Des pionnier.e.s de Cases Rebelles au tout récent Le Tchip, les Afro(1) s’emparent du web pour produire du contenu audio, et notamment des podcasts. Afriscope a tenté de décrypter cette tendance en allant à la rencontre de créateur.ice.s d’émissions nées entre 2016 et 2017, qui commencent à déferler dans les oreilles des auditeur-ice.s.
Piment, Le Tchip, Mounwoke, … Les années 2016-2017 ont vu la naissance de bon nombre de podcasts – ou identifiés comme tels – afro, commentés et repris sur les réseaux sociaux. Mais au fait, c’est quoi exactement ? Un micro, des voix et des rendez-vous sur la toile ou dans son smartphone ? Un mot à la mode pour parler d’une émission radio pensée pour Internet, comme le webdoc semblait être le new documentaire du début des années 2010 ? Le premier podcast serait apparu aux états-Unis en 2003, en France en 2005. Et il s’impose peu à peu comme un véritable modèle, notamment pour la presse. Façon storytelling, un média en ligne comme Les Jours, créé par des anciens du quotidien Libération s’est inspiré de l’aspect sériel des podcasts pour créer sa plateforme et publier ses articles écrits, regroupés sous des thématiques qu’ils déclinent en épisodes.
Plus qu’un format, donnant l’occasion a(ux) (l’)émetteur.ice.s de s’adresser à des auditeur.ice.s de manière indépendante, le podcasting permet de diffuser des fichiers sonores, ou vidéo. L’auditeur. rice peut décider de les télécharger et de les recevoir directement via des agrégateurs de flux.
Prendre la parole
Dès le début des années 2010, les podcasteur.ice.s afro y ont vu un moyen de mobiliser et de prendre la parole. Clarisse Libene, entrepreneure dans le monde de la beauté et de la coiffure, commence à faire du podcast en 2014. Elle y voit « le meilleur compromis entre les vidéos et le blog » pour s’adresser à sa communauté, devant laquelle elle donne des conférences et organise des ateliers. Les podcasts « [lui][ont]perm[is]de répondre à toutes les questions qu’[elle]reçoit très souvent »(2). La coach beauté propose des conseils pour soigner sa chevelure afro ou pour monter son business. Un peu auparavant, en 2013, les deux fondateurs du média digital martiniquais Le Rak réalisent le premier épisode du vidéocast – podcast en images – Les Carnets de Joey ; ce dernier apparaît à l’écran pour parler musique et philosophie avec truculence. Ils hébergent également le premier épisode, sur « les cheveux crépus en héritage », du podcast Mounwoke, porté par Célia Potiron. Dès 2010, le collectif militant d’Afrodescendant. e.s, Cases Rebelles, propose une web émission radiophonique mensuelle, avec de nombreux entretiens de personnalités noires qui font l’actualité historique, sociale, politique, en français et certaines en créole. Et sur leur mixcloud, le collectif constitue également un fil de séquences musicales, consacrées à l’Afro Rock, d’autres au Funk, aux musiques gnawa, etc. émission radio et podcast « natif » Notons que la musique est à l’origine du mot pod-cast. Il vient de la contraction de i-Pod, l’appareil portable créé par Apple qui permettait d’écouter des fichiers audio et de broadcast (diffusion en anglais). « Plus besoin d’avoir toutes les applis des émissions qu’on voulait suivre, elles sont réunies toutes au même endroit », souligne Mak Paro, l’enthousiaste animateur de l’émission Street Diamond. Pas étonnant que plusieurs initiateurs de podcasts en France aient la fibre musicale. Mak est également rappeur et son émission a une base musicale avec « un côté urbain, très afro-caribéen, reggae. On a reçu bon nombre de ses personnalités comme MC Janik ». Binetou Sylla, qui a donné naissance à Piment en juin dernier, est à la tête du label Syllart de musiques africaines et afro latines. Le nom de l’émission, trouvée avec son équipe de chroniqueur.se.s composée d’Africain.e.s et d’Antillais.e.s entre 25 et 30 ans, interpelle. « Le piment, est commun aux diasporas africaines et au continent. Comme la cuisine, notre émission c’est du partage. Elle est relevée aussi : on parle entre nous, pour nous, sans attendre de validation ! » Pour elles et eux, par elles et eux. Elle mûrit l’idée depuis deux ans.
« Je poste beaucoup de choses sur mon Facebook, il y a pas mal d’interactions et de débats, et je me suis dit qu’il fallait que ça sorte du virtuel ». C’est suite à un DJ set pour Rinse3, qu’on lui laisse la porte ouverte pour y créer une émission. « Je voulais faire quelque chose qui mixe tout ce que notre génération est. Musique, actu, une sorte de caisse de résonance de nous-même, tout simplement. »
Piment est régulièrement désigné comme étant un podcast, – ce que sa cheffe de troupe réfute. L’émission, avant d’être écoutable sur le net, est diffusée en live sur Rinse France. L’émission Street Diamond est également hébergée par la radio RGB depuis treize ans. « Nous développons le podcast depuis 2016 ».
Alors que d’autres sont bel et bien des podcasts dits « natifs », sans pré-diffusion sur les ondes donc. à l’instar d’Exhale, émanation audio d’Atoubaa, média afro et féminin fondé par Rhoda Tchokokam en octobre 2016, membre de l’équipe Piment. Ou encore Le Tchip, relié à la plateforme Afrostream – créée par Tonjé Bakang – jusqu’en août dernier. Initié par Mélanie, François, tous deux journalistes de formation et Kévi, fondateur de l’expérience touristique innovante et afrocentrée Le Paris Noir, Le Tchip s’attache à parler de pop culture toutes les deux semaines. Le trio s’est lancé dans le podcast par amour de la radio et par envie de s’exprimer. Leurs influences sont multiples. Kévi cite des podcasts français créés par des amis comme Comics Outcast de radio Kawa, ou encore américains à l’instar de Comedy Bang Bang ou For Color Nerds. « Je sortais d’école de journalisme, j’aimais l’esprit de la radio libre, j’avais envie de faire du talkshow. J’écoutais des podcasts de manière très parcellaire, comme Guys We F*****, une version 2017, radio, de Sex and The City, Combat Jack Show et d’autres podcasts hip-hop, musique à laquelle je m’intéresse particulièrement. »
Le Tchip fait sa première sur Afrostream – montée et enregistrée chez Kévi, avec un verre de rhum – le 19 janvier 2017, juste après les Golden Globes, la cérémonie de remise de prix pour la télévision et le cinéma américains. « On nous reproche beaucoup de se tourner vers ce que font les Anglais et les Américains, commente Mélanie. C’est difficile de parler de pop culture noire en France. Il s’y passe peu de choses et on finit toujours dans des
trucs un peu glauques(4) », souligne-t-elle avant d’ajouter : « En même temps, la communauté noire – mais pas que – est tellement invisibilisée par les médias de masse en France, que cela me tenait à coeur que le podcast s’adresse à elle. Et je me suis dit qu’avec un média » black owned « , ce serait possible. »
Kévi et François ont travaillé sur un épisode 0. Proposer l’émission à des médias n’a pas été évident. « On te fait bien sentir que tu n’es pas du sérail », note Kévi, qui n’est pas journaliste de formation.
« On se doutait, venant de l’extérieur, qu’on ne nous accorderait pas de temps d’antenne comme ça, mais on l’a tenté quand même », pointe François. Mélanie souligne un autre aspect qui a pu poser problème pour les radios « mainstream » à l’écoute de leur pilote nommé All Black everything : les thématiques en filigrane telle que la masculinité noire. « On le dit peu mais s’il y a des médias qui ne sont pas prêts à entendre la parole qu’on voulait porter. Certains comme Slate, Arte Radio, Binge étaient intéressés », indiquent toutefois François et Kévi, pour qui la multiplication des voix est importante, dans tous les formats médias possibles. C’est une question cruciale et un enjeu médiatique essentiel pour les Noir.e.s en France. Mélanie se souvient d’« une femme [qui]nous a écrit pour nous remercier ; grâce à l’émission, elle a appris que le racisme existait. Plein de personnes blanches nous ont dit qu’ils apprenaient des choses. Sans être sociologue : on parle de notre expérience. On tient à être pédago, ce qui nous vaut des critiques, notamment chez certains afro, qui ne nous trouvent pas assez précis parfois ».
L’équipe se félicite que d’autres initiatives se montent. Quant à elle, elle revient, en cette rentrée d’automne, sur Arte Radio avec une refonte de leurs deux podcasts Le Tchip+ Noir is The New Black. « Le fait que sur cette plateforme, tous les podcasts soient dans un même flux est important. L’auditeur.ice navigue et peut cliquer sur l’émission ou le podcast qu’iel veut : iel a donc plus de chance de nous découvrir ». Pour Le Tchip, comme pour Piment ou Street Diamond, la collégialité est de mise. « Je me suis dit tout de suite que je voulais vraiment une team autour de moi : Celia, Rhoda, Marina et Chris… Je les connaissais tous personnellement. Le choix a été donc très subjectif, explique Binetou du Piment. C’est ça aussi vraiment, le délire des palabres, des discussions pimentées entre potes, où on s’exprime, où on peut se couper la parole, où chacun a un point de vue affirmé qu’on peut partager ou qu’on peut confronter. » Mak Paro souligne que les membres de Street Diamond ont tous des profils différents. « Nams est journaliste plurimédia, Laurie Pézeron a créé le club de lecture afro Read !, Tallojah des émissions comme We Are reggae sur Tv Antilles, Playmo est dans le milieu de la danse et a d’ailleurs formé les Twins(5)... » Avoir à la table une diversité de profils permet aux chroniqueur. euse.s d’être « représentatif.ve.s et légitimes pour parler des questions d’identités de genre, de sexe, de colorisme, bref tout ce qui traverse nos communautés », précise Binetou.
Contexte économique fragile, voire inexistant
Se réapproprier la parole mais pour la faire entendre à qui ? Pas à leurs parents, nous disent François et Mélanie. Les deux ressentent un gap générationnel avec leurs aîné.e.s. « Mon père trouve le podcast nul : pour lui, je suis un Black Panther, et ce sont des idées de jeunesse, détaille François. On s’adresse vraiment aux millenials(6) ». Les sujets : Beyoncé, Imany aux Victoires de la Musique en soutien à Théo, victime de violences policières en février dernier… Leur audience ? « CSP+, cultivé et urbain », pour François. Kévi affirme penser avant tout à ses copains, qu’ils soient en Martinique, ou en France hexagonale. Si les acteur.ice.s de ces podcasts veulent se réapproprier la parole, iels se défendent de parler « au nom de ». « Nous n’avons pas cette prétention de dire qu’on représente qui que ce soit. Par contre, nous sommes tous des afro-descendants / africains / antillais et afro-descendants / africains / antillais et surtout nous avons tous des expériences de noir.e.s dans un environnement à la fois noir ET blanc. Notre seule prétention,c’est de discuter ensemble de sujets qui nous intéressent, nous interpellent et surtout de le faire entre nous afros / noirs. Donc la bienveillance et le côté safe-space sont hyper importants d’abord vis-à-vis de nous et de notre communauté», signale Binetou pour qui Piment « n’est pas dans un registre pédagogique.On ne parle pas pour éduquer : on parle pour s’exprimer ». Il reste difficile de savoir qui écoute ces jeunes émissions– Le Tchip a un peu plus d’un semestre et mille écoutes environ par épisodes -au nombre de douze pour le moment, Piment quatre mois d’existence et entre 500 et 900 écoutes selon les émissions – trois à la fin août.« Dès le début, on a considéré le podcast comme une activité complémentaire et semi-pro, même si on sait très bien quel’économie du podcast est inexistante »,indique le trio du Tchip. Le scénario idéal pour le futur : « pouvoir à terme créer une plateforme multisupports – blog, vidéo,podcast – FU BU et contribuer à faire émerger d’autres voix », rêve François à haute voix. Binetou Sylla le martèle : sa préoccupation n’est pas économique « le but est de faire exister cette initiative afro ». Mak Paro veut aller plus loin et espère marcher sur les traces d’un des rares Français qui en vit, Patrick Beja, spécialisé dans les podcasts tech et désormais installé en Finlande.
Le Piment
Date de lancement : juin 2017
Equipe : Binetou, Rhoda, Célia, Chris, Marina
Quand et où ? Le samedi de 14h à 16h
sur Rinse.fr
Street Diamond
Date de lancement : 2004 de l’émission, 2016 du podcast
Equipe : Mak Paro, Kaly, Tallojah, Playmo, Laurie Pézeron, Nams, Mlle AC, Maïty Freeman, Cédric Kramé, Manu Dorlis, Florence Naprix, Ludovic Bade, Gheisha, Ninie Swing, Mathieu Party
Quand et où ? Tous les samedis soirs
de 19h à 22h
Cases Rebelles
Date de lancement : mai 2010
Equipe : collectif
Quand et où ? Mensuelle pendant la période scolaire
sur le site cases-rebelles.org
Le Tchip
Date de lancement : janvier 2017
Equipe : Kévi, Mélanie, François
Quand et où ? Toutes les deux semaines sur Afrostream, mensuellement sur Arte radio jusqu’en août 2017. Uniquement sur Arte radio dès septembre.
Exhale
Date de lancement : mars 2017
Equipe : Marty et Adama
Quand et où ? Sur Atoubaa.com, sur le Soundcloud dédié. Irrégulièrement
1. Terme faisant référence aux Afrofran çais .es , afrodescendant .e.s, noir .e.s de France .
2. clarisselibene .com
3. Lancée en 1994 à Londres , Rinse est une radio underground spécialisée dans les sons électro .
4. Le blackface est une constante en France (cf . la tr ès récente « affaire » Shera Keriens ki) dont il est difficile de parler sans que cela tombe dans le sordide . 5. Au moment où nous écrivons , les deu x jumeau x, croisés notamment au x côtés de Beyoncé , viennent de remporter le World of Dance sur NBC.
6. La génération Y, soit les personnes nées entre 1980 et l’an 2000.
Vu d’ailleurs :
L’Heure du punch à Montréal
La folie podcast est en route et la contagion est francophone. Focus sur L’heure du punch fondé par Rose Napoléon au Canada – qui connaît Le Tchip (!) « À Montréal, je trouvais qu’il manquait d’émission sur la communauté noire, le genre qu’on écoute et où on se dit » Wow, c’est professionnel et cool « . Je voulais surtout contribuer à montrer une image positive de notre communauté. Début 2016, j’ai commencé à penser à une idée d’entreprise. Mais je n’avais pas envie de créer un produit dans l’immédiat. J’ai toujours voulu avoir un blog, mais je me disais que les gens n’auraient pas le temps de lire tout ce que j’avais à dire. L’idée d’avoir un » blog-radio » est née en janvier 2017. Le titre, L’Heure du punch, fait référence à l’apéritif caribéen par excellence. Tou.te.s les invité.e.s, à leur façon, expriment leur fierté d’être noir.e et comment iels permettent de faire rayonner la communauté grâce à leur leadership. Nous avons reçu par exemple la danseuse Lakesshia Pierre Colon, ou encore Brian Dushime, de l’association LGBTQI Arc-en-ciel d’Afrique. Au Canada, la plupart des podcasts sont autogérés, comme le mien. L’information se propage grâce à Facebook, Instagram et Snapchat.
Au niveau financier, si je prends l’exemple de Inspirational Podcast, il a une visibilité énorme ainsi que des investisseurs importants. Et ce, parce qu’ils ont démarré l’entreprise avec un gros événement et des invités de renom comme Gary Vanerchuck. Et l’émission est en anglais. La mienne est en français : il y a moins d’écoutes. Mais de plus en plus de médias québécois utilisent le format podcast pour aller chercher plus d’auditeurs en présentant des segments sur l’entrepreunariat par exemple. Et ces podcasts semblent avoir une meilleure stabilité financière. Leur visibilité attire des sponsors. Ce n’est pas comparable avec les podcasts aux États-Unis, qu’ici les gens commencent seulement à découvrir. Mais avec beaucoup d’effort et avec l’aide de la » digitalisation » je donne 3-4 ans aux podcasts pour exploser au Canada. »