Fiche Personne
Musique Cinéma/TV Littérature / édition

Souleymane Diamanka

Chanteur/euse, Acteur/trice, Slameur/se
France, Sénégal

Français

La voix est grave, majestueuse. Elle répond à une autre voix, plus lointaine, mais c’est à toutes les paroles de ses ancêtres qu’elle fait écho. En déroulant ainsi sa généalogie, Souleymane Diamanka s’inscrit dans la riche tradition orale des Peuls, ce peuple de bergers qui a fait de la parole un art et couve le verbe comme son plus précieux trésor, ce peuple migrateur, habitant de nul part et originaire de partout (d’aucuns les appellent les gitans du Sahel) que la fortune et les vents ont disséminé dans toute l’Afrique de l’Ouest et au-delà, jusqu’en Occident. Pour les Diamanka, le destin a voulu que ça soit Bordeaux, la Clairière des Aubiers, un grand ensemble sorti de terre quelques années plus tôt aux lisières de la ville, une tour de Babel qui résonne de mille voix, un de ces quartiers qu’on dit défavorisé où la diversité culturelle n’est pas qu’une formule un peu creuse. En bas des blocs, on parle français, mais aussi algérien, portugais, vietnamien ou turc. A la maison, par contre, on ne s’exprime qu’en peul, pour que le riche patrimoine transmis par voie orale de génération en génération ne s’éteigne pas sur cette nouvelle terre d’accueil. Son père y veille personnellement. Il a enregistré d’innombrables cassettes d’entretiens à destination des plus jeunes (cette voix qu’on entend sur « l’Hiver peul », c’est la sienne) dans lesquelles il raconte son enfance au pays, l’organisation traditionnelle de la société et plus largement l’histoire du peuple peul à travers ses multiples contes, poèmes et proverbes.

En classe de CE2, Souleymane croise la route d’un instituteur qui plutôt que de faire apprendre par c?ur à ses élèves des textes qui bien souvent les ennuient au plus haut point, leur propose d’écrire leurs propres poèmes, avec pour seule ligne directrice cette phrase un brin mystérieuse qui va l’accompagner jusqu’à aujourd’hui : « La poésie c’est mettre des noeuds dans les phrases et obliger le lecteur ou l’auditeur à défaire ces n?uds. » De quoi lui inoculer définitivement le virus de l’écriture. Enfin? presque, puisqu’à cette époque il n’écrit rien justement, accumulant dans sa mémoire des mots par milliers. Suivant l’exemple de sa grande s?ur, il prend l’habitude de distraire ses camarades en leur racontant des histoires qu’il imagine au fur et à mesure du récit. Etonnamment, c’est par le biais de la danse qu’il entre dans le hip-hop. Le rap viendra plus tard, par accident, et ne sera jamais vécu comme un univers clôt, un carcan rigide auquel il faut absolument se conformer. Souleymane travaille d’ailleurs déjà avec des musiciens venus d’autres horizons qui lui ouvrent de nouveaux possibles. Ce n’est plus tout à fait du rap et pas encore du slam, plutôt un style hybride, à la croisée des chemins. En 1994, il pose son premier texte en studio, puis dans la foulée arrête ses études. Commence alors un long travail sur le verbe, ausculté, décortiqué, manipulé dans tous les sens, à l’envers, à l’endroit, pour mieux libérer sa substantifique moelle. Il s’impose toutes sortes d’exercices de style pour muscler sa prose, traque les similitudes entre peul et français, fait de la rhétorique à l’instinct, jouant sur les assonances ou cherchant les holorimes alors même qu’il ignore la définition de ces termes. Jamais à court de défis, il compose des alexandrins en peul et cherche à produire le plus long palindrome de la langue française. Seul l’intéresse une chose, développer sa singularité, cultiver une parole aussi riche et originale que celle de son père ou des griots de la tradition.

Comme antidote au doute qui pointe, il multiplie les allers-retours vers la capitale où il semble qu’on soit plus réceptif à la nouvelle orientation de son travail. Il finit par s’y installer, pour enfin donner corps à ses rêves. Il y retrouve de vieilles connaissances bordelaises, les Nubians, rencontrées quelques années plus tôt au sein des « Nouveaux Griots », une association visant à la promotion des cultures urbaines et métissées – déjà. A l’époque, les deux s?urs l’avaient souvent accompagné sur scène. En retour, il leur avait écrit le texte d’un de leurs morceaux-phares, « Princesse Nubienne ». Quelques années plus tard, il remet ça avec le sublime « Que Le Mot Soit Perle » que les Nubians enregistreront deux fois, d’abord seules, puis avec Henri Salvador après que celui-ci ait craqué sur le texte. En 1999, elles l’invitent à participer à « Echos », un spectacle rassemblant de nombreux poètes américains et français. Première rencontre avec John Banzaï, le temps pour chacun de balancer deux trois textes et l’évidence s’impose : Souleymane s’est trouvé un jumeau impossible, un autre versificateur notoire qui comme lui n’aime rien tant que se mirer dans le miroir de la langue de ses ancêtres (polonais) pour mieux extraire du français des perles insoupçonnées. Ensemble, ils multiplient les expériences croisées, défrichent de nouveaux champs lexicaux et montent avec DJ Wamba un spectacle intitulé « Le Meilleur Ami Des Mots ». Ils écument les cafés et les scènes slam de Paris et de sa banlieue, participent au spectacle « Slam Opéra » ainsi qu’aux albums des Nubians, Bams et de Puzzle et ils publient un livre écrit à quatre mains, intitulé « J’écris En Français Dans Une Langue Etrangère ».

Parallèlement, Souleymane commence à travailler avec Woodini, un concepteur musical rencontré lors d’un concert. Il passe régulièrement chez lui et pose un texte a capella que Wood a ensuite carte blanche pour habiller à sa guise. Ses musiques, comme celles de son homologue DJ Wamba, sont illustratives sans être jamais neutres. Volontairement dépouillées, elles sont faites pour mettre en valeur les mots de Souleymane et non leurs voler la vedette, pour qu’une fois sortis de sa bouche ceux-ci deviennent des « papillons en papier » qui s’envolent de la feuille et aillent meubler l’imaginaire de l’auditeur

Emmanuelle Villard réalise le film documentaire LES ENFANTS D’HAMPATE BA (France, 2010) autour de l’héritage peul de Souleymane Diamanka qui sert de film rouge avec ses parents.
Il joue le rôle d’Hamadou dans la comédie CASE DEPART (France, 2011) réalisée par Thomas Ngijol, Fabrice Eboué et Lionel Steketee, autour de l’esclavage atlantique.
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