Il est réjouissant de pouvoir découvrir en salles des courts métrages souvent réservés aux festivals ou de rares apparitions télévisuelles. Claire Diao fait à cet égard un remarquable travail en distribuant les courts marquants de son festival Quartiers lointains. La 8ème fournée sort dans les salles françaises ce 25 septembre 2024 sous le thème de la résistance, regroupant des courts du Niger, Ethiopie, Sénégal et Egypte. Nous reprenons ici ce que nous avions écrit sur trois d’entre eux, ajoutant quelques mots sur Le Médaillon, de Ruth Hunduma.
Astel de Ramata-Toulaye Sy
La vie s’éveille au petit matin dans un village peuhl. On entend les oiseaux, le muezzin, les animaux, les hommes. Son père réveille Astel pour qu’elle l’accompagne garder le troupeau, comme tous les jours. Sa mère lui demande de réajuster son pagne et lui donne le repas de midi. Les riches accents de la douce et dynamique musique d’Amine Bouhafa (célèbre compositeur tunisien qui a notamment fait la musique de Timbuktu) sur le pâturage renforcent l’appréhension de cette quotidienne répétition. Entre Astel et son père, une belle complicité de plaisanterie. Tout va bien. Dans la journée, Astel manifeste sa sensibilité pour les bêtes en aidant un jeune berger à faire bouger une vache récalcitrante. Son père la regarde faire, mais un processus s’enclenche en voyant le regard du berger : Astel atteint l’âge de se marier, il faudrait qu’elle réintègre sa place auprès des femmes… On sent sa révolte mais elle ne peut l’exprimer. Se résignera-t-elle encore longtemps ? Là est toute la question de ce film de la Sénégalaise Ramata-Toulaye Sy dont l’esthétique léchée semble enfermer ce village dans une Afrique immémoriale où même les femmes vont au champ parées de leurs beaux atours. On sent bien que les parents aiment leur enfant et lui voudraient le mieux, mais sont coincés par la tradition (laquelle n’est d’ailleurs pas absolue dans la réalité, puisqu’il y a aussi parfois en société peuhl des troupeaux menés par des femmes). Astel est-elle piégée par un destin tout tracé ? Quelles sont ses portes d’évolution ? Le film semble se résigner, ne lui concédant que de conserver son bâton de berger…
L’Envoyée de Dieu d’Amina A. Mamani
Le père d’Amina A. Mamani est Abdoulaye Mamani, auteur du livre sur Sarraounia et sur lequel elle a fait un documentaire. Une fois son histoire familiale traitée, elle pouvait aborder ce qui dévaste son pays le Niger et la sous-région. Son idée est simple : nous mettre dans la peau d’une enfant martyre. Alors que les Djihadistes qui l’ont capturée l’envoient à la mort avec une ceinture d’explosifs, la jeune Fatima cherche sa mère qui vend ses légumes au marché. La force du film est d’aller dans les détails de sa préparation (réveil, lavage du corps, installation de la bombe, moto jusqu’au marché villageois), d’en faire une jeune fille consciente (souvenir d’une chanson de résilience avec sa mère, refus de la drogue, rébellion contre la théorie du martyr énoncée par le chef djihadiste – interprété par le toujours excellent acteur tchadien Youssouf Djaoro), de multiplier les ambivalences dans son comportement introduisant une distance et de la suivre souvent de dos dans le marché, en épousant ainsi la vie. Un cliquetis marque les minutes presqu’en temps réel, soutenant la tension. Comme le disait Hitchcock, à la différence de la surprise, le suspense est quand on sait ce qui va arriver et qu’on a peur que ça arrive.
Le choc est terrible et l’horreur du terrorisme s’impose, qui ne laisse pas le choix et méprise la vie. Comment la violence de l’image peut-elle dès lors générer la force de développer une résilience ? L’image est violente quand elle ne passe pas par la médiation d’une parole. C’est justement parce que Fatima s’oppose résolument à sa « mission divine » et trouve les arguments qui dérangent que le film échappe à l’ambiguïté du suspense qui ne fait bien souvent que caresser les pulsions de mort en développant un spectacle : la parole de Fatima la fait exister non comme objet victime mais comme sujet agissant. Elle n’est plus « l’envoyée de Dieu » qui se fait martyre mais elle est elle-même martyre de l’obscurantisme. C’est en cela que son image est opérante, et donc le film politique, car sa dignité élimine tout pathos, une dignité dont le film se fait le témoin sans discontinuité, ne faisant jamais du spectateur le voyeur d’une violence pourtant permanente.
Fatima cherche sa mère pour l’informer sur son destin, elle qui vit dans l’incertitude de sa disparition. Le sourire iconique de Fatima à sa mère incarne son amour filial, que ne peuvent détruire les Djihadistes idolâtres. Il est sans doute aussi une manifestation de combien elle est devenue consciente, intégrant la chanson que sa mère partageait avec elle. Le film est court mais suffisamment long pour nous faire ressentir la logique de mort incarnée par les Djihadistes, qui écarte toute complaisance à leur égard, jusqu’à ce regard de la mère que grâce au film nous sommes tous devenus.
Le Médaillon, de Ruth Hunduma
Le portrait de Nefertiti : c’est le contenu du médaillon gravé en or que sa mère a donné à Ruth à peine adolescente. Il sera l’occasion de retracer l’histoire de cette mère survivante d’un camp de prisonniers durant de La Terreur rouge. Ensemble, elles retournent en Éthiopie alors qu’une nouvelle guerre civile fait rage dans le Tigré. « Imaginez ce pays ». Le film aligne les photos en cascade et se calme pour dérouler un texte poétique, mariant la dimension spirituelle de l’Ethiopie aux horreurs de la dictature Mengistu des années 70. Et toujours la revendication de liberté. En écho, les joyeuses retrouvailles familiales, le terrible récit de la mère sur son emprisonnement et le non moins terrible silence des médias. Dédié à tous les oubliés, ce film remarquable mélange ainsi les styles pour mettre en exergue les voies de la résilience.
Je crains d’oublier ton visage de Sameh Alaa
Parce qu’elle aime Adam, elle est enfermée depuis deux mois à la maison, sans le droit de sortir. Je crains d’oublier ton visage (I am Afraid to Forget your Face) de l’Egyptien Sameh Alaa, palme d’or du court métrage au festival de Cannes 2020, est un drame épuré et sensible où le focus se déplace sur le jeune Adam lorsqu’il invente un stratagème (que nous ne dévoilerons pas) pour aller la voir et ne pas oublier son visage. La force du film est dans le mouvement d’Adam, son positionnement corporel, sa progression à la fois résolue et désespérée vers celle qu’il aime, dans une quête proche du road movie, jusqu’à ce qu’il intègre le sens de son geste et puisse enfin tomber le masque, venant de vivre l’enfermement imposé à sa bien-aimée. Le format en 4/3 (16 mm) renforce le risque qu’il prend dans son parcours, de même que l’ambiance sonore très travaillée qui semble forger l’image plutôt que le contraire. Cela renforce le jeu des regards : Adam doit se faire invisible et silencieux pour aller voir celle que l’on cache à ses yeux. Ce n’est qu’ainsi qu’il peut transgresser les normes tant sociales et familiales que religieuses que le film fait apparaître sans jamais les dénoncer frontalement. Du grand art !