Séries TV #1 : Qu’est ce qu’on regarde à Abidjan ?

Entretien de Claire Diao avec Yacouba Sangaré

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En Afrique, la télévision a depuis longtemps supplanté le cinéma. Clips musicaux, journaux d’infos et séries TV sont autant d’événements qui réunissent les familles autour du petit écran. Qu’en est-il actuellement en Côte d’Ivoire? Quelle série est à la mode ? Quelle influence joue-t-elle sur la population ? Valorise-t-on les productions locales ou se nourrit-on essentiellement de programmes étrangers ? Cette semaine, Yacouba Sangaré, rédacteur en chef adjoint et responsable du service Culture du quotidien Le Patriote, membre de la Fédération africaine des critiques de cinéma (FACC), décrypte pour nous son petit écran.

Quelle est, à ce  jour, la série TV locale qui a rencontré le plus grand succès en Côte d’Ivoire ?
Je n’identifie pas une série, mais plutôt deux. La première est Comment ça va ?, une série humoristique et satirique écrite par Léonard Groguhet et produite par la télévision ivoirienne. C’est la pionnière des séries TV locales, qui a révélé de nombreux grands comédiens et comédiennes ivoiriens, dont Akissi Delta, Victor Cousin, Félix Lago dit Gazékagnon – aujourd’hui malheureusement décédés – et Ouattara Eugénie, plus connue sous le nom de son personnage Djuédjuéssi, pour n’en citer que quelques-uns. Comment ça va ?, a débuté entre 1976 et 1978, pour s’achever vers la fin de la décennie 1980, donc au début des années 1990. Diffusée chaque samedi après le journal télévisé de 20h, la série a connu un succès éclatant aussi bien auprès du grand public que des autorités du pays.

La force de Comment ça va ?, c’est qu’elle ne donnait pas dans le burlesque en faisant rire pour rire. Elle dénonçait, sur fond d’humour, les tares de la société : la corruption, le népotisme et la gabegie dans l’administration ivoirienne, le grand banditisme. La série évoquait également les problèmes de couple, comme par exemple cette propension à avoir un  » second bureau « , entendez une relation extra-conjugale. Et à la fin, il y avait une leçon à tirer, et Léonard Groguhet, parfois dans un épilogue, s’adressait aux téléspectateurs en les exhortant à abandonner les pratiques décriées. Quand Comment ça va ? passait, je m’en souviens, même si j’étais beaucoup plus jeune, c’est comme si la vie s’arrêtait à Abidjan, les rues étaient vides et dans les foyers, toute la famille était réunie devant le téléviseur. La clef de son succès, c’était le jeu des acteurs, sa touche satirique et sa fonction éducative.À l’époque, la Côte d’Ivoire était sous le régime du parti unique, et oser dénoncer ce qui ne va pas était vraiment un acte audacieux.

La seconde série est  Ma Famille , écrite, produite et réalisée par moments par Akissi Delta, la  » fille  » de Léonard Groguhet, qui l’a formée. À la différence de Comment ça va ?, Ma Famille opte littéralement pour l’humour, mais sa trame se concentre essentiellement sur les soubresauts familiaux et les intrigues dans les couples. La mayonnaise a vite pris, parce que le contexte s’y prêtait. La Côte d’Ivoire vivait une période de tension politique, depuis la mort d’Houphouët-Boigny le 7 décembre 1993 et les Ivoiriens éprouvaient le besoin de s’évader, de s’échapper de cette ambiance morose. Nous étions en 2002, le pays avait connu deux ans plutôt le régime militaire, et subissait de fréquentes tentatives de putsch. Ensuite, le talent des comédiens, Michel Bohiri, Michel Gohou, Akissi Delta, Clémentine Papouet, Amoin ou encore Dosso Tiékoumba a fait le reste. Si au plan national, l’impact de Comment ça va ? a été plus important que celui de Ma Famille, en revanche, je pense que le succès de Ma Famille a été phénoménal, d’autant qu’il a franchi les frontières de la Côte d’Ivoire. Jamais une série TV ivoirienne n’a été aussi populaire hors de la Côte d’Ivoire.
Quelle est, à ce jour, la série étrangère qui mobilise le plus de téléspectateurs ? 
Au niveau des séries étrangères, deux d’entre elles ont connu en Côte d’Ivoire des succès impressionnants. D’abord Marimar, une série mexicaine avec Thalia dans le rôle de Marimar qui a crevé l’audimat au milieu des années 1990 (de 1997 à 1999, si mes souvenirs sont exacts).

Puis, Vahidehi, une série indienne. Dans les deux productions, l’héroïne souffre au début le martyr avant de triompher de ses ennemis, le tout sur fond d’intrigues amoureuses, de jalousie, coups bas, méchanceté etc.

Ces séries cartonnent tout simplement parce que les téléspectatrices (ce sont surtout les femmes qui en raffolent) s’y retrouvent. Les intrigues amoureuses, elles les vivent tout le temps. Une belle-mère acariâtre qui ne supporte pas sa bru, il y en a dans de nombreux foyers en Côte d’Ivoire. Vu le succès phénoménal de Vahidehi (les tenues, et les coiffures qu’arboraient l’actrice étaient un moment à la mode à Abidjan), un producteur audiovisuel ivoirien a même organisé la visite de la vedette à Abidjan. Elle a eu droit à un accueil triomphal. La série qui fait un tabac en ce moment, c’est Saloni, une production made in India.
Je ne pense pas qu’il y ait un lien direct en tant que tel entre le Mexique, l’Inde et la Côte d’Ivoire, au niveau de la distribution ou des diffuseurs TV. En revanche,ce que je sais, c’est que les séries mexicaines et indiennes sont achetées par des sociétés privées comme Côte Ouest, qui est détenue par des Israéliens et Convergences, qui appartient à un homme politique – maire d’Attcoubé, commune populeuse d’Abidjan – doublé d’un businessman ivoirien, Paulin Danho. Ce sont essentiellement ces deux sociétés de distribution qui achètent ces séries et les revendent à la télévision ivoirienne.
De quels pays viennent la majorité des séries TV et pourquoi?
Au début, c’étaient les séries brésiliennes qui cartonnaient, puis les séries mexicaines. Aujourd’hui, ce sont les séries indiennes qui font un tabac. La raison ? Leur trame rappelle le vécu quotidien des téléspectateurs. Sinon, ces derniers ne cherchent pas à s’approprier la culture indienne, loin de là. Ce qui les intéresse avant tout, c’est les intrigues des séries. C’est tout.

Quelles thématiques plaisent particulièrement aux téléspectateurs ?
Les intrigues amoureuses. Deux amies qui se disputent le même mec, un homme qui convoite la petite amie de son meilleur ami. Une belle-mère qui ne supporte pas la compagne de son fils, manigance pour les séparer, les conflits d’héritage… Voilà en substance quelques thématiques qui plaisent aux téléspectateurs.
Qui consomme essentiellement ces séries TV ?
Les femmes. Parce qu’elles adorent rêver. Pour être plus sérieux, elles sont les premières victimes des intrigues amoureuses. Dans ces séries, chaque femme retrouve au moins une situation qu’elle a vécue. Et ça crée forcement un rapprochement.
Les chaînes TV favorisent-elles la production locale de séries TV ? 
Nous n’avons que deux chaînes de télé locales, RTI1 et RTI2. Par le passé, elles ne favorisaient pas la production de séries TV locales, parce qu’elles exigeaient un droit de diffusion. En clair, il fallait mettre la main à la poche pour que sa série soit diffusée, sans compter que le producteur devait partager les recettes de la publicité attirée éventuellement par sa série avec la RTI.

Il faut l’avouer, depuis deux ans, les choses ont évolué. La RTI ouvre davantage ses antennes aux séries TV locales. Ainsi, plusieurs séries comme par exemple, Nafi, Histoire d’une vie, Class A, Sah SandraDr Boris , Teenager, Sicobois et bien d’autres ont été régulièrement diffusées par l’une des deux chaînes nationales. Et les responsables de la télévision ivoirienne participent aux marchés internationaux de la télévision, comme le MIPTV à Cannes, ou le Discop. D’ailleurs en novembre, ils seront à Johannesburg, pour le prochain Discop Africa(1). Ils en profitent pour y faire leur marché, mais en général, y achètent des productions américaines.
Avec l’arrivée du câble et du satellite, observez-vous un changement de comportement de la part des téléspectateurs ? 
Oui bien sûr. Un exemple précis : Nollywood TV. Sans publicité aucune, c’est l’une des chaînes les plus suivies sur le satellite. Cela dit, les téléspectateurs, grâce à un bouquet numérique, suivent régulièrement les séries sur les chaînes africaines du continent.
Qu’en est-il d’Internet ? Assistez-vous à l’émergence de séries Tv diffusées sur YouTube ou d’autres plateformes vidéo ?
Non, pas une émergence en tant que tel, mais plutôt une propension à suivre sur YouTube, Dailymotion et toutes ces plateformes vidéo, les séries indiennes qui sont diffusées à la télé. Emportés par cette envie de connaître la suite de l’histoire, après chaque diffusion à la télé, des téléspectateurs se ruent sur internet pour continuer à suivre leurs aventures des héros de leurs séries préférées.
Quelle serait, selon vous, les ingrédients essentiels pour qu’une série marche en Côté d’Ivoire ?
Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. S’inspirer du vécu quotidien des Ivoiriens en ne copiant pas aveuglement Ma Famille, l’adapter au contexte du moment, disposer d’un bon casting (comédiens talentueux et connus). Le reste ne sera plus qu’une question de persévérance et de temps.

Propos recueillis par Claire Diao

(1) Lancé en 2009, DISCOP AFRICA est un salon de distribution de programmes et de coproduction, qui cible les opérateurs de télévision payante et publique de 47 pays d’Afrique subsaharienne.  ///Article N° : 12420

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Les images de l'article
Akissi Delta © DR
La série indienne Vahidehi © DR
La télénovela MariMar © DR
Yacouba Sangaré © DR





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