Rencontres « Maintenant l’Afrique ! »

Synthèse de l'atelier Danse - Théâtre

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Quatre ateliers thématiques ont été organisés par CulturesFrance le 23 octobre 2006 en préparation des Rencontres « Maintenant l’Afrique ! » Ces ateliers avaient pour but de dégager les principales problématiques des filières artistiques afin de nourrir les débats du colloque. Une quarantaine de professionnels originaires de dix-neuf pays participèrent à l’atelier Danse-Théâtre, animé par Salvador Garcia.

Animé par Salvador Garcia, directeur de la scène nationale d’Annecy, l’atelier « Danse – théâtre » réunissait une quarantaine de professionnels(1) de dix-neuf pays : Togo, Congo, Burkina Faso, République Démocratique du Congo, Niger, Mali, Tunisie, Mayotte, Mozambique, Sénégal, Maroc, Cameroun, Tchad, Afrique du Sud, Côte d’Ivoire, Bénin, Égypte, France et Belgique. Il y avait parmi les participants des artistes (artistes interprètes, chorégraphes, metteurs en scène…), des responsables de lieux et de manifestations culturelles, des chercheurs, des critiques, des opérateurs culturels.
Les axes-clés des débats
La création contemporaine africaine, connaît un essor considérable et croissant depuis plus d’une dizaine d’années. De nombreux créateurs et professionnels culturels aspirent chaque jour davantage à vivre de leur art ou de leurs pratiques professionnelles sur le continent africain. Pourtant, les productions artistiques restent confrontées à des difficultés de valorisation, de marginalisation et d’accès au marché international dues à l’inexistence d’une véritable économie du spectacle ou de l’art en Afrique.
Dans un tel contexte, vivre de son art, sur le continent plus qu’ailleurs, reste toujours une équation posée et suscite de nombreuses interrogations à l’endroit des artistes, des pouvoirs publics et des partenaires au développement dans la perspective d’une culture qui contribuerait plus efficacement à la croissance économique et au mieux être social dans nos pays.
Dans le souci d’être efficace et productif par rapport aux attentes de la rencontre, notre atelier a choisi au cours de ses travaux de mettre l’accent sur les questions et les problématiques suivantes :
– Comment produire et vivre de son art en Afrique où la culture est loin d’être une priorité face à d’autres besoins sociaux, politiques et économiques dans un environnement général marqué par la pauvreté ?
– Quels sont les différents impacts des soutiens actuels à la production, la création et l’accès au marché international sur les professionnels du secteur culturel en Afrique ?
– Quelles sont les entraves majeures à l’édification de marchés locaux et à l’accès au marché international des productions contemporaines africaines ?
– Depuis plusieurs années des formations sont organisées çà et là à l’intention des professionnels africains. Mais la demande demeure toujours aussi forte aux plans artistique, technique et managérial. Comment combler ces attentes multiformes en évitant le piège « du formatage des spectacles » et en mutualisant les moyens et les stratégies existantes consacrées à la formation ?
– La création contemporaine africaine doit sa vitalité aux soutiens multiformes extérieurs face à des aides publiques nationales insuffisantes voire souvent inexistantes. Mais force est de constater la raréfaction des moyens financiers accordés et un manque de réadaptation des stratégies de soutien garantissant une pérennité des entreprises culturelles. Quelles formes d’aides faudrait-il privilégier pour professionnaliser au mieux le secteur de la culture en Afrique ?
– Enfin quelles actions préconiser à court, moyen et long terme, pour rendre plus efficaces les efforts du département Afrique en Créations consacrés à la production et à la valorisation de la création contemporaine africaine ?
Ainsi, les questions et les problématiques liées à la formation, la production, aux marchés, aux plates-formes artistiques, aux soutiens publics, aux réseaux professionnels, aux actions à privilégier à l’avenir dans le domaine de la danse et du théâtre, ont constitué les principaux axes des différents débats de l’atelier.
Repenser les formations artistiques et administratives
La formation reste indispensable pour assurer une création artistique qualitative et la professionnalisation des acteurs culturels. Elle reste donc un outil privilégié d’accroissement qualitatif et quantitatif de l’offre artistique. Malheureusement, les offres de formation en Afrique sont limitées face à une demande immense. De nombreuses formations artistiques ont été développées dans le domaine de la danse et du théâtre durant ces récentes dernières années. Mais l’étroitesse de ces formations en termes de ressources humaines et de propositions pédagogiques, a entraîné certaines dérives notamment le formatage de la création.
En effet, sous l’influence de ces formations et de ces formateurs, la création théâtrale se réfugie de plus en plus dans des objectifs esthétiques, loin des questions de publics. Les équipes de création devraient s’interroger sur un choix esthétique répondant à la fois aux publics d’Afrique et d’Europe, loin du schéma actuel qui favorise l’émergence de spectacles formatés pour l’extérieur.
Il résulte de ces positionnements, le développement d’une certaine politique de spectacles créés pour l’ailleurs et un déficit des publics nationaux. Pourtant la question des publics n’est-elle pas la clé de voûte et le moteur du développement de la danse et du théâtre, obligés de compter à la fois sur les marchés nationaux et internationaux ? Comment sortir de ces schémas de formation et de formatage dictés ou suggérés, loin des scandales et des partis pris ? Il semble temps de nous interroger davantage sur nos différentes responsabilités.
Les compagnies, dans leur démarche souvent latente de jouer pour plaire et séduire les programmateurs du Nord, ne sont-elles pas responsables en partie de cette dérive ? Le risque de formatage ne réside t-il pas aussi dans les attentes et les besoins spécifiques des programmateurs du Nord, désireux de formes de spectacles accessibles immédiatement à leurs publics ? Les pratiques actuelles de programmation, axées sur la recherche de « la perle rare » d’Afrique, n’obligent-elles pas les créateurs à répondre simplement à une commande porteuse de formatage ?
Quelles responsabilités jouent les centres culturels et instituts français, premiers relais accessibles aux compagnies dans leur quête d’ailleurs ? La question du formatage touche celle de cette quête de reconnaissance et de crédibilité que procure la programmation internationale. En dehors du théâtre d’intervention sociale, l’international constitue aujourd’hui le lieu et la stratégie de légitimation des créateurs africains de danse et de théâtre de texte.
Les formations artistiques semblent jouer un rôle important dans le formatage des créations de l’avis des participants de l’atelier. Aussi faudrait-il développer des formations plus ouvertes, avec la participation de professionnels africains reconnus aux côtés de formateurs du Nord. Il faudrait aussi multiplier les opportunités et les offres de formations pour élargir le champ référentiel des artistes et leur garantir la possibilité de trouver leur propre voie esthétique et artistique à partir de différentes connaissances et savoir-faire techniques.
En outre, on devrait s’assurer que ces offres de formation résultent d’une demande concertée d’acteurs dans le souci de répondre plus efficacement à leurs attentes de professionnalisation. Dans cette perspective, quelles formations privilégier pour répondre aux attentes et besoins sans cesse exprimés par les acteurs ? De nombreuses voix ont estimé que les formations devraient être multipliées et diversifiées dans les domaines suivants : l’artistique d’une part, et d’autre part l’administration, le management et la gestion des équipes de création et des productions artistiques.
Il faut inventer et favoriser la formation continue axée sur la pérennité des projets et des équipes artistiques du continent à travers des réseaux de formation, de formateurs et des formules de formation diversifiées en termes de durée, de logiques, de lieux… etc., capables d’apporter une professionnalisation progressive et dynamique des acteurs.
Quels accès aux marchés ?
Le développement durable de la création chorégraphique et théâtrale africaine nécessite l’existence de marchés locaux et internationaux. En ce qui concerne le marché local, force est de constater sa très grande faiblesse à cause de l’inexistence d’une véritable économie du spectacle dans les deux domaines cités. Cette réalité résulte de plusieurs facteurs au nombre desquels : l’insuffisance ou la faiblesse des publics payants ; l’absence de politiques publiques favorisant l’émergence d’une économie culturelle ; l’étroitesse des marchés locaux ; l’absence de moyens structurels de promotion et de diffusion en Afrique ; la faiblesse et l’insuffisance des réseaux professionnels culturels ; l’absence ou l’insuffisance des échanges culturels entre les pays du Sud ; le coût prohibitif des transports sur le continent… etc.
Le corollaire d’un tel tableau est une faible circulation des biens, des services et des créateurs sur le continent, donc de faibles revenus. Cette réalité plonge les artistes dans une précarité où ils sont sans cesse obligés de développer des stratégies de travail et de survie. L’une des conséquences de cette précarisation est la disparition de nombreux ballets et troupes théâtrales qui, par le passé, assuraient dans une certaine mesure la formation continue des artistes.
Aujourd’hui, on assiste impuissant à l’émergence de « compagnies individuelles » qui axent leur mode de survie et de travail autour de productions et de projets ponctuels. Leur impact sur le développement général des publics et des filières reste faible et aléatoire. Pourtant, la clé de voûte de l’économie du spectacle en Afrique réside en partie dans la question des publics.
Aussi, doit-on s’interroger : comment produire et vivre en Afrique ? Cela exige des choix esthétiques et des stratégies pour mobiliser des publics payants. Comment permettre l’accès de nouveaux publics à la danse et au théâtre ? La question de l’enracinement de la création dans son environnement économique reste posée.
Freins et effets pervers des marchés européens
À côté d’un marché africain qu’il faut construire, l’Europe et ses marchés constituent pour moult compagnies à la fois des sources de revenus, de notoriété et de crédibilité. Ils sont donc synonymes d’une certaine continuité et d’une aubaine dans les stratégies de survie professionnelle. En termes esthétiques et de notoriété, l’Europe semble être le seul moyen et lieu de légitimation et de reconnaissance des créateurs africains. Mais est-il toujours facile d’y accéder ?
Malgré l’existence de cadres formels de coopération bilatérale et multilatérale, l’accès aux territoires européens s’avère de plus en plus limité par de nombreuses difficultés dont la principale est la question des visas. Le durcissement des formalités d’obtention de visas a pour conséquence directe une baisse quantitative des créateurs et des productions artistiques africaines sur les marchés européens et notamment français. Autres freins à l’accès aux marchés européens : le coût onéreux des transports et la complexité des formalités de travail en Europe pour des compagnies souvent peu structurées et administrées.
Les marchés européens sont une aubaine pour la création africaine, mais paradoxalement ils engendrent souvent des effets négatifs par leurs modes de fonctionnement, de relation et de contractualisation. Par exemple, la systématisation du contrat d’engagement ou de recrutement individuel, dans le cadre de productions ou de tournées (en conformité avec les réglementations et les législations en vigueur en France ou en Europe), attise les tensions dans les équipes de création et fragilise leur unité et leur pérennité.
Le recrutement individuel d’artistes selon le mode européen n’apporte aucune plus value ni retour sur investissement pour les compagnies qui ont formé durant de nombreuses années ces artistes. La méconnaissance des réglementations, des lois du travail et de la fiscalité laisse ceux-ci à la merci de certains partenaires concernant les questions financières.
Autre souci, les programmateurs européens recherchent toujours la perle rare avec des attentes esthétiques précises pour leurs publics. Cette tendance semble transformer les échanges avec les compagnies en « simple commande ». Il en découle un certain formatage des créations, plus ou moins explicite, sans capacité réelle de réaction d’artistes très précarisés.
Nombre de programmateurs recherchent des spectacles sous-tendus malheureusement par des préjugés et des clichés. Ces choix formatent les créations, loin du désir des artistes de rompre avec une certaine ghettoïsation de leur créativité.
Autre effet pervers indirect des marchés européens : la méconnaissance des productions artistiques sur le continent. Il est plus aisé de voir les créations contemporaines africaines en Europe qu’en Afrique. Elles restent parfois méconnues dans leurs propres pays. Comment sortir de ces schémas de relations ?
Les stratégies nouvelles d’accès aux marchés européens
Dans le domaine de la contractualisation, les programmateurs devraient faire un effort en prenant en compte les modes de fonctionnement des compagnies africaines, souvent aux antipodes de leurs pratiques professionnelles quotidiennes. Les compagnies, rappelons-le, sont le lieu de survie artistique et professionnelle, avec des fonctionnements endogènes peu comparables à ceux d’Europe. De leur côté, les compagnies devraient mieux se structurer dans une logique de professionnalisation.
L’expérience de certaines compagnies (comme Salia Ni Seydou, Gaara, etc.) d’une double administration, basée à la fois en Afrique et en Europe, semble être une alternative pour un meilleur accès aux marchés européens. Elle permet d’une part la valorisation des productions sur le sol européen, synonyme de pérennité des équipes de création, et d’autre part une présence efficace (par le va-et-vient) sur le continent africain des créateurs et de leurs divers projets.
Cette stratégie semble accessible à de nombreuses équipes de création à travers des systèmes de structures-relais ou de compagnonnage et de partenaires européens soucieux d’inscrire leurs liens d’échanges et de collaboration dans le long terme. Mais la création de tels réseaux ou mécanismes de complicité professionnelle ne peut se faire sans données ni informations renouvelées sur la création et les créateurs. L’insuffisance d’informations sur les créations constitue un handicap non négligeable à l’émergence de réseaux d’accueil, de formation, de programmation et de compagnonnage durables avec des structures du Nord, désireuses de coopérer culturellement de manière décentralisée avec l’Afrique.
Les soutiens à la création et aux productions
Les participants, tout en se félicitant de l’existence d’aides publiques internationales à la création, s’interrogent sur leurs cohérences et sur leurs efficiences dans la perspective d’un développement durable de la création. Les différents mécanismes actuels axés sur « les appuis à projets », portent habituellement sur le transport, la production et les cachets mais rarement sur le fonctionnement et l’équipement des structures.
Le mode « appuis à projets », avec des budgets généralement fléchés, garantit difficilement la continuité des groupes et de leurs projets. Ces soutiens restent aléatoires. Le développement à long terme des équipes de création reste donc limité, laissant place à la précarité et aux stratégies de survie. Pour rompre avec de tels schémas, il faudrait penser de nouvelles formes de soutien aux équipes de création et aux productions axées sur des contrats de confiance pluriannuels qui prennent en compte le fonctionnement et l’équipement des structures. Ces aides pluriannuelles favoriseront une meilleure offre créative, affranchie de la précarisation, de l’urgence et des risques de formatage. Elles développeront une meilleure organisation des compagnies et des manifestations en assurant l’émergence de locomotives culturelles locales au profit de toute une filière.
Ainsi, les schémas d’aide ou de soutien actuels devraient de plus en plus s’éclipser au profit d’une logique de partenariat financier et professionnel. Ces différents partenariats devront permettre d’intensifier la coopération culturelle Sud-Sud et de construire les réseaux professionnels indispensables à la circulation des productions et des artistes sur le continent. Ils contribueront donc à l’émergence de marchés locaux.
Rôles et impacts des plates-formes artistiques
Durant ces récentes années, de nombreuses plates-formes artistiques ont été développées çà et là grâce aux efforts conjugués d’artistes, d’États et d’institutions de coopération bilatérale ou multilatérale. Mais malgré leur nombre impressionnant, les plates-formes artistiques axées essentiellement sur l’événementiel, ont un faible impact en termes de structuration et d’émergence d’une économie de la culture.
Néanmoins, elles constituent les lieux et les espaces privilégiés de promotion, de visibilité et de réalisation d’échanges artistiques. Dans un contexte de déficit des échanges et de la coopération culturelle Sud-Sud, les plates-formes artistiques restent indispensables à la dynamisation, aux rencontres.
Il est bien connu, que l’Afrique manque crucialement de structure de productions et de valorisation. Pourquoi ces plates-formes ne seraient-elles pas des lieux de production et de valorisation de la création artistique ? Comment peuvent-elles devenir des espaces de continuité du développement de la création dans une perspective d’émergence de marchés locaux ?
La professionnalisation de la création passera par l’émergence d’une économie du spectacle en Afrique à travers la création de publics, de marchés locaux, de soutiens publics, et d’une meilleure reconnaissance juridique, économique et sociale des créateurs. La professionnalisation dépendra aussi de la formation et de l’émergence de réseaux professionnels favorisant la circulation des biens et des services culturels. Toutes les initiatives de mise en réseau restent confrontées au manque de moyens nécessaires aux rencontres et aux concertations. Elles se meurent donc très rapidement. Pourtant, l’existence de réseaux de professionnels devrait permettre de résoudre un certain nombre de problèmes liés à la formation, la circulation des productions et l’élaboration de politiques culturelles, en mutualisant les moyens et les stratégies déjà existants.
Recommandations de l’atelier
Au terme de ces débats enrichissants, les participants recommandent que :
– les programmateurs et les structures de diffusion du Nord soient plus à l’écoute des compagnies en adaptant leurs modes de contractualisation et de fonctionnement administratif aux réalités des structures africaines pour garantir leur pérennité ;
– des aides au fonctionnement et à l’équipement puissent être accordées aux structures et équipes de création au-delà des appuis à projets, à travers des contrats de confiance pluriannuels et structurants ;
– le programme Ocre (Opérateurs culturels en réseau) soit repris en compte dans les nouvelles stratégies de partenariat de CulturesFrance. Ce réseau a favorisé en quelques années l’émergence et la reconnaissance de nombreux opérateurs culturels. En permettant la formation d’administrateurs de festivals, il a beaucoup apporté aux manifestations en termes de réseaux d’information et de professionnels.
– les plates-formes artistiques indispensables pour la dynamisation de la création en Afrique aient une continuité pour assurer le développement de la création et de la production ;
– des formations en administration et en management soient multipliées sur le continent en utilisant au mieux l’expertise et les compétences africaines existantes.

(1) Liste des participants à cet atelier : Gustave Akakpo, Orden Alladatin, Valérie Baran, Jean-Claude Berrutti, Sylvie Chalaye, Victor de Oliveira, Alfred Dogbe, Ezzedine Gannoun, Alioune Ifra N’Diaye, Abdon Fortuné Khoumba, Vincent Koala, Hassane Kouyaté, Jean Lambert-Wild, Huguette Malamba, Astrid Mamina Kayembe, Alain-Kamal Martial, Étienne Minoungou, Audifax Moussa, Odile Sankara, Syhem Belkhodja, Augusto Cuvilas, Marie de Heaulme, Ali Diallo, Diamouangana Ouamba, Gacirah Diagne, Salvador Garcia, Taoufiq Izeddiou, Béatrice Kombe Gnapa, Karima Mansour, Elise Meka M’Balla, Manassé Nguinambaye, Kettly Noël, et Gabrielle Von Brochowski.///Article N° : 5812

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