Le Sud-Africain François Verster est un documentariste à suivre. Dans le remarquable Mother’s Day (cf. [ article 6760 ]), il partageait durant quatre années, avec une évidente empathie et un remarquable respect pour son sujet, la banale mais terrible intégration de la violence de leur environnement par la famille métisse Moses et ses trois femmes, l’adolescente Miché, sa mère Valencia et sa grand-mère. Avec Sea Point Days, il poursuit son exploration de la not-so-new South Africa (l’Afrique du Sud pas si nouvelle) et affirme une écriture originale en dressant en pointilliste un très subtil état des lieux à partir d’un endroit exceptionnel.
Sea Point est une station balnéaire de la ville du Cap, centrée sur les piscines qui y furent construites en bord de mer dans les années 20 et furent bien sûr réservées aux Blancs jusqu’à la fin de l’apartheid. Aujourd’hui, les différentes couleurs de peau s’y côtoient dans une apparente égalité. Parce que la couleur de peau importe, Verster s’attache aux corps qui s’ébrouent et s’entremêlent. L’eau de la piscine devient symbole d’une pureté retrouvée, revendiquée par de jeunes Noirs qui refusent la drogue. Et il se trouve que l’employé chargé de la filtrer, Abdoeragiem Field, a beaucoup appris sur la vie dans son rapport avec l’eau ! Puzzle de regards et de sensations, le film sera donc aussi une série de saisissantes rencontres, comme avec Law, ce jeune garçon passionné de rap qui se retrouve à la rue avec sa mère.
C’est avec cette inévitable question de la mémoire des haines et des douleurs passées que débute le film, divisé en cinq parties. Si la première s’intitule Every country has been through a bad phase (tout pays a connu une mauvaise passe), ce n’est pas pour relativiser quoi que ce soit, mais pour explorer la conscience blanche. Le Blanc de bonne famille Verster, qui n’a pas dû affronter les vicissitudes mais en a pris la mesure, ne filmant jusqu’à présent filmé que des Noirs ou des Métis, écoute ici les vieux Blancs d’une maison de retraite dont les fenêtres dominent la fameuse piscine. No place for white man (pas de place pour l’homme blanc) sera le titre de la deuxième partie : leur regard sur le présent est pénétré de souvenirs et de nostalgies d’un passé révoqué. La caméra de Verster, en phase avec son propre ressenti, hésite entre l’empathie et la distance, à la recherche d’un espace nouveau qui ne soit plus structuré par l’appartenance à un groupe. Cela suppose de retourner s’ancrer dans le réel de la confrontation. La troisième partie, If I were to die tonight (Et si j’en venais à mourir ce soir), va de la prière des musulmans à la chasse aux sans-abri ou aux caméras de surveillance. Un homme blanc suggère que la culpabilité n’est pas une force de vie. The world is such an unreal place (le monde est tellement irréel) est le titre de la quatrième partie. Chacun fuit la réalité à sa manière, conscient que la réconciliation et l’égalité ne sont pas encore dans les têtes. « Cela prendra encore vingt ans pour que les enfants trouvent un terrain commun », pense Abdoeragiem Field. Mais l’espoir est là, thème d’une optimiste cinquième partie, When it’s spring again (quand c’est à nouveau le printemps), où l’on manifeste contre l’installation d’un centre commercial pour préserver l’accès de tous au bord de mer et où Noirs et Blancs se tiennent la main durant un office religieux.
Pour Verster, la complexité du quotidien éclaire les contradictions de la société. Les tensions et les émotions à l’uvre parlent davantage que n’importe quel discours. Ce puzzle s’organise de façon musicale, en une fugue où chaque élément se coule dans le précédent pour l’enrichir ou le contredire. Les corps et gestuelles parlent d’eux-mêmes, révélateurs des hiérarchies sociales à l’uvre autant que des douleurs accumulées, mais aussi du sentiment d’appartenance et du désir de paix. Ils révèlent le fragile équilibre de la transition sud-africaine et posent les limites mais aussi les voies de sa consolidation.
voir la bande annonce sur http://www.mercurymedia.org/programmes/history/sea-point-days////Article N° : 8733