Quelle place pour la BD africaine en Europe ?

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Avec « Gasy Bulles » actuellement à Tananarive, le 2e Salon de bande dessinée de Bamako (du 13 au 17 juin), la 3ème édition de Coco Bulles – Festival international du dessin de presse et de la bande dessinée – qui redémarre à Abidjan (du 21 au 24 juin), la BD africaine est à l’honneur en ce mois de juin où paraît « Une journée dans la vie d’un Africain d’Afrique », réalisée par un collectif de neuf dessinateurs africains. L’occasion de dresser un panorama et un état des lieux d’un secteur en éveil, dynamisé par le succès de certains auteurs mais fragilisé par l’absence de réel marché en Afrique.

On a tendance à l’oublier, il y a une longue tradition de la bande dessinée dans certains pays d’Afrique. Au Congo belge, des Bd étaient diffusées à l’époque de l’indépendance dans des journaux locaux, à Madagascar, la première bande dessinée locale, Ny Ombalahibemaso de Jean Ramamonjisoa et du père Rahajarizafy, a été publiée dès 1961. En Centrafrique, dans les années 60, à l’aube de l’indépendance, ont paru les premières BD en noir et blanc ayant pour titre Les aventures de Tamako. Au Burkina Faso, en 1980, L’observateur, quotidien privé, publiait quelques illustrations et caricatures d’Anatole Kiba et Raya Sawadogo. Et dans d’autres pays, comme le Cameroun, des bandes dessinées étaient publiées dès les années 70.
Un envol difficile
Les bédéistes africains et leur production restent cependant encore inconnus en Europe. La seule exception est l’indéniable succès du Congolais Barly Baruti. Sa carrière démarra dans les années 80 au studio Hergé de Bruxelles, se poursuivit avec les éditions Segedo (1) et prit réellement son envol avec ses deux séries à succès Eva K. et Mandrill (2). Afin de partager son savoir faire, Barly Baruti créa le premier salon de la BD de Kinshasa en 1991, puis, dans la foulée, l’association ACRIA dans le but de former une génération de bédéistes congolais.
Pourtant, exceptés quelques dessinateurs algériens (3), Barly a longtemps été l’arbre qui cachait le désert africain. S’il ne fut pas le premier africain à publier en Europe (4), il fut le seul, jusqu’il y a quelques années, à s’imposer réellement.
Car, en réalité, peu d’Africains ont été publiés en Europe jusqu’il y a 5 ans. Le compatriote de Baruti, Mongo Sise avait publié 4 albums avec l’éditeur belge Eur-af au début des années 80 : Le boy, Bingo à Yama-Kara, Bingo en ville, Mata mata et Pili pili. Mais ces albums, financés par la coopération belge, étaient destinés à être diffusés au Zaïre.
L’Ivoirien Sallia, sur un scénario de Breal et Karul (5), dessinera les deux tomes de Quand les flamboyants fleurissent, les blancs dépérissent (1987), l’un des rares albums BD parus chez L’Harmattan avant 2003 (6).
Dans les Dom-Tom, quelques dessinateurs africains ont pu produire des œuvres. En Guyane, au milieu des années 80, les Béninois Jules Niago et Maurice Tiouka ont publié, à compte d’auteur, deux ouvrages : Candia, la petite oyapockoise (1978) et La mère poule et ses canetons (1993). À La Réunion, le malgache Anselme Razafindrainibe (7) a publié en 1999 Retour d’Afrique à Centre du monde éditions. Il imitait en cela ses compatriotes Xhi et Ma (Fol amour, Ed. Grand Océan en 1997). Ce fut le cas, plus tard, du Camerounais Augustin Nge Simety (8) (Ti Nikon, mais comment les grands y font les bébés ? chez Orphie en 2005) et le Seychellois Peter Lalande (9) (Humour naturel, vol. 1 : Poissons, couleuvres et tortues chez ARS terres créoles en 2006). Le bilan était faible jusqu’en 2002.
Depuis 2004, une prolifération de dessinateurs africains arrive sur les marchés francophones du nord. Cette accumulation, après des décennies de quasi-silence, peut paraître étonnante. Si elle est le résultat d’une longue évolution de la BD en Afrique, elle a aussi d’autres causes beaucoup plus liées au contexte des rapports nord – sud.
Une réussite africaine…
Certaines œuvres sorties depuis cinq ans s’expliquent par l’origine géographique des éditeurs, souvent africains et participent plus d’une prise de conscience associative communautaire que d’une percée particulière de ces BD.
La diaspora congolaise en est un bon exemple : Le Congolais Serge Diantantu (10) a publié ses 3 albums (11) dans une petite maison d’édition rouennaise, Mandala éditions. Cette maison est dirigée par un compatriote, Robert Wazi, et est, par ailleurs, liée à l’éditeur kimbanguiste, EKI – édition, installé dans la même ville.
Les éditions belge Mabiki (12), qui comptent dans leur catalogue un album, Zamadrogo, fils de Sorba et deux revues de BD, Idologie plus plus (13) et Banama ya Congo na Belgique ont également été créées par le congolais Bienvenue Sene Mongaba.
En Allemagne, le magazine lingalaphone Suka époque (14) (4 numéros) s’adresse bien évidemment à une clientèle congolaise (15).
Pour en terminer avec la piste congolaise, citons les quatre numéros du collectif Afro bulles, dirigé par Alix Fuilu, dessinateur congolais, déjà initiateur de deux Bd collectives à la fin des années 90 (16).
Les éditions Sary92 participent du même phénomène. Fondées par un malgache (Luc Razakarivony), les quatre albums publiés ont été dessinés par des Malgaches (17) et se déroulent tous sur l’île rouge. De la même façon, Didier Randriamanantena dessine une histoire à suivre chaque mois dans Madagascar magazine, un mensuel destiné à la diaspora malgache.
Le Camerounais Biyong Djehouty a publié chez Bes création et Menaibuc Editions, trois BD portant sur des personnages historiques, fondateurs d’immenses empires africains : le « napoléon sud-africain » Chaka et l’empereur du Mali Soundjata Keita (18). Ces deux maisons d’édition ont également été créées par des Africains. Ces exemples démontrent moins une montée de la bande dessinée africaine que d’une prise de conscience de l’histoire de l’Afrique et de la nécessité de valoriser ses principaux mythes.
La parution d’autres œuvres marquent aussi une nouvelle tendance : celle de l’implication de maisons d’édition dont la thématique n’est pas orientée vers la B.D. C’est le cas, par exemple, de L’Harmattan, éditeur très tourné vers l’Afrique qui, en 2003, a publié deux albums du Sénégalais Fayez Samb évoquant deux épisodes de l’histoire militaire coloniale : Tirailleurs sénégalais à Lyon, sur la débâcle de 40 et Le naufrage de l’Erika, qui touche à l’immédiat après-guerre de 14-18. L’Harmattan a publié également, en 2004, Les aventures de Leuk le lièvre : Les arbres magiques du Camerounais Mayval.
En Belgique, en 2006, Pie Tshibanda et Joseph Senga publiaient RD Congo, le bout du tunnel chez Coccinelle, une maison d’édition catholique, peu tournée vers la BD. Le Congolais Tchibemba, pour sa part, publie régulièrement des albums (19) et des caricatures en Grèce, où il vit depuis 1990, pays pourtant pas réputé pour son école de la Bande dessinée.
D’autres publications sont dues à des choix artistiques de la part d’éditeurs reconnus. Le premier fut l’Ivoirien Gilbert Groud qui, en 2003, éditait chez Albin Michel, l’inquiétant et superbe Magie noire. Par la suite, en 2005, Albin Michel sortait Rwanda 94 de Pat Masioni (20), suivi, quelques mois plus tard, par le Tome 1 de Aya de Yopougon dessiné par Clément Oubrerie et scénarisé par l’Ivoirienne Marguerite Abouet. En 2006, le Congolais Hallain Paluku publiait le superbe Missy, suivi du Gabonais Pahé avec La vie de Pahé chez Paquet et le tome 2 de Aya de Yopougon. Chez Glénat, le Mauricien Laval Ng sortait le troisième tome de sa reprise de La ballade au bout du monde, ex série phare des années 80. En 2007, enfin, le Camerounais Achille Nzoda sortait le tome 1 de Les animotards.
Au-delà de la curiosité nouvelle des éditeurs « classiques », le talent et la persévérance des bédéistes africains sont également une raison importante de leur succès.
Les ventes ont souvent répondu aux attentes des éditeurs et d’autres titres sont déjà prévus : le tome 2 de l’ouvrage de Pat Masioni, la suite de la trilogie de Pahé, un tome 4 attendu pour Laval NG, la réédition de BD Africa, la sortie annoncée d’une BD de Titi Faustin sur la prostitution, un album Le règne de Tarquin le terrible de Pat Mombili, sur un scénario d’Alain Brezault, une nouvelle série de Baruti… Tout cela augure d’une nouvelle ère qui commence.
D’autres talents arrivent, en particulier le Centrafricain Didier Kassaï, lauréat en 2006 aux concours Africa comics 2005 – 2006 et Vues d’Afrique du festival d’Angoulême.
Cet optimisme est conforté par une particularité qui a longtemps handicapé les bédéistes africains. En effet, à la différence des générations précédentes, ces auteurs sont souvent également scénaristes. Pahé, Chrisany, Randriamanantena, Amanvi, Samb, Djehouty dessinent sur leur propre scénario. Certains sont même exclusivement scénaristes : le Camerounais Christophe Ngalle Edimo ou l’Ivoirienne Marguerite Abouet, lauréate, en 2006, du prix du premier album au festival d’Angoulême.
Certains dessinateurs africains se sont regroupés en association au sein de l’Afrique dessinée, leur permettant de rester en contact, de se soutenir et de monter des projets communs. Ce sont eux qui sont à l’origine de la toute récente BD collective, intitulée « Une journée dans la vie d’un Africain d’Afrique«  (21), et d’un journal dessiné centré sur les banlieues. Il s’agit incontestablement d’une nouvelle donne dans le paysage, car bien des dessinateurs africains ayant tenté leur chance antérieurement, se sont retrouvés très isolés et incapables de faire entendre leur spécificité.
De plus, une sortie du ghetto s’annonce progressivement pour la plupart de ces artistes. Pour beaucoup d’entre eux, leurs travaux ne concernent pas spécifiquement l’Afrique. C’est le cas, bien sûr, de Barly Baruti et de sa série Mandrill, mais aussi de Missy de Paluku, de Vanity de Kash, des albums de Laval NG…. En bref, nous n’avons plus affaire à des bédéistes africains mais à des bédéistes tout court… Et considérés comme tels par la profession !
Car, pratiquement tous ont d’abord dû s’imposer dans leur propre pays avant de tenter leur chance en Europe où ils ont également dû faire preuve d’abnégation.
Le cas du Congolais Pat Masioni est le plus édifiant. Dessinateur pilier de l’éditeur kinois Saint Paul durant des années, Masioni est l’auteur de 12 albums ainsi que d’un certain nombre de livres illustrés. En 2002, suite à la parution de l’album A l’ombre du baobab, Masioni débarque en Europe, obtient le statut d’exilé politique et recommence tout à zéro : quelques planches dans Africa comics 2002, Afrobulles N°1, quelques illustrations pour la revue Pro asile et une série Lycée samba Diallo dans la revue Planète jeunes. À partir de 2004, Masioni peut enfin sortir les deux albums déjà évoqués : L’appel et le très discuté Rwanda 1994, descente aux enfers.
Fifi Mukuna, avant de dessiner Si tu me suis autour du monde, s’était déjà fait remarquer dès le premier salon de la Bd de Kinshasa en 1991 (22) alors qu’elle entamait une carrière de caricaturistes et était mise en valeur dans le numéro spécial de Notre librairie.
Simon Pierre Mbumbo apparaît dès 1998 dans des revues camerounaises comme Mac BD. Par la suite, Mbumbo dessinera la série Les K libres pour Planètes jeunes. Alain Pahé a également un long passé de caricaturiste et surtout de bédéiste puisqu’il faisait parti de l’équipe du magazine gabonais BD boom, lancé en 1998 en même temps que le premier JABD et du premier cyber magazine de BD africaine : Para-jaka ! qui publia 5 numéros entre 2005 et 2006 (23).
Quant au Camerounais Chrisany, il était déjà, en 1998, le rédacteur en chef – Bande dessinée de la revue pour jeunes Mongo, tandis qu’Achille Nzoda – qui a obtenu à trois reprises le prix du meilleur caricaturiste au festival d’humour de Yaoundé – a une carrière de caricaturiste et de dessinateur de presse derrière lui.
Hallain Paluku, pour sa part, a également beaucoup travaillé en RDC (24). En Europe, il apparaît déjà dans A l’ombre du baobab, dans Notre librairie, dans Afrobulles 1 et 3 et au festival d’Angoulême 2005. Il avait en tête Missy depuis 1999 avant d’arriver à imposer son personnage (25), et à trouver – non sans mal – un scénariste et un éditeur (26).
Enfin, le Mauricien Laval NG avait déjà publié deux albums aux Etats Unis avant de travailler avec Makyo. Tshibanda (27) et Senga, pour leur part, avaient déjà publié deux bandes dessinées en RDC avant de travailler pour Coccinelle : Alerte à Kamoto (1989) et Les refoulés du Katanga (1997).
Il ne s’agit donc pas d’une génération spontanée mais d’une longue maturation d’un art déjà très populaire au niveau local avec le soutien actif des services culturels français ou belges et de certains de leurs collègues occidentaux.
… qui est aussi celle de l’Europe
Car cette réussite est également le résultat d’exemples de solidarité entre le nord et le sud.
Les liens en matière de Bd entre l’Afrique et l’Europe sont, en effet, ténus. Certains auteurs français ou belges sont nés en Afrique du Nord (28), en Afrique noire (29), au Congo (30) et ont un lien particulier avec ce continent. Quelques-uns y font carrière : Damien Glez au Burkina Faso, l’italien Jo Collura au Sénégal, le Belge René Hermann en RDC, Golo en Egypte. D’autres y ont débuté comme Michel Faure qui a publié son premier album (Hery en 1975) à Madagascar. D’autres encore font en sorte que l’Afrique ne soit pas juste un « continent décor » (31), on pense en particulier au travail de Jean Philippe Stassen sur le génocide rwandais (32), l’œuvre de Bernard Duffossé (33), les albums de Dany (34), ceux de Warnauts et Raives et bien sûr la série Jimmy tousseur (35) de Desberg et Desorgher, etc…
Bien des auteurs vont également régulièrement animer des stages, encadrer des ateliers et participer à des salons de BD. Des liens se sont noués et peuvent parfois donner des résultats bénéfiques pour les jeunes artistes du sud en terme de formation, de contacts et d’échange. Le cas le plus connu est celui de P’tit Luc, grand bourlingueur du continent, qui dirigea bénévolement les travaux de plusieurs bédéistes africains au sein d’une Bd collective intitulée BD Africa, sortie en 2005 chez Albin Michel. Autre exemple : c’est en croisant par hasard Makyo lors du salon de Saint Denis (La Réunion) que la carrière du Mauricien Laval NG Man Kwong prit une tournure internationale avec la reprise du 4e cycle de La ballade au bout du monde. D’autres dessinateurs « européens » sont d’origine africaine, même s’ils n’en ont pas la nationalité : le suisse Jean Philippe Kalondji (36) (RDC), auteur phare des éditions Paquet, le Toulousain N’Guessan (37) (Côte d’Ivoire), Yvan Alagbé, dessinateur et éditeur indépendant français (Togo), le dessinateur belge d’origine comorienne Mohamed Fahar, créateur de la série Dido….
Les coopérations étrangères contribuent régulièrement à l’éclosion de la BD dans les pays africains. La coopération française en est un parfait exemple et ce, depuis plusieurs années. La société Segedo, en dehors de l’édition des revues Kouakou, Calao et Caramboles, a beaucoup œuvré dans ce domaine. Elle a, durant dix ans, envoyé une vingtaine d’histoires inédites en bandes dessinées à des journaux africains qui pouvaient les diffuser gratuitement en épisodes dans leurs numéros. Ce fut le cas, par exemple, de Fraternité matin (Côte d’Ivoire), de Sahel hebdo et de N’gouvou (Congo Brazzaville). C’est de cette façon que deux légendes, Baruti (Le bolide en 1983) et Richard Rabesandratana (La mouné en 1985), commenceront leurs carrières. Ces histoires permettront à tout un public de découvrir la bande dessinée et fera des émules. Segedo publiera également deux albums collectifs : Au secours et Aventures dans l’Océan indien dans lesquels on trouve les premiers essais de nombreux bédéistes africains dont Christian Razafindrakota, Anselme Razafindrainibe, Thembo Kash (38).
À Madagascar, une dizaine d’albums furent financés par le Centre culturel Albert Camus, au Gabon, avec le collectif BD Boom. À titre d’exemple, pour l’année 2006, quatre productions africaines ont été soutenues : Senghor cent ans, la BD burkinabé célèbre le poète-président (Ambassade de France à Ouagadougou), Trait noir (Centre Culturel Français de Douala), Clin d’œil (Alliance française de Nouakchott) et Mbongui BD (Coopération française à Brazzaville).
La coopération belge mène également une action dans ce domaine. Ce fut le cas au Zaïre en 1996 avec les deux albums Le retour du crayon noir et Un dîner à Kinshasa où l’on retrouve, entre autres, les traces de Pat Masioni, Fifi Mukuna, Thembo Kash, Patrick Mombili, mais aussi au Bénin (aide à la réalisation d’un dessin animé en 2006). Des formations, des voyages et des salons de la Bd ont également été soutenus. Ce fut le cas des JABD de Libreville en 1998 et 1999, l’un des plus beaux salons organisés sur le Continent (39), mais également du salon de la Bd de Kinshasa (organisé par Baruti), Gazy bulles de Tananarive, Îles en bulles de Port Louis, Coco bulles de Grand Bassam, du salon de Bamako, de manifestations à Douala, à Cotonou, etc.…
Le ministère français des Affaires Etrangères a également initié et soutenu l’organisation d’une exposition d’artistes africains au Festival d’Angoulême en 2005 (La musique dans la tradition africaine) et d’un concours en 2006 (Vues d’Afrique) qui ont permis à certains artistes de montrer leur travail.
Ce soutien peut également être le fait d’ONG et d’associations utilisant la bande dessinée comme médias. Cela arrive souvent en Afrique où les BD produites sont rarement le fruit d’éditeurs privés. Depuis quelques années, ce phénomène s’est déplacé en Europe au grand bénéfice des artistes africains qui ont pu y lancer leur carrière.
La première réalisation du genre fut l’œuvre de Equilibres & populations qui, en 2001, édita A l’ombre du baobab, un album collectif de dessinateurs africains sud-saharien sur le thème de la santé et de l’éducation. Cet album fit l’objet d’une exposition itinérante dans toute l’Europe. Pour la première fois, le travail de dessinateurs africains était visible pour un autre public que celui de leur pays respectif. Son effet fut accentué par la parution d’un numéro spécial d’Africultures (40) l’année précédente et par celui de Notre librairie la même année (41).
L’action de l’association italienne Africa é méditerraneo entraîna également un effet levier pour la carrière de certains. Suite à trois concours annuels de bandes dessinées, plusieurs anthologies collectives furent éditées et diffusées en 2002, 2004 et 2006, accompagnées d’un catalogue général (42). Ce projet permit la constitution d’un réseau de dessinateurs africains, la création d’un prix Africa e mediterraneo et la présentation d’expositions itinérantes des planches originales dans le monde entier (de 2002 à 2007, 23 lieux ont été concernés).
De cette façon, sur cinq années, six anthologies et albums collectifs ont été publiés en Europe : les quatre albums de Africa comics : Africa comics 2002, Africa comics 2003-2004, Africa comics 2005-2006 et Matite africane, auxquels on peut ajouter le projet soutenu par P’tit Luc, BD Africa (2005) et celui de Equilibres & populations (2001).
Par ce biais, c’est un vaste panorama totalement inédit et bienvenu de la bande dessinée africaine qui était présenté au public européen. Cela ne sera pas sans influence sur la suite, puisque quasiment tous les auteurs d’albums individuels à venir apparaissaient déjà à plusieurs reprises dans ces cinq productions. La revue Africa e mediterraneo alla plus loin puisqu’elle édita, dans le cadre de son projet, six albums individuels d’auteurs africains : Article 5 et 9 de Chrisany (Cameroun, 2002), Blolo-Bian, l’amant de l’au-delà de Bertin Amanvi (Côte d’Ivoire, 2003), Une éternité à Tanger de Faustin Titi (Côte d’Ivoire, 2003), L’île aux oiseaux de Hissa Nsoli (RDC, 2003), Imboa le roi et Ifara de Didier Randriamanantena (Madagascar, 2003), On a fumé Malrobo ! de Jo Palmer (Togo, 2005).
Quasi simultanément, en 2004, démarrait le projet Valeurs communes (43) qui, financé par la Commission européenne, avait pour mission d’évoquer les valeurs communes entre les religions et la pensée laïque : tolérance, partage, respect de l’autre… Il se compose d’un guide didactique et de cinq albums de bande dessinée également édités, comme pour Africa e mediterraneo, par les éditions Lai-Momo. Ces albums furent tous le fruit d’adaptations de cinq nouvelles par le Franco-camerounais Christophe Ngalle Edimo, et dessinés par des bédéistes du sud : Chrisany (L’exposé) et Faustin titi (La réserve), les Congolais Fifi Mukuna (Si tu me suis autour du monde) et Pat Masioni (L’appel) et le Camerounais Simon Pierre Mbumbo (Hicham et Yseult).
Avec du talent, de l’expérience, des soutiens et de la solidarité, les auteurs africains, après des années de silence et d’anonymat, débarquent en Europe et commencent à se faire connaître. Malheureusement, si elle est le signe d’une certaine vitalité de la création, cette flambée n’est pas forcément le signe d’une bonne santé du marché de la bande dessinée en Afrique. Le désir de conquérir l’Europe, terre de référence du 9e art, n’est pas la seule motivation de tous ces artistes. Ils fuient également la misère, le manque de reconnaissance et une certaine dépendance aux projets de coopération, et autre action d’ONG internationales qui sont leurs seuls soutiens. L’Afrique, n’arrive pas à créer son propre marché (44) et les quelques contre exemples connus (45) ne suffisent pas à inverser ce constat général. Ceux-ci ne pouvant exister par eux même, en l’absence de marché réel, en sont réduits à émigrer en Europe au prix d’énormes sacrifices financiers et personnels (pratiquement tous sont passés par le statut de demandeur d’asile).
Leur réussite en Europe cache peut être une secrète défaite en Afrique, condamnée à voir émerger de réels talents… et à les voir partir !

1. Avec en particulier Le bolide, une bande dessinée de 1983, scénarisée par Serge Saint Michel et proposée par Segedo à plusieurs journaux africains dont Fraternité matin (Abidjan)
2. Eva K. 3 tomes chez Soleil productions, série arrêtée, Mandrill, 7 tomes chez Glénat, série en cours.
3. Mohamed Aouamri, Kamel Khélif et, bien sur, Farid Boudjellal (né à Toulon, cependant).
4. Son compatriote Mongo Sise, avec Mata Mata et pili-pili publié dans le N° 2314 de Spirou le 19 août 1982 et le malgache Xhy (Guy Rajaofetra) dans Charlie Hebdo furent probablement les premiers.
5. En fait, l’écrivain Alain Brezault qui scénarisera, en 2003 et 2004, Les corruptibles dessiné par Pendanx.
6. A l’exception d’un album de l’algérien Slim L’Algérie, publié en 1999.
7. Qui a publié également plusieurs planches dans le revue réunionnais de Bd : Le cri du margouillat.
8. Simety, comme Baruti, avait commencé sa carrière dans Kouakou.
9. Par ailleurs, directeur des Archives nationales de son pays.
10. Cf. son site : http://perso.wanadoo.fr/kimbangu.net
11. Simon Kimbangu T.1 et T.2, L’amour sous les palmiers et bien avant, Les aventures de Mara : attention, Sida. Diantantu a également publié une revue : La cloche.
12. www.mabiki.centerall.com
13. Dessiné par Kojelé Makani, et Pat Mombili, membres de l’ACRIA.
14. www.suka-epoque.de. Ce journal a été créé par deux légendes de la Bd congolaise : Mayo et Sima Lukombo, dessinateurs de la revue mythique Jeunes pour jeunes et des éditions Saint Paul dans les années 70.
15. Il est d’ailleurs diffusé en France par … Robert Wazi.
16. Boulevard Sida (1996) et Du shit au zen (1998) qui, comme Afrobulles, bénéficient d’aides publiques.
17. Malas de Alain Rabemanatsoa, Avotra de Christian Razafindrakota, Habiba de Tsilavo Rabemila, Vazimba, tous publiés en 2006 et 2007.
18. Successivement Soundjata, la bataille de Kirina (2004), Soundjata, le conquérant T.1 : l’ultime bataille (2005), L’épopée de Chaka T.1 : L’enfant interdit (2006).
19. Tchibemba a sorti 3 albums avec son personnage Dynamitis depuis 2004.
20. Blog de Pat Masioni : http://patmasioni.canalblog.com/
21.
22. Cf. Article sur Fifi Mukuna dans Calao N° 101 d’octobre 1991.
23. Para – jaka ! était soutenu par le centre culturel français de Malabo (Guinée équatoriale)
24. Pour une vision de son travail : //africultures.com/vitrine/bd/bd.htm
25. Le personnage apparaît déjà sur une de ses pages personnelles : http://perso.dromadaire.com/zapirho/paluku.html
26. Lire son interview dans http://www.afriquechos.ch/spip.php?article1695
27. Site de Tshibanda, écrivain, conteur, psychologue, comédien et bédéiste : http://users.skynet.be/pie.tshibanda/home.htm
28. Wolinski (Tunisie), Pierre bailly, Paul Glaudel, Jacques Ferrandez, Roger Widenlocher, Gine, Reb’s (Algérie)….
29. Gadioux (Côte d’Ivoire), Algésiras (Centrafrique), Rollin (Burkina), Ridel (Congo), Juszezak (Cameroun)…
30. Entre autres, Michel Vandam, Chantal De Spiegeleer, Daniel Desorgher, Batem, Janry, Duvivier, Hernu, Pévé…
31. L’Afrique dans la bande dessinée européenne, un continent décor !, Africulture N° 32, novembre 2000.
32. Deogratias (2000) et Les enfants (2004)
33. On reste étonné par l’absence de tout paternalisme, et de relents colonialistes constatés tout au long des 32 ans, 187 numéros et 8 albums de la série Kouakou, série qui a marqué plusieurs générations d’africains.
34. L’évolution de Dany dans sa perception des réalités africaines entre Le piège aux 10 000 dards (Bernard Prince, 1979), Caro (Equator T.1, 1994) et Katale (Equator T.2, 1997) (les deux derniers dessinés après la participation de Dany au salon de la Bd de Kinshasa) est remarquable.
35. Pour une analyse très fine de cette série, cf. Documents d’exploitation pédagogique de trois albums de la série Jimmy Tousseul, Didier Quellat-Guyot, CRDP de Poitou Charentes, 1997.
36. Auteur de la série Helvéthika et O’ Malley, chez Paquet.
37. Auteur des séries Aberzem et Arthur et les minimoys chez Soleil Productions ainsi que Patrick Bruel (collectif)
38. Kash prépare actuellement un album avec André Paul Duchateau et vient de participer à un recueil de caricatures, publié en 2007 par les éditions belges Luc Pire, Congo, vingt ans de caricatures.
39. Leur site est encore visible sur XXXXXXXX
40. Africultures, BD d’Afrique. N°32, novembre 2000.
41. Notre librairie, La bande dessinée. N° 145, juillet – septembre 2001.
42. Africa comics 2002, Africa comics 2003-2004, Africa comics 2005-2006 et Matite africane, tous disponibles sur http://www.africacomics.net/fra_pub_matite.shtml
43. http://www.valeurscommunes.org/home.php
44. Cf. l’Afrique doit construire son marché in Africultures, //africultures.com/index.asp?menu=affiche_article&no=4327&rech=1
45. Le journal gbich en Côte d’Ivoire ou le journal Ngah à Madagascar, tous les deux très populaires.
Christophe Cassiau-Haurie est commissaire de l’exposition Mythes, contes et légendes : l’Univers de Laval NG, présentée, du 12 au 16 juin 2007, au centre culturel français Albert Camus de Tananarive, dans le cadre de Gasy Bulles///Article N° : 5962

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Les images de l'article
Couverture de la BD "La ballade au bout du monde"





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