Rafiy Okefolahan : « Utiliser la couleur, c’est ramener les gens à la vie »

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Le Béninois de 33 ans s’affirme comme l’une des valeurs montantes de la jeune génération de plasticiens africains. Il nous donne les clés de son univers pictural.

Dès l’entrée de la galerie, on est assailli par les couleurs. Rafiy Okefolahan ose le rouge sang, le bleu profond, le vert tendre et le rose flashy. « Utiliser la couleur, c’est ramener les gens à la vie », affirme-t-il. « Aujourd’hui, tout le monde semble avoir peur. Je veux leur donner du tonus, les réveiller. » Des visages émergent, des crânes affleurent, des symboles s’entrecroisent. On distingue aussi des mots, des prénoms et des numéros de téléphone portable, clin d’œil à la pratique qui consiste, au Bénin, et chez des personnes analphabètes possédant un portable, à assimiler les chiffres à des signes puis à les écrire au charbon ou à la craie sur les murs des maisons pour s’en souvenir…
La pièce principale, un grand format dans les tons bleus barrés de rouge, donne son nom à l’exposition, Appels. « Elle résume ce que j’ai ressenti face au printemps arabe, aux crises, à ce que vivent les gens aujourd’hui. Je pars souvent du quotidien pour exprimer les généralités du monde », explique le plasticien. Rafiy Okefolahan dit travailler dans « le bruit du monde ». « Je suis très influencé par l’actualité et, pour moi, peindre sur la toile est une façon d’archiver ces événements. » La toile Les Traders est une autre façon d’exprimer la crise. « Ce sont ces gens bien nourris, bien gras qui décident pour les autres à coup de chiffres que personne ne maîtrise. Ils peuvent faire basculer la vie de toute une population en un claquement de doigt. » Voilà sûrement pourquoi les silhouettes peintes sont ici inquiétantes, comme des ombres morbides… Mais le travail de Rafiy Okefolahan peut aussi tendre vers l’humour. Ainsi Les Disciples, où le vert règne en maître, fait référence à Jésus et à ses apôtres « qui se réunissaient pour évoquer leurs problèmes et trouver des solutions. Aujourd’hui, on fait des Sommets à tout va qui ne servent à rien », ironise l’artiste.
Sur certaines œuvres, on observe un jeu de matières et, entre les aplats de couleur, l’œil capte les fibres de la toile. Normal, pour Rafiy Okefolahan, qui s’est d’abord fait connaître pour ses peintures figuratives sur toile de jute. Né à Porto-Novo en 1979, autodidacte, il se forme d’abord sur le terrain, au gré de ses voyages (Nigeria, Togo, Ghana, Burkina Faso…) et profite d’un séjour de deux ans au Sénégal pour passer par l’École nationale des Arts de Dakar en 2007. Dans la capitale sénégalaise, il se forme également à la peinture sous-verre et à la photographie. Il expose dès 2005 dans différents pays de la sous-région. En automne 2011, il a bénéficié d’une résidence à la Cité des Arts de Paris. « Comme j’avais besoin de me rapprocher de mes galeries à Paris pour préparer mes expositions futures, j’ai fait une demande de résidence à l’institut français de Cotonou. Celle-ci a été transmise à l’institut français à Paris et c’est ainsi que je suis venu à Paris dans un dans des ateliers du ministère des Affaires étrangères Paris pour quatre mois… » Il approfondit son exploration de la vidéo, des installations et de la photo. « Quand j’étais petit, j’adorais prendre la pose. J’aime la photo car elle me permet de voir les autres mais aussi de voir comment les autres me voient. La vidéo et la photo sont un complément à ma peinture ». Son engagement et ses réactions face à l’actualité se retrouvent également d en vidéo. Il a notamment traité de l’exécution de Troy Davis, cet Afro-Américain de 42 ans condamné pour le meurtre d’un policier blanc en 1991. Sa culpabilité n’a jamais été prouvée et il a clamé son innocence jusqu’à son exécution, en septembre 2011, devenant l’un des symboles de la lutte contre la peine de mort aux États-Unis.
En 2008, il a créé l’association Elowa, pour stimuler la création des arts visuels au Bénin et favoriser les échanges entre artistes. En 2010, l’association lance le festival Waba, un parcours de portes ouvertes dans les ateliers d’artistes de Cotonou. Dans la foulée, un partenariat se noue avec les Ateliers de Belleville. Ainsi, six artistes français sont partis au Bénin en janvier 2012. Ils ont travaillé avec des artistes locaux à Cotonou et Abomey et ont exposé leurs oeuvres l’espace d’art Atipik, installé dans l’atelier du plasticien Dominique Zinkpè. En mai 2012, des artistes béninois devraient à leur tour venir à Paris, pour participer aux portes ouvertes des Ateliers de Belleville.
En attendant, Rafiy Okefolahan poursuit sa réflexion sur la définition de l’artiste, sa place dans la société, son rôle. « En Afrique, j’étais fier de dire que j’étais artiste. À Paris, j’ai découvert toutes ces galeries, ces foires… et je me suis demandé si tout le monde était artiste ! La notion d’artiste, c’est l’Occident qui l’a créée. Au fond de moi, je cherche encore la bonne définition. »

Exposition jusqu’au 26 février 2012 à la Galerie Lazarew
14 rue du Perche – 75003 Paris
[www.galerie-lazarew.fr]

Exposition du 3 mars au 8 avril 2012 à la Galerie Out of Africa
C/. Mayor, 22 – 22 440 Benasque (Espagne)
[www.galeria-out-of-africa.com]
///Article N° : 10609

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Les images de l'article
Rafiy Okefolahan, Appels, 145X178, 2011 © courtesy Galerie Lazarew
Rafiy Okefolahan, Sacrifice sur l'herbe, 144x187, 2011 © courtesy Galerie Lazarew
Rafiy Okefolahan, Les Amazones - Dyptique, 66x96, 2011 © courtesy Galerie Lazarew
Rafiy Okefolahan, Les Revenants, 2011 © courtesy Galerie Lazarew
Rafiy Okefolahan, accrochage de l'exposition Appels à la galerie Lazarew © courtesy Galerie Lazarew





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