d’être primé par une association de la Caraïbe m’a aussi apporté une véritable réconciliation au niveau de mon histoire personnelle….
Le thème de l’exil est au cœur de votre théâtre. A-t-il une résonance avec votre parcours personnel ?
L’exil est un thème essentiel pour moi, c’est ce qui m’a amenée au théâtre ; la tension entre ce qu’est un être et ce à quoi il est confronté. Par rapport aux origines c’est une question délicate car ce qui fonde un être, la partie immatérielle voir irrationnelle de l’être peut pousser à la confusion. Je ne sais pas si le fait d’être de la Martinique d’origine et d’être née en métropole, si la question identitaire me pousse à aborder ces thèmes. Certainement, car c’est un élément qui constitue notre monde d’aujourd’hui, une perte de valeurs, tant au niveau de la famille qu’au niveau d’une société, et une identité qui se cherche à travers la multitude.
Vous dites être influencée par l’univers de Koltès et de Brook. Qu’est-ce qui vous attire chez ces deux hommes de théâtre ?
J’ai pris la décision de faire du théâtre en rencontrant l’écriture de Koltès sur une scène de sa pièce Le retour au désert :
« Quelle patrie ai-je moi ? Ma terre à moi où est-elle ? En Algérie je suis une étrangère et je rêve de la France. En France je suis encore plus étrangère et je rêve d’Alger. La patrie est-ce l’endroit où l’on n’est pas ? J’en ai marre de ne pas être à ma place, de ne pas savoir où est ma place mais les patries n’existent pas, nulle part, non. Marie, si tu pouvais mourir une seconde fois je souhaiterais ta mort. Chante tes cantiques, vautre-toi dans le ciel au dans l’enfer mais restes-y vautrée. Débarrasse-moi de toi. »
Ce fut ma révélation, un véritable coup de foudre. J’ai d’ailleurs mis en scène cette pièce huit ans plus tard. J’ai lu, relu toute l’œuvre de Koltès… Ce qui me fascine peut-être dans cette écriture, c’est le désir de l’autre, avec quelles armes toucher ce fascinant territoire qu’est l’autre. En tant qu’actrice, j’ai cherché la transmission du travail, de l’aventure de Peter Brook. C’est une recherche très profonde sur l’homme, très complexe ; comment grandir, se regarder, découvrir autre chose… Peter Brook a travaillé dans beaucoup de parties du monde, avec des personnes expérimentées de cultures diverses sur des textes allant du Mahabharata à Shakespeare. Je collabore avec Mamadou Dioume qui a travaillé une dizaine d’années avec lui. Ce travail me nourrit vraiment et je ne peux pas encore le formuler clairement car il demande du temps, les graines sont en train de germer…
Vous portez dans vos pièces une grande attention à la musicalité, au rythme de la parole. Pourriez-vous nous parler du rapport entre théâtre et poésie, parole et musique ?
Quand je travaille ou que je fais travailler des acteurs, je décrypte le texte d’abord comme de la musique, avant le sens des mots ; il faut jouer une partition musicale. La sonorité du verbe amène à redécouvrir notre langue comme un enfant qui apprend à parler ; il entend, répète d’abord la musique des mots. Pour moi, c’est une structure importante, ensuite le travail des intentions du sens… Dans Les Immortels, l’enfant soldat renonce à tuer parce que le personnage lui dit quelques mots d’un poème de Paul Eluard : « la terre est bleue comme une orange. Jamais une erreur les mots ne mentent pas ». Il en rit et par le rire et la poésie il le sauve. Je pense qu’il y a quelque chose de faux dans la situation de vrai. C’est peut-être un trop gros coup de théâtre et aussi peut-être que la poésie est la seule réponse à opposer aux tourments de l’âme humaine. Chez les poètes il y a de grands pressentiments, ce poème a été écrit avant les voyages dans l’espace avant la vision de la planète bleue. Le théâtre n’est pas la poésie, il a des règles de jeu, des contraintes qui lui sont propres ; introduire une musicalité dans la langue, travailler la limite entre théâtre et poésie me donne l’occasion de raconter une histoire qui se teinte d’irréel voire d’irrationnel un peu comme dans la vie.

novembre 2008.///Article N° : 9366

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