Stanley Péan (Haïti)

Écrivain
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Stanley Péan est un écrivain à la dualité culturelle sans nostalgie, mais l’inscription dans chacune des deux communautés ne va pas toute seule…

 » J’ai été élevé dans une ville à 700 km de Montréal. Nous étions pratiquement la seule famille noire du coin. C’est à l’adolescence que j’ai mesuré la différence avec la culture dans laquelle je vivais à la maison où Haïti était le pays de fantasmes que l’on transformait selon l’état de sa mélancolie ; c’était un regard nostalgique et ému vers l’ailleurs. Et dès que je sortais de la maison, j’étais plongé dans la réalité parfaitement québécoise que je partageais.
Je suis retourné en Haïti l’an passé, pour la première fois à l’âge adulte dans le cadre du tournage d’un film. Pour moi, c’était l’étrangeté totale. L’univers m’y était familier, parce que j’ai beaucoup lu et qu’il m’y reste encore de la famille, mais ce même univers m’était complètement inconnu. J’étais perçu comme une enfant prodigue ou comme un intrus, c’était selon. À Montréal, je me sens profondément Haïtien. Pourtant, aucune de mes deux cultures ne m’appartiens complètement. Je n’ai tout simplement pas de racines de plus d’une génération au Québec. C’est tout bête, mais j’ai constaté qu’il y a des plats traditionnels que je n’ai jamais mangé parce que ma mère ne les cuisinait pas !
L’expression de ma dualité culturelle s’est surtout manifestée à l’adolescence parce que c’est l’époque où l’on cherche à déterminer qui on est. Enfin, moi ça me tracassait. Certains de mes frères ne se sont jamais posés la question. Peut-être est-ce l’écriture qui m’a obligé à traduire sur papier des dialectiques auxquelles il fallait bien que je réponde.
Plutôt que de la vivre tragiquement, je crois que la dualité culturelle est une véritable force, un plus. La culture nous définit comme groupe, et à travers elle, nous nous définissons comme individu face aux autres individus. J’ai été obligé de me définir moi-même en faisant la part des choses entre ce qui m’appartenait et ce que j’avais emprunté à la culture environnante. Les Brésiliens appellent cela de l’anthropophagie culturelle.
D’ailleurs, pour une certaine partie de la communauté haïtienne de Montréal, je suis un traître, j’ai joué le jeu des Blancs. Ils se demandent qui j’ai trahi pour arriver au succès ; ils estiment que j’ai fait trop de compromis. Mais ils n’ont pas lu mes livres ! J’ai tout autant refusé de faire le jeu des média québécois qui ont tendance à m’appeler pour faire le nègre de service. Dernièrement, on m’a contacté pour parler de Mohamed Ali ; personne ne m’a demandé si j’aimais la boxe ou si je connaissais le vie du boxeur. J’ai refusé d’être présent et de justifier ma présence uniquement parce que je suis Noir. Ces comportements m’agacent profondément. Quand j’ai écrit mon premier livre, je croyais que pour l’avancement du livre, il fallait honorer tous les médias de sa présence. Mais vraiment, aller se déculotter en public ne m’intéresse absolument pas ; aller à la télé n’apporte rien de plus pour la littérature. Et je m’en passe.
Mon travail est relativement facile d’accès – comme le disent les critiques – par rapport à la génération précédente d’auteurs parce que je ne véhicule pas de nostalgie : je n’ai que la nostalgie des autres, c’est moins lourd à porter. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il n’y aucun nouvel auteur qui émerge actuellement de la communauté haïtienne ; aujourd’hui, les jeunes Haïtiens préfèrent les mots des chansons de hip hop pour s’exprimer, et ils le font avec beaucoup de talent. De toutes façons, la littérature n’est pas vraiment mise en avant en Amérique du Nord ! « 

Stanley Péan. Né en Haïti en 1966. Élevé à Joncquières. En cours de doctorat de littérature à l’Université Laval de Québec. Roman pour adultes : Le Tumulte de mon sang, 1991, Zombi Blues, 1996. Romans jeunesse : L’Emprise de la nuit, 1993, La Mémoire ensanglantée, 1993, L’Appel des loups, 1997 (Grand prix des Bibliothèques publiques du Saguenay Lac-St-Jean), Quand la bête est humaine 1997. Vient de sortir : Le Temps s’enfuit 1999. Lauréat de la Médaille de la culture française en 1995 (Association de la Renaissance française).///Article N° : 726

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