Deuxième roman de Roland Rugero, publié aux Editions Vents d’Ailleurs, Baho ! que l’on pourrait traduire par Vis ! est un impératif autant qu’une condamnation. Au Burundi, Roland Rugero, écrivain et journaliste engagé s’attaque aux traces indicibles laissées par la guerre en décrivant comment la violence et le doute s’immiscent même au cur des mots.
Tout commence comme un joli roman picaresque. Une vieille femme, borgne, regarde son troupeau et laisse vagabonder sa pensée face aux paysages qui s’étendent devant elle, regrettant l’absence de la pluie. Elle est interrompue par les clameurs d’une foule qui accuse Nyamuragi, le muet du village de tentative de viol.
Porté par une langue française aux doux accents de kirundi, la fable de Rugero, est de celles qui se terminent sans morale. Découpé en chapitres, tous introduits par un proverbe en kirundi, le récit de Rugero est complétement polyphonique. Les phrases, longues, rapides et fortes en sous-entendus se brisent en différents morceaux de voix et font écho à la cacophonie de cette foule en colère qui se croit juge et partie. Les récits comme les personnages se croisent mais ne communiquent pas. Personne ne se répond jamais.
La parole, Ijambo en kirundi, devient impossible et s’offre comme le personnage principal du récit. « Dans l’ijambo, il y a la part de l’autre, puisque c’est une invite à la découverte. Ijambo, mot, discours, confidence, propos courtois. Ijambo, parole. Avec nos morts, se dit la borgne, la parole s’est scindée, multipliée, fragmentée. L’unité a été irrémédiablement brisée. »
La guerre, ici sobrement évoquée sans être expliquée, a brisé la confiance accordée à la langue et a mis fin à la possibilité de dialogue. Les actes ont remplacé les histoires. Mais si tout semble voler en éclat, les mots ont encore un sens pour qui sait leur redonner un espace comme en témoigne le dénouement du récit, qui loin d’être un happy end donne pourtant la victoire aux mots.
Ce n’est pas étonnant si chez Rugero, la victoire, même mince et sans éclat, revient à la parole et plus largement à la littérature. Ce journaliste né à Bujumbura en 1986, a vécu au Rwanda et en Tanzanie avant de retourner dans son pays. Citoyen engagé, il collabore notamment avec la revue burundaise IWACU, rare média indépendant encore lisible aujourd’hui dans ce pays et a co-fondé le café littéraire Samandari, espace de rencontres et de partage des cultures, aujourd’hui fermé du fait de la crise.
Parfait bouc émissaire qui n’a pas les moyens de se défendre, Nyamuragi est celui sur lequel tous les autres peuvent projeter leurs maux, leurs peurs et leurs colères. Il est aussi une figure de l’artiste empêché de s’exprimer. Voix muselée, portée à terre et presque anéanti, il n’en demeure pas moins libre et prêt à se relever.
Baho ! De Roland Rugero. Editions Vents D’ailleurs. 2012///Article N° : 13902