Présence d’Abderrahmane Bouguermouh

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C’est notre ami de toujours, notre frère Abderrahmane qui, à son tour, nous quitte en silence. Il s’est éteint sans avertir, foudroyé par la maladie qui le rongeait depuis plusieurs années.

Figure incontournable du cinéma national, être d’exception de la scène culturelle algérienne, chantre de l’amazighité, citoyen de cœur et d’esprit d’une Algérie qui n’a pas su profiter pleinement des talents de ses enfants, Abderrahmane, est partie retrouver Azzedine Meddour, Rachid Merabtine, Youcef Sahraoui, Ali Seria, Abdou. B, Cherif Kheddam… et tant d’autres qui ont tiré leur révérence ces dernières années. Dommage que les notices des artistes au moment de leur décès opèrent des raccourcis peu compréhensibles et se limitent à leur parcours synoptique d’une manière superficielle.
Difficile de parler au passé du défunt, qui fut un des premiers, le premier à contribuer concrètement à l’émergence d’une culture iconique et sonore d’expression exclusivement amazighe. Grâce à un parcours exemplaire de travail et de création, il a laissé des petits trésors : Comme une âme, 1965, d’après Malek Haddad ; La Grive, 1967 ; Les Oiseaux de l’été, 1978 ; Kahla oua Beïda, 1980 ; Cri de pierre, 1987 et enfin, La colline oubliée, 1989, une contribution majeure, qui a vu le jour, après une décennie d’efforts et de sacrifices et qui pour la première fois a réussi à faire sortir la langue amazighe de sa marginalité à l’écran.Le film au titre sans équivoque, adapté de l’œuvre fondamentale de Mouloud Mammeri qui a inspiré toute une génération, est une œuvre courageuse riche de connaissances et d’idées, une bouffée d’air frais. Mouloud Mammeri, le pionnier de la revendication amazighe, sera son cicérone. Son ouvrage écrit en 1952, lui offrira l’occasion de conduire son projet, durant dix longues années, jusqu’à son terme. La réussite fut magistrale, malgré tous les aléas et le financement public chaotique. La superbe œuvre nourricière du grand écrivain fut magnifiée par les images de Rachid Merabtine, l’interprétation de Djamila Amzal, la musique de Cherif Kheddam et les chants de Taos Amrouche, magistralement réunis par le maître d’œuvre Abderrahmane Bouguermouh. Tawrirt yetwattun, séduit et fascine. Non seulement, le cinéaste lui a rendu toute sa splendeur mais en plus il a réussi à rendre sa beauté encore plus profonde.
Parler d’Abderrahmane revient à évoquer l’homme au charisme exceptionnel qui, dans un climat d’hostilité manifeste a su se distinguer, s’affirmer et s’imposer. Dans un pays où créer relevait du sacerdoce, Abderrahmane s’est entièrement engagé dans la cinéphilie, pour défendre ses principes, développer ses pensées et manifester passionnément son amazighité. « Je savais que je serai toujours un apatride dans mon propre pays tant que le berbère n’aura pas droit de cité au cinéma », disait-il. Il savait écouter les jeunes qui l’entouraient d’une attention et d’une affection particulière à chacune de ses apparitions. À ces derniers, il a appris à être fiers de leur pays, de leur patrimoine, de leur culture et de leur langue, cette langue maternelle qu’ils ont finie par apprivoiser. Ces jeunes savent aujourd’hui qu’un film est un monde, que chaque séquence est une ville, que chaque plan est une rue et que chaque image est une maison. Ces jeunes, dont il a nourri l’imaginaire et auxquels il a remis les clefs des arcanes du 7e art saluent l’artiste qui leur a tracé la route. Au bout de l’effort, la satisfaction du travail accompli remplit de joie les cœurs.
Contre vents et marées, et jusqu’à son dernier souffle, Abderrahmane va s’investir corps et âme pour réhabiliter et promouvoir la culture amazighe, malgré les difficultés d’escalade inhérente à toutes les collines oubliées du Djurdjura.Faut dire que même consacré, le fils de l’instituteur d’Igher Amokrane, n’a pas pour autant eu la tâche facile. La recherche de la gloire n’étant pas sa vertu cardinale, au lieu de s’installer dans le confort, il poursuivra le combat lequel l’a mené à l’humilité. Et lorsque les chemins épineux de la création filmique sont devenus à nouveau impraticables, il remplacera la caméra pour le stylo. Anza, terminé en 1996, est une autre gageure. Raconter cent ans de Kabylie en cinq cents pages, il faut oser le faire ! Espérons que cet ultime ouvrage perpétuera ta mémoire.
Il aurait certes, bien voulu reprendre sa caméra et donner vie à de nouvelles créations filmiques. Abderrahmane a toujours tenu à être présent à chaque édition du festival du film amazigh, cette heureuse initiative initiée par son ami de toujours, Si El Hachemi Assad, qui lui consacrera un hommage particulier à l’occasion de la 13e édition, prévue en mars prochain. N’oublions pas, « son ami, son double », Ali Mouzaoui qui a eu l’intelligence de fixer par l’image et par le son, les derniers souvenirs, en lui consacrant un documentaire qui sera bientôt sur les écrans.
Adieu Abderrahmane ! Tu avais tant de choses à dire, mais la maladie implacable en a décidé autrement. Épuisé et las, et malgré la faiblesse qui te handicapait, ta dernière prestation face au public qui t’acclamait en mars dernier, n’avaient d’égal que ton affabilité, ta générosité et ton amabilité. Les jeunes qui applaudissaient au terme de tes interventions à Azeffoun et à Tizi-Ouzou, garderont profondément en mémoire le souvenir du grand humaniste que tu as été, doté de grandes capacités d’écoute et d’un esprit vif, critique et, au besoin, polémiste. Pétri dans les valeurs universelles, tu es resté fermement enraciné dans ton terroir culturel national. Tous ceux qui t’ont connu ou qui t’ont approché savent quel artiste discret et affable, tu as été. Ils garderont de toi un souvenir impérissable

///Article N° : 11317

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